Le-Mauricien a rencontré cette semaine la directrice de l’Agence Française de Développement (AFD) à Maurice, Laëtitia Habchi. Elle explique comment l’AFD est arrivée à s’intéresser au secteur de l’eau au pays, ajoutant que l’agence déploie actuellement de gros moyens financiers pour accompagner le gouvernement dans sa progression et son intégration d’une nouvelle politique de l’eau. Elle dit aussi constater que, comparativement à l’Afrique, la gestion de l’eau est plutôt moins bien gérée chez nous. « Il est assez choquant de voir que le taux de pertes technico-commerciales et le taux d’assainissement soient aussi bas, tenant compte du niveau de développement du pays », dit-elle. Ce qui est « un peu dommage ».
Vous avez signé cette semaine un accord intitulé « Subvention, facilité d’appui, de préparation et de suivi des projets » (FAPS). Quelle est l’importance de cet accord ?
Il s’agit d’un accord intermédiaire faisant partie de notre histoire de l’intervention de l’AFD pour le secteur de l’eau. Afin de se relancer dans ce secteur, nous avons fait une revue historique. Nous avons ainsi pu découvrir les belles choses que nous avons réalisées depuis les années 1980. Nous nous sommes rendu compte que tous les investissements qui ont eu lieu dans le secteur de l’eau ont été planifiés dans un schéma directeur élaboré grâce au financement de ce qui était connu à l’époque comme la Caisse Centrale de Coopération Économique. Ce qui fait que l’eau est aussi étroitement associée à mon intégration à Maurice. Mon arrivée à Maurice coïncidait avec le retrait de l’AFD du financement du projet de construction d’une nouvelle piste d’atterrissage à Rodrigues. Il fallait se relancer et retrouver nos racines. Et quand j’ai échangé avec les uns et les autres, nous avons évoqué les relations fortes et historiques qui nous lient. Dans ce genre de relations, il y a eu des hauts et des bas. Il ne faut jamais se laisser aller dans les bas. Il faut toujours rebondir. Je pense avoir été la bonne personne pour cela. Je remercie l’AFD de m’avoir nommée. Nous avons très vite amené le ministère des Finances à relancer notre activité sur l’eau. Cela faisait sens à Rodrigues également.
J’avais lu des tweets et les réseaux sociaux, et j’ai constaté que quand on critiquait le projet de piste d’atterrissage, il était dit qu’il serait mieux de se concentrer sur le problème de l’eau plutôt que sur un aéroport. J’ai rebondi là-dessus. Je me suis dit qu’il était peut-être plus raisonnable de se concentrer sur l’eau plutôt que l’aéroport. Je donnais par la même occasion du sens au refus de financement que je ne pouvais pas toujours comprendre. Quand nous avons préparé un projet pendant plusieurs années avec un pays et qu’ensuite nous sommes amenés à dire que nous ne pouvons pas le faire, ce n’est pas chose facile. Je n’étais pas forcément en bonne posture. Je suis allée voir ce qu’il serait intéressant de faire, tenant compte des projets qu’on avait déjà financés. Nous avons pu observer qu’à Maurice, il y avait eu des investissements dans le secteur de l’eau accusant un retard et que le pays ne dispose pas d’une politique qui consoliderait à la fois la gestion de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des eaux pluviales. Il y avait un vrai problème de politique publique du fait que la gestion des ressources en eau n’est pas forcément intégrée : nous avons une structure qui fait de la production, une autre qui fait de la distribution, une autre qui fait de l’assainissement et une autre qui fait de l’irrigation.
Or, pour gérer rationnellement les ressources en eau, il faut une politique commune. Avant de penser à refaire des investissements dans le secteur et quand nous sommes vraiment ami et partenaire, nous pouvons nous dire qu’il faut réfléchir aux politiques qui vont faire progresser l’ensemble. Cela a été le but du prêt de 200 millions d’euros, associé à une subvention de deux millions euros, qui a été engagé l’année passée. À travers une matrice de politique publique, nous avons déterminé que nous dépenserions les 200 millions sur une période de quatre ans. Pendant cette période, nous accompagnons le gouvernement dans sa progression et son intégration d’une nouvelle politique de l’eau, et plein d’autres choses, dont la performance. Il y a un dialogue qui se fait. Autour de tout ça, il y a le prêt, l’assistance technique…
Et ce dialogue se fait à travers une assistance technique de deux millions d’euros qui accompagne l’ensemble. C’est un très bel outil. Je suis vraiment très fière qu’à Maurice, nous arrivons à mettre cela en place. Après avoir fait la politique de l’eau, il s’agit maintenant de penser aux projets et aux investissements. Mais les projets, ça se prépare. D’où la subvention. C’est une belle histoire.
Donc, nous pouvons dire que vous avez très vite compris la situation de l’eau dans le pays ?
Oui. Je pense que le gouvernement et le Premier ministre savent que ce n’est pas dans ce secteur-là que Maurice a le plus réussi. J’espère qu’à travers ce partenariat, Maurice pourra devenir exemplaire, comme elle l’est dans d’autres secteurs. Comparativement à l’Afrique, la gestion de l’eau est plutôt moins bien gérée. Il est assez choquant de voir que le taux de pertes technico-commerciales et le taux d’assainissement soient aussi bas, tenant compte du niveau de développement du pays. C’est un peu dommage. C’est peut-être dû à l’abondance d’eau, car c’est un pays qui n’en manque pas. Malheureusement, la nature humaine fait que quand il ne nous manque pas quelque chose, nous n’en prenons pas forcément bien soin. Mais les temps changent. Donc, il y a un défi à relever afin de remettre Maurice dans la classe où elle doit être par rapport à son niveau de développement, proche des pays à revenus élevés.
Vous avez raison, puisque des études démontrent que du fait du changement climatique, les ressources en eau potable se raréfient…
Pour l’instant, je pense que les enjeux consistent à s’assurer que toute l’eau qui tombe ne parte pas à la mer. Il y a déjà de bons réservoirs au centre de l’île. Ce sont des points forts. Il y a quelques grands réservoirs qui ont été bien planifiés dans le schéma directeur. Mais, de toute façon, ils doivent être réhabilités et être mieux gérés. Nous devons aller un peu plus loin et augmenter leur capacité de rétention d’eau. Il faudra traiter tout cela avec beaucoup d’intelligence.
Comment planifiez-vous la mise en œuvre de cette bonne gestion dont vous parlez ? Il revient à la CWA de le faire. Nous sommes là en appui. Le ministère des Finances, qui pilote le projet, dispose de certains pouvoirs, parce qu’il lui revient de décaisser le financement. Comme je l’ai dit, les 200 millions d’euros doivent être décaissés sur quatre ans. Un comité de pilotage a été institué afin de faciliter le dialogue avec des professionnels qui sont sur place grâce à l’assistance technique. L’organisation d’une réunion annuelle des bailleurs sur le secteur de l’eau, sous la présidence du ministère des Finances, est prévue pour développer un dialogue approfondi, particulièrement sur le volet financier. La mise en œuvre du projet est régie par la matrice de politique publique d’eau, sous le pilotage du ministère de l’Énergie et des Services publics. Ce dialogue permet de garder le momentum.
Nous savons que, dans la vie, et c’est le cas pour la CWA aussi, nous sommes pris dans le rush quotidien à régler les pannes, etc. Par conséquent, le partenariat avec un bailleur permet de définir ensemble la vision à moyen et long termes. C’est la force du dialogue. Je pense que nous sommes vraiment dans la modernité, dans de nouveaux outils financiers. Je l’ai découvert partiellement aussi ici. J’avoue que je trouve que dans une relation avec des pays matures comme Maurice, cela fait tout à fait sens d’intervenir en partenariat au niveau du ministère des Finances et du ministère s’occupant de la gestion de l’eau pour un accompagnement global.
Vous venez signer un protocole d’accord portant sur une subvention de 500 000 euros… Comment sera-t-elle utilisée ? C’est une subvention de 500 000 euros parce que ce sont des fonds de préparation de projets. J’ai pas mal vanté le prêt de politique publique de 200 millions d’euros qui a été approuvé l’année passée. Mais nous continuons de faire des projets. Et comme nous souhaitons éventuellement mobiliser un nouveau prêt de l’AFD pour faire ces investissements, nous offrons une subvention de 500 000 euros pour préparer ce programme.
Dans le budget 2024-25, il y a des investissements qui sont cités. Mais nous observons que certains projets, comme le barrage de la Rivière-des-Anguilles, sont reportés d’année en année parce que les capacités de mise en œuvre ne sont pas forcément présentes. Les 500 000 euros permettront de choisir les investissements qu’on fera avancer. Le ministre des
Finances a, lors de la cérémonie de signature cette semaine, cité les projets d’investissements qu’il considère prioritaires. C’est une façon d’inviter à prendre en compte ces projets-là pour compléter les investissements, faire des études et travailler tout cela ensemble.
D’autres prêts sont donc prévus dans un avenir proche ? Oui, c’est l’idée. Les prêts pourront venir de l’AFD ou d’autres bailleurs de fonds. Les besoins en matière d’investissements pour les projets identifiés sont de l’ordre de deux milliards d’euros. L’AFD envisage de faire un prêt de 100 millions d’euros pour les investissements. Ce qui est assez énorme si nous tenons compte qu’un prêt de 200 millions a déjà été accordé pour la politique publique. Il faut ajouter que, pendant la crise Covid, la France, à travers l’AFD, a accordé un prêt de contingence d’un montant de 300 millions d’euros et une enveloppe d’assistance technique de quatre autres millions. Le prêt avait pour objectif le renforcement de la capacité de réponse immédiate du pays à la crise économique et sanitaire du Covid 19 et le renforcement de la résilience à long terme face aux crises sanitaires et climatiques futures. Il intègre deux dimensions indissociables de la résilience : éviter un déchirement du tissu social dans la crise du Covid -19 et ses répercussions en prévenant une hausse des inégalités et des vulnérabilités, et encourager une transition écologique. Cela peut parfois nous faire de la peine de voir que nous faisons beaucoup, mais que nous ne sommes peut-être pas assez doués pour le communiquer.
Votre intérêt concernant la gestion de l’eau touche également Rodrigues, n’est-ce pas ? Les problématiques à Rodrigues ne sont pas les mêmes qu’à Maurice, parce que là, en revanche, il y a un gros manque d’eau. Et on peut voir clairement que lorsqu’il y a un manque d’eau, elle est assez bien gérée. Il n’y a presque pas de pertes à Rodrigues. Il y a une tendance à avoir recours au dessalement de l’eau de mer. Au nom du développement durable, nous pensons qu’il faut envisager aussi d’autres pistes. Pour répondre à ces problématiques, un protocole d’accord tripartite a été signé en février dernier entre l’Assemblée Régionale de Rodrigues (ARR), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’AFD concernant un Fonds d’expertise technique et d’échanges d’expériences (FEXTE) pour une étude sur les eaux souterraines à Rodrigues, d’un montant de 1,3 million d’euros.
Le BRGM est une structure française d’ingénierie et d’hydrologie qui a été chargée de réaliser une étude sur les ressources en eau souterraine de Rodrigues. Il s’agira de repérer les eaux souterraines dans toute leur complexité. Une première étude sera soutenue sur Rodrigues et permettra d’acquérir les connaissances et les données hydrogéologiques nécessaires par l’intermédiaire d’approches scientifiques éprouvées et de méthodes performantes, afin de les valoriser dans la gestion opérationnelle des eaux souterraines. Concrètement, le projet permettra, d’une part, d’améliorer le mix eau de Rodrigues et de limiter le recours au dessalement en identifiant le potentiel des ressources en eaux souterraines, des sites de forage d’eau prometteurs; et d’autre part, d’obtenir les éléments d’une base de données hydrogéologiques stratégiques pour l’île.
La méthodologie proposée repose sur une approche multi et interdisciplinaire (géologie, hydrogéologie, hydrogéochimie…) et sur la réalisation d’un levé géophysique héliporté afin d’acquérir une imagerie en trois dimensions de l’intégralité du sous-sol de Rodrigues. Ces données d’entrées seront ensuite interprétées afin de caractériser les ressources en eau souterraine actuellement exploitées par des approches quantitatives et qualitatives. Nous ne pouvons pas pomper sans prendre des mesures préalables pour empêcher de faire rentrer l’eau salée.
Donc, il faut regarder avec beaucoup de minutie. La société BRGM, qui est une société publique, a des techniques spécifiques héliportées pour que nous puissions faire des scans, des photographies de l’île. Et à partir de là, il pourrait être envisagé de faire des forages. Il y a toute une série d’investissements qui pourront être consentis, qui seront peut-être financés à partir du prêt de 100 millions d’euros qui sera accordé à Maurice.
Quels sont les autres secteurs qui vous intéressent ? Nous nous sommes beaucoup engagés dans le secteur de l’eau. À côté, nous travaillons pas mal avec le ministère des Finances, la Banque Centrale et le secteur bancaire sur la finance durable. Nous avons déjà financé plusieurs lignes de crédit avec le programme Sunref. Ce programme va se transformer. On va continuer à travailler avec les banques publiques pour l’AFD, pour la finance climat. Et puis, Proparco, notre filière de secteur privé, continuera de travailler avec la MCB, l’APSA et d’autres. Nous aurons des conditions qui seront plus appropriées pour travailler avec les banques publiques avec un accompagnement fort en assistance technique. Au-delà de tout cela, on aura un appui sectoriel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, faire avancer la finance, c’est aussi travailler avec la banque centrale sur les réglementations, la taxonomie…
Cette fois, nous aurons une subvention pour améliorer l’environnement pour la finance climat avec des programmes d’appui au niveau de la banque centrale, au niveau de l’association des banques. Nous continuerons notre partenariat avec Business Mauritius pour soutenir les entreprises qui cherchent des financements pour se transformer et s’adapter aux changements climatiques ou qui songent à investir dans tout ce qui est des investissements climat et d’adaptation aux changements climatiques ou d’atténuation. Nous nous penchons également sur l’énergie, notamment l’énergie renouvelable à Rodrigues. Une mission est à l’étude pour septembre. Je regarde aussi la gouvernance climatique et tout ce qui concerne les risques côtiers. Nous avons un bon dialogue avec les hôteliers et Business Mauritius afin de créer un dialogue avec le gouvernement sur la meilleure gestion des zones côtières. Il faudrait que les investissements se fassent de manière concertée pour une gestion durable des côtes avec des solutions par la nature. Il y a tout un travail là-dessus. Et il y a également le port. Nous avons financé les portiques dans le passé. Sans compter que nous nous intéressons aussi au patrimoine de Port-Louis. Donc, nous avons un portefeuille dense.
Vous êtes aussi très engagée sur le plan régional ?
Certainement, parce que nous sommes partenaires au sein de la Commission de l’Océan Indien, que nous finançons depuis un bon bout de temps. Et nous avons des très beaux projets avec la COI. Nous avons en cours à peu près cinq projets, dont le projet Hydrométéorologie (Hydromet) pour tout ce qui concerne la météorologie, le projet RECOS, qui concerne le renforcement de la résilience des écosystèmes côtiers et des services associés. Il y a aussi ExPLOI, qui vise à lutter contre la pollution plastique, ou encore le projet Paix, stabilité et gouvernance, qui soutient un rôle plus actif de la COI en matière de diplomatie préventive et médiation des conflits, de promotion de la culture de paix et d’appui au renforcement de la gouvernance. Ensuite le projet de renforcement de la sécurité sécuritaire… Le mot de la fin ? Il y a une alchimie qui s’est bien faite à Maurice et où j’ai pu valoriser mon expérience. À ce titre, je remercie Maurice d’avoir su tirer le meilleur de mon expérience pour qu’on arrive à bien travailler ensemble.