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Petit quartier commercial teinté de nostalgie : « Anou al fer enn letour dan palais Buckingham… me seki dan Rozil-la !

Dans un monde qui va vite, il est important de savoir regarder en arrière de temps en temps. L’histoire ne concerne pas que les grandes agglomérations huppées de la capitale ou des Plaines Wilhems. Le vieux quartier commercial et résidentiel de Buckingham, à Rose-Hill, constitue un parfait exemple. Grâce aux informations puisées de vieux bouquins, sans occulter l’aide précieuse des plus anciens habitants et commerçants, il nous est possible d’approfondir l’histoire démographique, économique et sociale de cette parcelle de terre enclavée entre le centre-ville et les régions de Stanley et Plaisance. L’ex-cinéma Buckingham, les boutiques datant de plus de 80 ans, la salle de musculation et les pâtisseries des Organisations Fraternelles (OF) des frères Michel sont autant de lieux teintés de nostalgie qui ont bâti la réputation de ce petit quartier.

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À Rose-Hill, rares sont ceux qui n’ont jamais entendu quelqu’un prononcer, sur le ton de la plaisanterie, la phrase « mo pe al fer enn letour dan palais Buckingham… me seki dan Rozil-la ! » Le quartier est en effet réputé pour avoir un homonyme bien connu. Il englobe les rues Hugnin, Sir Célicourt Antelme et Ratsitatane, entre autres. Certes, il n’a rien de comparable au quartier de Westminster, où se trouve la résidence officielle des souverains britanniques, mais le « Buckingham » des villes sœurs est riche de ses commerces et regorge de témoignages de la vie passée qui méritent toute notre attention. Ils s’articulent autour de ses places marchandes et commerciales, accessibles à toutes les bourses et bien connues et fréquentées par les classes moyennes. Produits de consommation courante, marchés de fruits et légumes, Fast Food, chaussures, vêtements, bijoux, etc.

Il faut pointer l’aiguille de la machine à remonter le temps dans les années 1930 pour voir l’émergence des premières boutiques à Buckingham. Forcément, la présence des domaines sucriers de Stanley et Plaisance dans les parages fait que la quasi-totalité des terres du quartier étaient la propriété des familles Hugnin, Maingard et De Chazal, jusqu’à leur fermeture au milieu du 20e siècle. « À force de sacrifices, mon père et ses frères ont acquis des terres appartenant à la famille De Chazal, à la route Hugnin, pour y construire une boutique en bois. C’était à la fin des années 1930. Depi zanfan mo ti ed mo papa dan laboutik ziska so lamor kot mo’nn pran la relev ver 1960. Ma défunte sœur, qui était enseignante, m’aidait dans cette tâche », confie Azie Ng Wing Yik. C’est tout un pan de la genèse de Buckingham qui a pris vie sous ses yeux. Ses clients, qui lui vouent une amitié sans borne, l’appellent Azie.

Lorsqu’ils franchissent la porte d’entrée de la boutique Azie, faite de béton depuis les années 1990, ces derniers font systématiquement un bond dans le passé. Le lieu, l’odeur, l’ambiance offrent une pause dans leur quotidien. Le commerce familial est devenu au fil du temps l’incontournable commerce de Buckingham, sis dans un emplacement stratégique. Une adresse restée figée dans le temps. Que vous cherchez des produits pour l’entretien de la maison, des produits d’hygiène, des ustensiles de cuisine ou des outils de bricolage, tout y est ! N’ayant pas d’enfants, Azie ne sait pas si quelqu’un lui succédera aux manettes à l’heure de la retraite, mais il laissera forcément une empreinte indélébile dans le cœur des riverains, de ses collègues des commerces avoisinants et de sa fidèle clientèle.

La boutique Azie a aussi été empreinte de péripéties politiques. Elle a vu naître les prémices de l’Organisation Fraternelles (OF), des frères Michel, Sylvio et Elie, à l’époque où la situation sociale se dégradait quelques mois avant que le pays n’accède à l’indépendance, lorsque des bagarres éclatèrent entre groupes ethniques, dans les quartiers nord de Port-Louis. Les réunions de contestations politiques étaient réprimées par la police, à cette époque. Dans son livre intitulé Noir sur Blanc, paru en 1998, Sylvio Michel raconte le tumulte qui a marqué la naissance de son mouvement au sein de ladite boutique : « À cette époque-là, nous avons pris la décision de nous installer dans une aile de la boutique Azie. Pour ne pas éveiller les soupçons sur nos activités, qui ne comprenaient que des réunions, nous avons dû inclure dans le local une petite salle de musculation. Cette couverture s’est avérée judicieuse, car nous avons très vite attiré l’attention de la police avec le va-et-vient dans le local. Des soldats britanniques l’ont un jour fouillé de fond en comble, et ne voyant que des athlètes qui s’entraînaient, sont repartis bredouilles. Nous avons eu très chaud ce soir-là ! »

Sylvio Michel ajoute que « plus tard, Monsieur Azie ayant eu besoin de son bâtiment, nous avons dû emménager dans une bâtisse jouxtant la pâtisserie de mon frère, Philippe. Elle se situait à quelques mètres de la boutique de Monsieur Azie. » Le leader des Verts Fraternels fait allusion à la pâtisserie Mauricienne qui, jusqu’au début des années 1990, faisait le bonheur des petits et grands. Elle servait des grands classiques, tous aussi délicieux les uns que les autres. Novateur, Philippe Michel savait comment attirer la clientèle. « À la pâtisserie de mon frère, il y avait une sorte d’effervescence. Le juke-box permit d’entendre la voix de Christophe chantant Les Marionnettes », souligne Sylvio Michel dans son bouquin.

Un autre lieu incontournable pétri de souvenirs : le cinéma Buckingham, qui a fermé ses portes à la fin des années 1980. Ismaël Khan Chady était le gérant dudit cinéma. Que ce soit le samedi après-midi ou le jeudi soir, ces jours étaient conçus à l’époque pour visionner un bon film indien. « Il y avait de longues files d’attente à chaque fois. C’était impressionnant. Les films Bollywood parlons-en, même les personnes de foi chrétienne avaient une compréhension de la langue hindi. Citons le chanteur Freeman Lagare, qui avait remporté une compétition de chant en hindi », souligne un commerçant ayant pignon sur rue depuis 1960. Le bâtiment ayant abrité le cinéma a été converti en un complexe résidentiel depuis quelques années, mais il peine à retrouver son lustre d’antan.

La morphologie assez souple de ce quartier, héritée de plusieurs décennies d’histoire, a quand même offert des possibilités originales de reconversion et de transformation pour les activités commerciales, toujours concentrées dans les mêmes espaces urbains. Certes, on y trouve encore quelques façades qui sont actuellement négligées et qui mériteraient d’être rénovées, il n’en demeure pas moins que le bâti s’est renouvelé et modernisé en profondeur depuis la dernière décennie. Les formes anciennes du commerce ont aussi été remodelées pour bénéficier du dynamisme économique. En grande partie grâce à la famille Chady, propriétaire de nombreux bâtiment à Buckingham, qui a permis de redonner un peu de couleur aux édifices.
Une sombre tache ternit ce reluisant tableau depuis quelque temps : les décharges illégales qui émaillent un terrain vague qui fait office d’aires de stationnement. Des déchets en tous genres à perte de vue, qui ne semblent pas émouvoir la mairie des villes sœurs, aussi bien que son propriétaire… la famille Chady.

On reste bouche bée devant les images d’un tas de détritus constitués de réfrigérateurs, de pneus, de sofas, mais aussi de sacs remplis d’ordures ménagères. Poussés par le vent, des lambeaux de polystyrène et de plastique se sont accrochés aux branches maigres. Plus loin, sur une dizaine de mètres, on découvre, pêle-mêle, des pots de peinture, des restes de meubles, de vieux éviers, des sacs remplis de laine de verre…

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