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Qui peut parler pour les wetlands ?

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Le 4 juillet dernier, le Privy Council (Conseil privé du roi) a rendu son jugement dans l’appel interjeté par le ministre de l’Environnement contre Eco-Sud. J’ai eu la chance inouïe de faire partie de l’équipe légale d’Eco-Sud à Londres, aux côtés de Stephen Tromans KC, Sanjay Bhuckory SC, Peter Lockley, Anne-Sophie Julienne, et de notre avoué Francis Hardy.

C’est un jugement historique en matière de droit environnemental, car il redéfinit le locus standi (qualité pour agir) de ceux qui peuvent contester un Environmental Impact Assessment (EIA). Ou, dans ce cas précis, qui est habilité à parler pour les wetlands (zones humides) de Pointe d’Esny ?

L’environnement : l’affaire de tous

Le point de départ du Conseil privé est que « l’obligation en vertu de la section 2 de l’Environment Protection Act (EPA) de 2002, pour chaque personne à Maurice de faire de son mieux pour prendre soin de manière responsable de l’environnement naturel s’applique à toutes les parties du présent appel ». Donc, le ministère et le promoteur devraient être autant concernés qu’Eco-Sud.

Le Conseil privé a, par ailleurs, exprimé sa vive inquiétude par rapport à la progression du projet de développement alors même que l’affaire était devant le Tribunal de l’environnement, la Cour suprême et le Conseil privé.

Le point saillant de ce jugement est que, dorénavant, il ne sera plus nécessaire pour une personne, ou une organisation telle qu’Eco-Sud, qui conteste un EIA, de prouver que ses intérêts financiers ou économiques sont affectés par le projet en question – il leur suffira de démontrer, entre autres, que leurs intérêts, dans le sens le plus large, ont été lésés – en tant que protecteurs légitimes de l’environnement, possédant des antécédents solides. Ce jugement permettra aussi de faire une distinction entre les busybodies (gêneurs) et les individus et ONG de bonne foi.

La décision du Tribunal

Selon l’article 54(2) de l’EPA 2002, lorsque le ministre a délivré un permis EIA, toute personne qui : (a) est lésée par la décision ; (b) est en mesure de démontrer que la décision est susceptible de lui causer un préjudice injustifié ; et (c) a soumis une déclaration de préoccupation en réponse à un avis publié en vertu de la loi, peut faire appel de ladite décision devant le Tribunal. Cette dernière condition vient d’être ajoutée.

Le Tribunal avait adopté une approche très restrictive, en statuant qu’Eco-Sud n’avait pas de locus standi, étant donné qu’elle n’avait pu démontrer que le projet aurait un impact sur elle. Que cela puisse ou non affecter d’autres personnes, elle devait démontrer que cela l’affectera, elle.

La décision de la Cour suprême

Eco-Sud fit appel du jugement du Tribunal à la Cour suprême. Les juges Hamuth-Laulloo et Naidoo ont, dans un jugement avant-gardiste, renversé le jugement du Tribunal, en adoptant une interprétation plus libérale.

La Cour suprême a ainsi jugé qu’Eco-Sud possèderait les qualités requises, sur la base que « pour établir qu’elle est une partie lésée à laquelle un préjudice injustifié est susceptible d’être causé, elle devra faire preuve d’une réelle préoccupation et d’un véritable intérêt pour les aspects environnementaux qu’elle cherche à protéger et d’une connaissance suffisante du sujet en question afin de le qualifier d’agir véritablement dans l’intérêt général, même si aucun droit de propriété ou intérêt individuel n’a été affecté ».

Le jugement du Conseil privé

Le ministère, de concert avec le promoteur, fit appel du jugement de la Cour suprême au Conseil privé. Dans leur jugement, les Law Lords ont statué qu’Eco-Sud satisfait les conditions suivantes : Eco-Sud avait logé des objections et mis en avant des arguments dans le sillage de la procédure qui avait précédé la décision du ministre ; Eco-Sud possède des antécédents solides et un engagement en matière de la préservation des wetlands autour de Pointe d’Esny ; Eco-Sud avait déjà été impliquée dans le projet et ses travaux y relatifs ; Eco-Sud a démontré un intérêt légitime en matière environnementale, qu’elle cherche à protéger, et détient suffisamment de connaissance en la matière, pour être considérée comme agissant sincèrement dans l’intérêt général ; les raisons évoquées par Eco-Sud dans son appel ne sont ni dérisoires ni frivoles: son fondement est basé sur l’expertise considérable que possède Eco-Sud, tel que démontré dans son rapport d’Experts. Qui plus est, le Comité national de Ramsar avait bien fait ressortir que le ministère devait aussi entreprendre une étude EIA sur le projet, ce qui ne fut jamais fait ; et la pertinence de la question soulevée en appel, ainsi que ses conséquences, avait été suffisamment démontrées par EcoSud.

Ce jugement du Conseil privé a donc délivré un certificat de compétence de haute facture à Eco-Sud, car les Law Lords ont reconnu l’excellente contribution d’EcoSud dans le domaine de la protection des wetlands et de l’environnement en général.

De quel préjudice parle-t-on ?

Sur la question du préjudice injustifié, le Conseil privé a déclaré que le préjudice inclut un préjudice relatif à l’intérêt de la personne pour l’environnement, et ne se limite pas au préjudice économique et au préjudice causé à un intérêt privé ; et les personnes ayant un réel intérêt pour les aspects de l’environnement qu’elles recherchent à protéger, et qui ont une connaissance suffisante du sujet, seront en mesure de démontrer que la décision d’approuver la délivrance d’un permis EIA est susceptible de leur causer un préjudice injustifié par rapport à leur intérêt pour cet aspect de l’environnement.

Comment Eco-Sud a-t-elle été préjudiciée ?

Les Law Lords ont jugé qu’Eco-Sud a effectivement subi un préjudice. Premièrement, Eco-Sud est une association qui milite et entreprend des mesures pour la protection de l’environnement à Maurice. Elle possède une expertise en matière de protection des zones humides et de protection du site Ramsar. Une association qui existe pour protéger l’environnement a un intérêt à la préservation de l’environnement. La décision du ministre d’approuver le permis EIA au promoteur met en danger les environnements dans lesquels Eco-Sud a un réel intérêt, lui causant ainsi un préjudice injustifié.

Deuxièmement, Eco-Sud invoque non seulement un préjudice injustifié porté à ses intérêts dans l’environnement, mais s’appuie également sur un préjudice injustifié à ses intérêts privés. Eco-Sud a investi du temps et des efforts dans son travail de préservation de l’environnement du site Ramsar et du lagon de Pointe-d’Esny. Ceci veut dire que les intérêts privés d’Eco-Sud aussi sont susceptibles d’être indûment lésés par la décision du ministre.

Qui peut parler pour les sans-voix ?

Le Conseil privé a invoqué deux analogies intéressantes dans le traitement de la question des préjudices injustifiés. Premièrement, si un projet de développement doit être réalisé dans une nature sauvage idyllique et isolée, où personne ne vit, à l’encontre d’une zone résidentielle ou bâtie, il est peu probable qu’il y ait une personne ayant un intérêt économique ou privé qui ait été indûment lésé.

En conséquence, l’interprétation étroite du préjudice injustifié aurait pour conséquence que la sauvegarde d’une procédure d’appel serait refusée en ce qui concerne la nature sauvage idyllique isolée dans laquelle un environnement vierge pourrait bien requérir une protection, tandis que la sauvegarde d’une procédure d’appel serait disponible dans une zone bâtie, une zone où l’environnement a peut-être déjà été affecté.

Le Conseil privé a donc conclu que, si le préjudice se limitait à un préjudice économique ou à un intérêt privé, dans l’exemple d’une nature sauvage idyllique isolée, personne ne serait donc autorisé à s’exprimer en son nom dans le cadre d’un appel devant le Tribunal.

Deuxièmement, le Conseil privé s’est référé à l’affaire de Walton v The Scottish Ministers, qui faisait allusion à un projet de construction d’éoliennes sur un terrain où se trouve un loch de pêche préféré de balbuzards (oiseaux pêcheurs), qui allait entraver la route de ces balbuzards vers, et depuis, ce loch. Il y était conclu que le balbuzard n’avait aucun moyen de remettre en question le développement proposé sur ce terrain et de « franchir cette étape par lui-même, pas plus que n’importe quelle autre créature sauvage et que, si l’on voulait protéger ses intérêts, il fallait que quelqu’un puisse parler en son nom ». D’où la question : qui parle pour le balbuzard ?

Un jugement porteur d’espoir

Ce jugement du Conseil privé augure une ère nouvelle pour les écologistes. Que ce soit devant la Cour suprême ou le Conseil privé, notre équipe d’avocats avait posé une question très simple, mais pertinente : « Si ce n’est pas une ONG telle qu’Eco-Sud, avec son savoir-faire et ses antécédents irréprochables, qui d’autre peut parler au nom des ‘wetlands’ de Pointe-d’Esny ? ».

Le Conseil privé aura donc donné une voix à la ‘nature sauvage idyllique isolée’, ouvrant ainsi la voie à une protection plus accrue de nos mangroves, nos crécerelles, nos pigeons des mares, nos forêts, nos lagons et nos récifs coralliens, pour ne mentionner que ceux-là. Il était temps que quelqu’un puisse pouvoir s’exprimer en leurs noms afin de préserver leurs intérêts – pour ne pas dire les intérêts communs à nous tous.

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