« Zenes, To lavwa, To pays » — Ayesha Joomun : « Nos jeunes estiment n’avoir aucun avenir à Maurice »

  • « Dans les sphères de gestion, les adultes doivent céder la place aux jeunes; ces derniers sont découragés et quittent le pays »

À l’initiative de la Phoenix Welfare Association, le Muslim Citizen Council, le National Students Council, la Sunnee Quadiri Circle et la Pastorale des jeunes du diocèse de Port-Louis, un forum sur la thématique Zenes, To lavwa, To pays s’est tenu samedi dernier au Training Centre du Sir Abdool Razack Mohamed Hall de Phoenix. Une trentaine de jeunes – comprenant des étudiants, des handicapés et de jeunes professionnels – était réunie le temps de cet atelier de travail. Ayesha Joomun, présidente de l’aile féminine du Muslims Citizen Council (MCC) et responsable de communications de la Phoenix Welfare Association, de même que Tatiana Kattic, du National Students Council (NSC), ont présidé l’exercice.

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Ayesha Joomun est catégorique : « les jeunes Mauriciens vont très mal ! » Beaucoup d’entre eux ont fait écho de leur mal-être, explique-t-elle. « Ils ne se retrouvent plus dans leur propre pays. C’est très grave. Les jeunes qui ont répondu présent à l’exercice ont exprimé leurs inquiétudes quant à un manque de méritocratie dans toutes les sphères professionnelles du pays. Les étudiants et les jeunes adultes qui travaillent ont ainsi fait état du fait que malgré leurs années de sacrifices à étudier, les efforts de leurs parents, qui triment pour leur offrir une éducation complète, et leurs propres démarches à intégrer le monde du travail, zot pa resi trouv enn lizour », dit-elle.

Des propos étayés par des participants de l’atelier de travail de ces associations de la société civile. « Fer enn ta zefor lekol depi tipti, sakrifis, al leson, get mama papa trime, e apre kan ariv ler gayn enn travay, ou trouv lezot ki pann fer bel zefor, me ki ena bon kontak ar X ou Y, pass lor ou latet.. Abe ki serti ? » se demandent-ils.

Et un autre de renchérir : « Je ne me décourage pas pour un rien. Il est faux de dire que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas sincères et qu’ils ne prennent rien au sérieux. Nous sommes très conscients des enjeux pour notre avenir. Des sujets sensibles comme la politique et le changement climatique sont prioritaires à nos yeux. Je veux travailler pour mon pays et contribuer à le faire avancer. Mais encore faut-il que ceux qui le dirigent acceptent de m’écouter, de prendre en considération mes suggestions et me donner une chance de faire mes preuves. »

Tatiana Kattic complète : « il est clair que la majorité de nos jeunes ne se retrouvent plus dans ce que le pays leur offre comme alternatives et voies de développement. » Ces deux femmes soutiennent, d’une même voix : « tous ces jeunes réunis et représentatifs de la jeunesse mauricienne actuelle s’accordent sur plusieurs choses. D’une part, ils ne se sentent pas écoutés, et donc se sentent insignifiants, inutiles. Et de l’autre, quand ils font leurs preuves et font des efforts, et s’attendent à décrocher les places qui leur reviennent, ils se heurtent à des adultes qui ne veulent pas leur donner leur chance. »

Ayesha Joomun poursuit : « Ils sont découragés et beaucoup quittent le pays, la plupart du temps pour de très longues années, voire pour toujours ! Ce n’est pas du tout rassurant, car ces jeunes représentent notre relève… Maurice n’a aucune ressource et notre capital, c’est notre jeunesse ! C’est en eux que nous devons investir, car l’avenir est entre leurs mains. » La représentante du National Students Council ajoute : « Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’un jeune décide de tout plaquer dans son pays natal et d’aller tenter sa chance ailleurs. Je suis contente et fière de mon pays, et je ne me vois pas m’inscrire dans le quotidien et les repères d’un autre pays. »

Elle élabore : « chaque jeune porte en lui la fibre patriotique. Nou kontan nou pei ! Je ne me vois pas dans un pays étranger entrer dans une mosquée, comme ici à Maurice, et y être accueillie agréablement, sans me juger, et qu’on m’aide à comprendre quand je pose des questions. Je n’ai aucune garantie de pouvoir jouir de telles libertés dans un pays étranger. »

Pourtant, soutiennent Tatiana Kattic et Ayesha Joomun, « la plupart de nos jeunes nous confient qu’à défaut d’une alternative professionnelle intéressante et qui va de pair avec leurs efforts académiques, ils n’ont d’autre choix que d’envisager l’exode ». En deux mots : « Zot pe toufe isi ! »

Ayesha Joomun se dit très triste de constater qu’ils en arrivent là. « Nos jeunes expliquent que l’un des plus grands obstacles qu’ils rencontrent, c’est que les adultes ne leur font pas de place pour s’épanouir, se développer, contribuer à faire avancer les choses, donner leurs avis… Si les adultes qui tiennent les rênes dans les sphères de gestion aujourd’hui ne comprennent pas qu’il faut absolument faire de la place aux jeunes, et leur donner leur chance de se prouver, nous n’avancerons jamais. »

Tatiana Kattic est du même avis, et ajoute : « au sein du NSC, nous avons les mêmes échos de nos membres. Le manque de perspectives professionnelles principalement. Mais aussi le fait que les jeunes ne se sentent pas utiles. Le reproche le plus récurrent, c’est que les adultes ne les écoutent pas et ne leur donnent aucune chance de montrer ce dont ils sont capables. Et ça, c’est un fait qui se répercute dans différentes sphères de la vie, à la maison comme à l’école ou au collège, à l’université, dans les formations, dans les entreprises où ils ont pu décrocher un stage ou un emploi… » Aussi, « sans un “rapid shift in mentality”, nous allons droit vers une situation très délicate pour notre pays, qui souffre déjà d’une population vieillissante », disent ces deux femmes.

La thématique, Zenes, To lavwa, To pays, a été abordée sur plusieurs aspects, nommément le manque de dialogue et de communication, l’usage et la consommation de drogues, les violences multiples au sein de la société (violences conjugales, abus sexuels des jeunes…), les difficultés rencontrées par les personnes vivant avec des handicaps, mais aussi le bullying via les réseaux sociaux et dans les établissements, ou encore le suicide, entre autres.

« Cet exercice n’est pas un One-Off. Nous organisons des ateliers de ce genre dans différentes régions et sur toute l’année. Les prochains auront lieu durant les vacances, après les examens », explique Ayesha Joomun, membre du comité d’organisation. Plusieurs Resource Persons, à l’instar du travailleur social Sam Lauthan, soutiennent l’initiative. « Il est vital que soit portée la parole de nos jeunes vers ceux qui dirigent et aspirent à diriger notre pays », termine Ayesha Joomun.

 

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