Dans une interview accordée à Week-End, le Premier ministre adjoint, ministre du Logement et du Tourisme, Steven Obeegadoo, a abordé les enjeux majeurs qui façonnent l’actualité à Maurice. En tant que fervent socialiste et nostalgique du MMM d’antan, il a souligné l’importance cruciale des prochaines élections générales et dressé le bilan des réalisations de l’alliance MSM-ML-Linite Militan, tout en se montrant très ouvert à des alliances stratégiques, comme avec le PMSD pour les prochaines échéances. Steven Obeegadoo revient aussi sur d’autres sujets de l’actualité dont le projet de loi sur le financement politique, le logement social, ainsi que les mesures de résilience post-Covid-19 dans le tourisme et les difficultés rencontrées par Air Mauritius. Le DPM lance un appel aux citoyens pour maintenir un environnement électoral serein en marge des élections à venir.
l Démarrons cet entretien avec un regard sur l’international où une tendance se dessine avec la majorité des gouvernements pas reconduits. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cette année, sur le plan international, il y a beaucoup d’élections. J’aimerais répondre en tant que militant, en tant que socialiste que je suis. En regardant les élections récentes à l’international, on observe une dynamique intéressante de changement politique, où contrairement à ce qui se dit, le monde ne bascule pas à droite. Au Mexique, l’élection d’une femme de gauche est une avancée notable malgré les défis culturels. En Afrique du Sud, l’ANC, au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, voit sa position affaiblie, ce qui est normal, mais les forces de gauche ont bien fait. En Inde, une élection disputée a renforcé la vivacité démocratique du pays. En Europe, bien que la droite et parfois l’extrême droite aient progressé, certains pays scandinaves ont vu la gauche avancer. En France, malgré la montée du Rassemblement National, l’unité de la gauche autour du Nouveau Front Populaire pourrait faire barrage à l’extrême droite. En Angleterre, après 14 ans, un retour de la gauche au pouvoir est notable. Ces évolutions montrent la diversité des démocraties mondiales, capables tantôt de maintenir un régime en place, tantôt de basculer vers un changement démocratique, sans règle générale préétablie. Moi, je regarde l’évolution politique du monde toujours dans cette perspective de ce qui se passe par rapport aux forces progressistes, le combat pour la justice sociale, une meilleure répartition des richesses, le combat écologique au niveau mondial. Tout cela évidemment avec comme fond la tragédie à n’en plus finir à Gaza. Je suis indigné de quelle manière l’humanité en 2024 est capable de permettre qu’un drame pareil se déroule devant ses yeux. Pour en revenir à la question, il y a toute une série de pays au monde où la démocratie est capable soit de garder le régime en place soit de faire basculer un changement démocratique. Il n’y a aucune règle générale. Nous sommes un pays démocratique, où à la fin du jour c’est l’électorat, c’est le peuple qui tranche. Je suis heureux que je sois un citoyen libre dans un pays démocratique et libre, où le peuple aura droit à la parole à Maurice à la fin du mandat du présent gouvernement.
l Puisque nous parlons des élections, la question qui préoccupe les Mauriciens c’est la situation à Maurice. En tant que DPM, avez-vous une idée de la date des prochaines élections générales ?
Je ne suis pas, comment dirais-je, dans le secret. Le Premier ministre a le pouvoir discrétionnaire de décider de la date des élections. La mandature actuelle se termine en novembre, avec une dissolution automatique de l’Assemblée nationale. Avant cela, il peut la dissoudre, à condition que la loi des finances soit votée. Cette loi est généralement votée avant fin juillet. Une fois dissoute, les élections peuvent être organisées dans les quatre semaines suivantes, ou une campagne plus longue peut être décidée, comme l’avait fait Paul Bérenger en 2005. Nous savons qu’une élection partielle est prévue en octobre, mais le PM peut décider de dissoudre avant cette date pour éviter cette élection. Tout comme, théoriquement, on peut toujours avoir une élection partielle et dissoudre par la suite. Mais ce serait du jamais vu qu’une élection partielle se tienne un mois avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Vraiment, à ce stade, je ne sais même pas si le PM a une idée précise ou s’il a pris une décision sur la date des élections.
l Nous nous attendions à cette réponse indiquant que c’est la prérogative du Premier ministre…
Je ne le dis pas en pratiquant la langue de bois. Je vous dis la réalité des choses, qui est que le DPM n’est pas constitutionnellement tenu au courant de la date des élections.
Pensez-vous néanmoins que nous devrions, comme dans d’autres démocraties, fixer les dates des élections à l’avance, à moins qu’il y ait des élections anticipées ?
Il y a différents modèles introduits sur le plan international. Il y a des pays parfois où une date est fixée bien à l’avance, donc cinq ans après la date des dernières élections. On peut avoir, comme je crois que c’est le cas en Inde, la commission électorale qui choisit la date des élections. Je pense que c’est un débat très pertinent. La plateforme militante, mon parti, s’était exprimée dans le temps en faveur d’une date déterminée par une instance autre que l’exécutif, mais cela ne faisait pas partie de notre accord politique. Donc, la question ne se pose pas pour nous aujourd’hui, mais elle se posera très certainement à l’avenir.
l Justement puisque vous parlez de cet accord électoral entre votre parti et le MSM, à l’approche des élections, quel est votre sentiment en tant que leader de Linite Militan, concernant les rumeurs d’une possible alliance entre le PMSD et le MSM ? Pensez-vous que votre poste de DPM soit menacé ?
Qu’importe le poste, je ne suis pas entré en politique par ambition pour avoir un poste quelconque, J’ai l’ambition de mes idées. J’ai considéré pendant de longues années de ma vie que la façon la plus efficace de faire avancer ces idées, c’était au sein du MMM de par l’espace démocratique interne et les options idéologiques énoncées par ce parti depuis sa naissance. Mon engagement au MMM, de militant de base à 15 ans, à secrétaire général au fil des années a été centré sur des principes démocratiques et idéologiques. J’ai écrit la constitution actuelle du MMM et on m’avait décrit comme étant le gardien du Temple. Exclu en 2018, après nos défaites électorales, j’ai choisi une alliance avec le MSM basée sur leur bilan social et politique de 2014 à 2019, incluant le salaire minimum, l’augmentation des pensions et d’autres réformes. Nous avions fait ce choix, avec Ivan Collendavelloo, lui plus tôt, Alan Ganoo et des militants du MMM comme Tania Diolle, Dorine Chukowry, Kavy Ramano, Vikash Nuckheddy. Et nous avons contribué à une victoire significative en 2019. Je considère que nous avons un bilan élogieux en réformes économiques et sociales, qui me rend fier. Nous terminons notre mandat avec vigueur, avançant sur des projets en cours et préparant notre bilan et notre vision du futur.
l Vous vous voyez donc aux côtés du PMSD, quel que soit votre numéro: 2, 3, 4 ?
Encore une fois, je ne sais pas ce qui se trame. Je ne peux prédire l’avenir. Actuellement, le PMSD n’est plus dans l’alliance PTr-MMM. Je serais ravi si le PMSD nous rejoignait ou si d’autres de l’opposition soutenaient notre action. Quant à mon rôle, je ne suis pas attaché à un poste. Devenir DPM n’était pas prévu dans notre accord avec le MSM, mais c’est le Premier ministre qui a choisi de me nommer. C’est un concours de circonstances qui fait qu’à un certain moment, mon ami Ivan Collendavelloo n’était plus DPM. Il nous a beaucoup manqué au gouvernement, étant donné ses compétences et son expérience. C’était une surprise pour moi, mais j’ai accepté avec enthousiasme malgré la charge de travail en étant à la fois ministre du Logement, ministre du Tourisme et DPM. Après les élections, je serais heureux de continuer à servir, peu importe le poste.
l Puisque vous parlez de militantisme, est-ce que vous pouvez clarifier quelque part la position d’Ivan Collendavelloo au sein de l’alliance gouvernementale ?
Nous formons une alliance avec quatre parties, incluant l’OPR depuis la formation du gouvernement. Maintenir la cohésion et l’unité après la révocation d’Ivan Collendavelloo a été une grande réussite pour notre alliance. Son départ n’a jamais remis en question notre cohésion avec le Muvman Liberater. Je salue bien bas Ivan et son équipe pour leur fidélité face à nos engagements envers la population. Cette alliance fonctionne bien et je suis convaincu qu’elle sera reconduite aux prochaines élections, ouverte à d’autres forces politiques acceptables, comme le PMSD.
l Avec les élections en point de mire, quelles sont vos principales préoccupations en termes de stabilité politique et de sécurité électorale ?
La violence politique n’est pas dans nos mœurs et nos traditions. Nous avons connu des tensions à l’indépendance et dans les années 1990 avec le Hizbullah. Nous sommes un pays démocratique et les gens savent qu’il y a régulièrement des consultations électorales, il y a d’autres moyens de s’exprimer. Dans notre pays, les gens et les opposants s’expriment librement à longueur de journée sur les ondes des radios, dans les journaux. Nous avons aussi un Premier ministre qui est très à cheval en termes de sécurité et il a pu garantir aux Mauriciens, justement, l’ordre et la stabilité. En campagne électorale, le côté désagréable, ce sont surtout ces nombreuses bases, d’où un projet de loi que je soutiens pour en limiter le nombre. Certains comportements sous influence d’alcool ou de drogues illicites sont répréhensibles, mais dans l’ensemble, nous sommes habitués à des élections animées, mais respectueuses. Je fais confiance aux Mauriciens pour garantir une campagne électorale sereine.
l Quelles est votre appréciation de l’opposition dans sa nouvelle configuration ?
Ça ne prend pas. Dans ma circonscription, je constate que les gens peuvent être attachés à des personnalités établies, mais il n’y a pas d’engouement ni d’intérêt marqué. Les travaillistes se disent « kifer bizin Bérenger ? » Les militants, en bon nombre, ne veulent pas du Dr Navin Ramgoolam— avec tout le respect que je lui dois— comme Premier ministre du pays demain. C’est une alliance qui ne passe pas. Évidemment, aucune élection n’est gagnée d’avance, et je rappelle à mes militants qu’aucune élection n’est jouée ni perdue d’avance.
l Pouvez-vous expliquer pourquoi le Political Financing Bill, que vous qualifiez de « projet de loi historique » est si crucial pour la démocratie mauricienne ?
La démocratie à Maurice, tout comme ailleurs, est menacée par le pouvoir croissant de l’argent privé en politique. Aujourd’hui, les campagnes électorales sont devenues des exercices coûteux de communication et de publicité, favorisant ceux qui ont les ressources financières. Loin de nous, cette période de mon adolescence, où les affiches se rédigeaient à la main, où il n’y avait pas d’Internet, mais des haut-parleurs pour faire entendre nos messages dans les rues, où la politique reposait sur le volontariat passionné, loin de l’influence financière actuelle. À cette enseigne, je défends trois principes démocratiques fondamentaux : le droit à tous d’être candidats, le principe “une personne, un vote”, et l’égalité des chances pour tous les candidats pendant la campagne. Malheureusement, le pouvoir de l’argent privé fausse ces principes, favorisant les options politiques alignées sur les intérêts financiers. Nous avons élaboré un projet de loi historique pour réguler et lutter contre l’idée que tout en politique a un prix. Bien que je refuse de dire que tout est à vendre, beaucoup peut être influencé par l’argent privé dictant la direction politique, non seulement à Maurice, mais mondialement. Par exemple, le transport des électeurs, considéré depuis des décennies comme un acte de corruption en Grande-Bretagne et en Inde, reste légal à Maurice. Notre plateforme militante s’engage fermement à imposer des limites strictes au pouvoir de l’argent privé, promouvant la transparence totale et l’autofinancement des partis ainsi que pour le financement public pour des élections. Bien que le projet de loi actuel soit un premier pas historique, son introduction proche des élections à cause de la pandémie de Covid-19 a posé des défis. Nous avons commencé à travailler sérieusement sur ce sujet en 2022 avec un comité interministériel, mais beaucoup reste à faire pour protéger véritablement notre démocratie contre l’influence démesurée de l’argent privé.
l Vous avez parlé d’un « test du sens de responsabilité » pour l’opposition parlementaire. Est-ce que le gouvernement envisage une meilleure collaboration avec l’opposition pour améliorer ce projet de loi ? Enlever les clauses qui fâchent….?
J’avais dit trois choses. J’avais dit que c’est un test de sérieux, test de responsabilité et de cohérence. Premièrement, je voulais vérifier leur présence au Parlement pour débattre, étant donné les rumeurs contraires. J’avais noté l’absence de la conférence de presse habituelle et conjointe Ramgoolam-Bérenger avant les débats. Je me suis alors dit qu’ils ne pouvaient pas s’accorder. Heureusement, ils sont finalement venus à l’Assemblée nationale. Deuxièmement, je m’attendais à du sérieux dans l’examen du projet de loi, mais l’opposition est venue au Parlement simplement pour critiquer le MSM sans analyser en détail le projet de loi. Ils n’ont proposé aucune alternative concrète ni répondu aux questions complexes sur le financement des partis politiques. Troisièmement, j’ai recherché la cohérence, me rappelant les désaccords de 2019 parce que la dernière fois, ça avait été la cacophonie. Si le MMM avait plus ou moins une ligne politique, les députés du Parti travailliste disaient tout et son contraire. Cette fois, Xavier Duval a quand même formulé quelques propositions. Ça, je n’en ai pas entendu du côté de l’opposition.
l Le projet de loi discuté inclut des clauses sur les donations en espèces et l’obligation d’avoir un compte bancaire pour les partis politiques. Comment ces mesures renforceront-elles la transparence financière ?
C’est évident. Les partis auront à s’enregistrer. Ils auront aussi à tenir un registre des dons. Ces registres pourront être inspectés par le commissaire électoral. Les dons sont définis dans la loi. Donc, il y a au cœur même de ce projet de loi un mécanisme de transparence, et d’accountability. Les partis seront redevables envers le commissaire électoral. Je suis convaincu que ce projet de loi représente un premier pas crucial pour instaurer un contrôle sur le financement des partis politiques. Bien que j’aurais souhaité des mesures plus ambitieuses, je pense qu’il est important d’ouvrir un débat, comme l’a suggéré Xavier Duval. Si l’opposition avait proposé des alternatives sérieuses, nous les aurions considérées avec tout le sérieux nécessaire. Le gouvernement veut avancer et ne souhaite pas perdre de temps sur des projets non viables. Il est important de voter ce premier projet de loi sur le financement pour contrer les accusations de money politics dirigées contre l’alliance gouvernementale.
l Quelle est votre appréciation du déroulement des travaux parlementaires ?
Je suis extrêmement déçu . Depuis mon élection en 1994, principalement en tant qu’opposant, je n’ai jamais vu une telle situation. Pour l’essentiel de ma carrière politique parlementaire, j’ai été dans l’opposition, puisque j’étais au MMM. J’ai interpellé le gouvernement du jour, des bancs de la majorité en tant que backbencher. Je me suis également fait expulser du Parlement par le Speaker d’alors, M. Seetaram. Mais je n’ai jamais vu un tel Parlement. On blâme souvent le Speaker pour ses décisions, On attribue les fautes, les manquements, au président de la Chambre. Il a ses qualités, il a ses défauts. Il ne prend d’ordre de personne. Et il fait souvent des mécontents, dans l’opposition comme au sein de la majorité. Seulement l’opposition le dit ouvertement. La majorité ne peut pas le dire. On va gêner le Speaker… Le Parlement devrait être comme un match de sport avec des règles et un arbitre. Si l’on choisit de participer, on doit accepter les règles, même si l’on trouve l’arbitre injuste. L’opposition conteste constamment la légitimité des élections et du Parlement, ce qui perturbe le fonctionnement démocratique du pays. Malgré des désaccords avec certains présidents de la Chambre par le passé, je n’aurais jamais insulté ou injurié le président, car j’ai le respect des traditions parlementaires comme inculqué par le MMM.
l Vous avez parlé de mécontentement aussi du côté du gouvernement par rapport à l’attitude du Speaker parfois. Et vous dites ne rien dire pour ne pas gêner le Speaker lui-même…
Bien sûr, c’est la pratique dans toutes les démocraties parlementaires, de style westministérien, n’est-ce pas ? Le Speaker est élu par la majorité. Une fois élu, on lui fait confiance. Heureusement qu’il ne plaît pas toujours à la majorité, sinon ce serait grave. Il m’est arrivé que j’aie une question de l’opposition, et je veux répondre. Je suis tellement heureux de pouvoir répondre. Il me dit non, la question n’est pas en règle ou en conformité avec les Standing Orders. Je ne suis pas content sur le moment. Mais heureusement que c’est comme ça, c’est bon pour la démocratie.
l Vous pensez que le Speaker actuel remplit ce rôle de manière impartiale ?
Chacun a son opinion. Ce que je dis, c’est que chaque Speaker a ses qualités et ses défauts. Le Speaker idéal n’existe pas. Aujourd’hui, on glorifie la mémoire de sir Harrilall Vaghjee, qui sans doute a été un grand Speaker, mais qui a lui aussi été contesté. Quand Yousouf Mohamed était Speaker, combien n’a-t-il pas été contesté par le MMM. Et le Speaker Seetaram ? Je peux vous donner de nombreux cas… Je dis que chaque Speaker a son style. Au-delà de ce style, ce qu’il fait ou ne fait pas au Parlement est aussi dicté par le comportement des uns et des autres.
l Mesurez-vous le préjudice que les comportements du Speaker projettent sur le gouvernement puisqu’il est perçu comme bias par la population, parce qu’il n’agirait pas de façon impartiale dans son rôle…
Certainement, pour ceux qui sont influencés par la campagne de l’opposition, qui prétend que le Speaker est dirigé par la majorité et reçoit des ordres du Premier ministre chaque matin, cela renforcera leur sentiment anti-gouvernement. Mais moi, je fais confiance à l’intelligence des gens.
l Vous avez évoqué “une stratégie bien calculée de l’opposition”, en retour, celle-ci accuse le Gouvernement de time wasting lors des PNQ, PMQT ou PQs, ce qui ne permet pas d’aller au fond des problématiques. Qu’en dites-vous ?
Je disais qu’il y a souvent une stratégie délibérée. Par exemple, la PNQ du jour (vendredi) posée par le leader de l’opposition, qui n’est pas né de la dernière pluie, car il est parlementaire, si je ne m’abuse, depuis 1987. Il devrait savoir qu’il était inadmissible, car elle touchait plusieurs sujets relevant de différents ministres. Le leader de l’opposition, avec son expérience, sait que ces questions doivent être spécifiques au PM. En posant cette question, je crois qu’il cherchait à créer une polémique en sachant qu’elle serait rejetée, ce qui permettrait ensuite d’accuser le Speaker et le gouvernement de vouloir cacher des informations, décrédibilisant ainsi l’Assemblée nationale et le GM. Voilà, c’est ce qui m’amène quelquefois à me demander s’il n’y a pas de stratégie délibérée pour décrédibiliser à la fois l’Assemblée nationale, son président , l’exécutif, donc le gouvernement, avec un agenda partisan.
l Steven Obeegadoo, vous n’êtes pas sans savoir que l’épisode de l’évacuation des squatteurs avec des enfants en bas âge est resté comme un stigmate de votre action comme ministre. Qu’avez-vous à en dire ? Regrettez-vous ou vous feriez la même chose aujourd’hui ?
Gouverner est infiniment plus difficile que d’être dans l’opposition. Quand j’étais dans l’opposition, il suffisait de faire des discours percutants au Parlement, poser des questions et organiser des conférences de presse. C’était facile et agréable, mais cela ne contribuait en rien de concret. En tant que ministre de l’Éducation, j’ai lancé plusieurs réformes importantes malgré les critiques virulentes. J’ai créé les zones d’éducation prioritaires, développé une graphie consensuelle de la langue créole, rendu la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et aboli le classement du CPE. Ces initiatives ont été contestées et utilisées pour des campagnes politiques, mais aujourd’hui, l’histoire retiendra leur importance. Actuellement, en tant que ministre du Logement, je gère la question des squatteurs, en veillant que chaque famille méritante soit relogée de manière adéquate. Cette histoire de squatteurs doit être replacée dans le contexte du Covid-19. Pendant cette période, il y avait une interdiction de sortir de chez soi. Certaines personnes cherchaient à en profiter, bien que je ne nie pas leurs difficultés personnelles, comme beaucoup à travers le monde en ont. Certains ont choisi ce moment, quand la police avait d’autres priorités et que le gouvernement travaillait à protéger les Mauriciens en limitant les contacts entre individus non vaccinés, pour occuper les terrains de l’État. Il y avait deux choix : fermer les yeux et se dire que ce sont des gens pauvres, avec des enfants, donc laisser faire. Mais si on les laisse faire, ils seront 100 demain, 200 dans deux semaines, et bientôt un millier à s’approprier des terrains à travers l’île. Croyez-vous sérieusement qu’un gouvernement responsable peut gérer un pays ainsi ? Dans les pays comme la France et d’autres grandes démocraties, aurait-on permis cela ? C’est impensable, cela aurait été ingérable. Alors, que s’est-il passé ? Une enquête sociale a été menée. On s’est assuré que tous les cas méritants aient une maison. Aujourd’hui, grâce à un travail étroit avec les ONG, je suis heureux de dire que les familles méritantes ont été relogées dans des maisons de relais de la NHDC. Malheureusement, l’opposition a tenté d’utiliser cela comme une campagne politique. En parlant des squatteurs, le GM s’est engagé à régulariser tous ceux installés avant 2015. Actuellement, nous devons libérer les terrains autour du réservoir de la ferme pour permettre des réparations nécessaires à ce réservoir ancien, crucial pour les flux d’eau. Aujourd’hui, il n’y a pas une seule structure qui est démantelée sans que la famille concernée ne soit garantie un logement à La Valette. Mais il y aura toujours quelques familles, sans doute incitées par les opposants, à venir nous dire : “Ah, mais on est en train de démanteler ma maison…” Mais ce n’est pas vrai.
l Rs 2,7 millions par logement social. Pensez-vous que ce coût soit réaliste pour les Mauriciens visés par ce programme ?
Les acquéreurs ne paient pas le coût réel des logements : ni Rs 2,7 M, ni Rs 3 M, ni Rs 3,5M. Pour la première fois, l’État subventionne plus de deux tiers du coût des unités résidentielles, soit 67%. Avec les frais externes comme la construction de routes, de drains et les services publics, l’État finance peut-être jusqu’à 75% du coût total. Ainsi, les acquéreurs peuvent devenir propriétaires en payant environ Rs 950 000, parfois moins, sur une période de remboursement étendue jusqu’à 35 ans, avec un dépôt initial de 10%, facilité en cas de difficulté financière. Il est rare qu’une personne ne puisse pas accéder à un logement social. Nous encourageons même l’achat en copropriété, notamment pour les personnes âgées avec des revenus limités. Nous construisons au maximum et rapidement pour répondre à la demande, contrairement à d’autres gouvernements qui n’ont pas suivi cette voie. Il y a des défis comme l’acquisition frauduleuse de logements destinés à des personnes nécessiteuses, mais nous maintenons un processus de sélection rigoureux pour prévenir ces abus. Si les gouvernements précédents avaient fait comme nous, il n’y aurait plus de liste d’attente à la NHDC. Donc, on est en train de construire le maximum que l’on pourrait faire et au plus vite. Et je cite toujours l’exemple d’une personne pour qui j’ai éprouvé beaucoup d’admiration, Mme Ardern, qui était PM de la Nouvelle-Zélande. Vous savez quoi ? Elle avait un programme très ambitieux de construction. Quand le Covid a frappé, elle a dit à la population: « Désolé, on n’a plus les moyens de le faire, et ça a été renvoyé à plus tard. » À Maurice, on a tenu bon!
l Parlons un peu de tourisme. Qu’avez-vous donc à dire, à ce jour, sur ce secteur d’activité dont vous avez aussi la responsabilité ?
D’abord, parlons de notre résilience face à la pandémie. Maurice, fortement dépendante du tourisme avec près de 1,4 million de visiteurs avant le Covid, a fermé ses frontières pendant 18 mois. Grâce à des mesures comme le Wage Assistance Scheme et le soutien financier aux hôteliers, nous avons évité des fermetures massives et limité les licenciements, tout en permettant aux opérateurs privés de rénover et de former leur personnel. Mais beaucoup d’employés du secteur sont allés voir ailleurs. Donc, le premier élément du bilan, et ce n’est pas rien, c’est d’avoir tenu le coup et d’avoir rebondi. Aujourd’hui, je ne suis pas peu fier que la croissance économique ait été attribuée à hauteur de moitié au secteur touristique, qui a aussi amélioré notre balance des paiements et les recettes en devises étrangères. Nous avons réussi à rebondir avec succès, comme l’a reconnu récemment le FMI. Les revenus par touriste ont augmenté de 46 % par rapport au pré-Covid, et les revenus totaux du tourisme sont passés de Rs 63 milliards en 2019 à Rs 86 milliards aujourd’hui, malgré la dépréciation de la roupie. Les arrivées touristiques sont sur le chemin de dépasser les niveaux de 2019 malgré moins de capacité aérienne. Il y a certains marchés, comme le marché français, le marché britannique, où nous faisons mieux. Nous avons aussi vu des investissements significatifs dans le tourisme, avec 19 nouveaux projets hôteliers et une augmentation du nombre de chambres disponibles. Mon objectif n’est pas simplement d’attirer plus de touristes, mais de promouvoir un tourisme durable. Malgré les critiques de l’opposition, nous avons agi avec succès et je suis confiant pour l’avenir, en particulier grâce au partenariat public-privé efficace que nous avons établi.
l En même temps, de plus en plus de commentaires sur les sites d’un certain scepticisme de nos visiteurs qui trouvent que la touche mauricienne s’estompe et que le produit n’est pas tout à fait le même...
D’abord, je veux dire que je n’ai pas vu ces commentaires sur les sites Internet. Les touristes qui repartent heureux après leur séjour à Maurice ne publient pas toujours sur Internet, mais notre taux élevé et exceptionnel de repeaters montre leur fidélité. Le tourisme, c’est dur comme métier, nécessitant de longues heures, et parfois pénibles, de travail. Comme dans beaucoup de pays du monde, mes consœurs et confrères ministres du tourisme, au Maroc, dans les Antilles, au Mexique, me parlent de la même chose. En plus, la main-d’œuvre mauricienne diminue avec l’évolution démographique. De plus, les Mauriciens ayant désormais plus de choix d’emploi comme dans les croisières. Ils veulent voir le monde et échapper à notre insularité. À mesure que le niveau de vie des Mauriciens s’améliore, il est normal qu’ils optent de moins en moins pour les emplois qu’ils perçoivent comme étant les plus pénibles. Je ne veux pas occulter le fait que nous faisons face à un vrai problème. Nous devons rendre les métiers du tourisme plus attractifs, bien que ce soit un défi. Comme dans d’autres pays développés, nous devons aussi faire face à la fuite des compétences et à l’attraction de travailleurs étrangers pour certains postes. C’est un dilemme que nous devons gérer pour préserver notre produit touristique, tout en respectant nos valeurs locales. Allez dans n’importe quel restaurant aujourd’hui, aller dans une pharmacie, ou à la station d’essence, vous verrez des étrangers. Mais est-ce qu’en France, en Angleterre ou aux États-Unis c’est différent ?
l Nous avons une authenticité mauricienne qui faisait notre succès…
Absolument. Donc, nous allons devoir redoubler d’imagination pour préserver cette authenticité mauricienne. Comme je vous l’ai expliqué, nous travaillons avec le privé pour maintenir l’attractivité des métiers du tourisme, mais tout en permettant le recours obligé à des étrangers, à des non-Mauriciens. Ainsi est fait le parcours du développement à travers le monde. Ce sont des défis auxquels il va falloir faire face. Et vous avez tout à fait raison de mettre le doigt sur un des plus grands défis auxquels fait face le tourisme, à Maurice, comme dans tous les pays à revenus moyens. C’est quelque chose sur lequel on est penché depuis longtemps déjà…
l Pour rester sur le sujet, Air Mauritius est la cible, aujourd’hui, de la presse internationale pour ses retards, ses pannes et également ses guerres intestines. Quel est votre sentiment par rapport à tout ça ?
Je crois qu’il y a des éléments de vérité et beaucoup d’injustice dans les critiques formulées à l’encontre d’Air Mauritius. Nous avons sauvé notre compagnie nationale en injectant des fonds publics, contrairement à d’autres pays comme l’Italie ou l’Afrique du Sud qui ont laissé couler leurs compagnies nationales initialement. La pandémie de Covid-19 a eu un impact dévastateur sur l’industrie de l’aviation, ce qui a également affecté Air Mauritius gravement. Aujourd’hui, elle fait les frais du manque d’appareils. MK a dû vendre ses appareils pour tenir le coup et actuellement, elle fait face à des défis importants liés à la disponibilité limitée d’avions neufs. Les constructeurs d’avions n’ont pas encore retrouvé leur pleine capacité de production d’avant la pandémie, ce qui rend difficile l’acquisition de nouveaux appareils pour la compagnie. Malgré nos efforts pour maintenir une utilisation optimale de nos avions existants, tout incident comme une panne entraîne des répercussions en cascade. Nous avons recruté des gestionnaires étrangers pour redresser Air Mauritius, mais cela n’a pas toujours été couronné de succès. Malgré nos propres défis, je trouve injuste que notre performance soit comparée à celle d’autres grandes compagnies aériennes mondiales qui rencontrent également des problèmes importants tels que des retards fréquents et des annulations. Bien que nous ayons parfois des retards à l’aéroport à Maurice, il est important de noter que d’autres grands aéroports internationaux, comme Charles de Gaulle à Paris, sont également confrontés à des problèmes similaires. Le secteur de l’aviation est complexe et exigeant, et nous devons reconnaître nos lacunes tout en comprenant que ces défis sont universels. Malgré nos critiques internes, nous devons continuer à nous améliorer constamment et à investir dans notre compagnie nationale pour assurer sa stabilité et sa croissance à long terme.