Que n’a-t-on pas dit et entendu sur les événements du 18 juillet dernier où l’opposition s’est révoltée dans les couloirs du Parlement contre la nomination d’Adrien Duval en tant que Speaker ? Nous comprenons bien par les agissements des membres de l’Assemblée et les mots de tout un chacun, que le 18 juillet 2024 marque d’une pierre blanche notre histoire politique. Vous conviendrez donc qu’une lecture politique de ces événements est primordiale. Pourtant, cette lecture a été inexistante jusqu’à présent.
L’opinion publique semble aller dans le sens de la majorité gouvernementale et de ses alliés déclarés et non déclarés. Mais cela n’est guère surprenant, car la société mauricienne, encore très conservatrice, paternaliste et ayant abandonné la pensée décolonialiste, favorise ce biais. Le discours du pouvoir et de la classe dominante qui a monopolisé l’espace médiatique, fait écho à ce discours qui se résume à faire passer les membres de l’opposition pour des voyous en pointant du doigt la violence de leur acte et à sous-entendre que cette opposition porte en elle les prémices d’une tempête qui mènera le pays vers sa perte si elle devait accéder au pouvoir.
Il faut garder à l’esprit cependant, que la mère de toute violence reste la violence institutionnelle pratiquée par l’État. Celle qui perpétue et légalise toutes les oppressions par le biais de ses structures. Pouvons-nous oublier ces familles expulsées de leur squat en plein confinement durant la première vague de COVID? De l’interdiction imposée aux volontaires souhaitant aider durant l’échouage du Wakashio? La mise sur pied de la Special Striking Team, qui serait plus spécialisée en planting et autres méthodes d’extorsion qu’autre chose? La confiscation des terres allouées aux différentes associations communautaires et culturelles au Réduit Triangle en vue d’une réallocation aux petits copains? La promulgation d’une loi pour faire expulser du pays une personne qui avait embarrassé le gouvernement? Le démantèlement de la BAI qui était jugée trop proche de l’opposition ? La mise à mort du Mauritius Turf Club, principal acteur de la scène hippique mauricienne depuis plus de 200 ans parce que trop indépendant ? La liste de ces violences institutionnelles et structurelles perpétrées par l’État en dehors du Parlement est bien trop longue.
Mais qu’en est-il des violences commises dans le Parlement? En démocratie, les débats contradictoires représentent la norme. C’est lorsqu’ils sont brimés, malmenés, empêchés, que les échanges se musclent et menacent de déraper. Jugnauth, avec son larbin, aura fait un tort immense au Parlement. Au lieu d’apaiser et de reconnaître qu’il dirige un gouvernement minoritaire sorti des urnes, il n’a eu de cesse d’être dans l’invective, la provocation. Rares sont les occasions où ce gouvernement a cherché le consensus, ou ne serait-ce que consulter l’opposition sur des politiques publiques. Pire, lorsque le pays fait face à la pandémie du COVID-19, il choisit l’opacité comme mode de gouvernance, avec les conséquences que l’on connaît.
Que dire des « rulings » du Speaker déchu et de ses propos indignes à l’égard des membres de l’opposition? Entre 2022 et 2023 seulement, il n’y a eu pas moins de 82 « points of order » soulevés par l’opposition et seulement 10 ont obtenu une décision favorable contre 35 pour le gouvernement ayant obtenu 29 décisions favorables! Vous avez une chance sur dix de vous faire respecter si vous faites partie de l’opposition!
En croyant bien faire, Phokeer a illustré ce que ce pouvoir a de plus vil. Il a démontré, séance après séance, ce que l’arbitraire veut dire. Les caméras et l’opinion publique n’y ont rien changé.
C’est dans le contexte de cette pratique autoritaire du pouvoir, couplée d’un Parlement paralysé qu’il faut replacer la révolte du 18 juillet. Partout où cette violence institutionnelle s’est perpétuée, elle a engendré des violences révolutionnaires. De Madame Françoise ou Anna de Bengale au Club des étudiants militants en passant par Emmanuel Anquetil, notre histoire commune est jalonnée de ces révolutionnaires et de leurs victoires. Je ne dis pas que les récents événements sont comparables à nos luttes historiques, mais elles découlent du même esprit. Celui de s’indigner et de résister face à un oppresseur omniscient et omnipotent.
La capacité de s’indigner est un héritage dont nous ne devrions pas avoir honte, bien au contraire! L’histoire est un éternel recommencement et comme à chaque fois que ces voix, minoritaires mais justes, se sont fait entendre, elles ont senti peser sur leurs épaules tout le poids de l’opinion publique, dirigée par une petite bourgeoisie critique et bien-pensante. Elles ont aussi senti se serrer sur le cou la poigne de la répression. D’ailleurs, trois parlementaires ont vu leurs cas être référés au DPP pour des poursuites en représailles à cette révolte.
En conclusion, je dirai que la politique est l’histoire en mouvement. Alors, il incombe à chacun d’entre nous de faire un choix et de se placer du bon côté de l’histoire.