Le Rassemblement national est arrivé largement en tête dimanche du premier tour d’élections législatives historiques qui pourraient ouvrir les portes du pouvoir à l’extrême droite pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.
Avec 34-34,2% des suffrages, le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen et ses alliés devancent le Nouveau Front populaire réunissant la gauche, qui obtient 28,1-29,1%, loin devant le camp d’Emmanuel Macron à 20,3-21,5%, lors de ce vote marqué par une participation en forte hausse, selon les estimations publiées à 20H00 par les instituts Ipsos et Ifop. Les Républicains qui n’ont pas fait alliance avec le RN s’établissent à 10%.
Les premières projections en sièges pour la future Assemblée nationale, à prendre avec beaucoup de précautions, envisagent pour le RN et ses alliés une forte majorité relative, voire une majorité absolue à l’issue du deuxième tour dimanche prochain.
Après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, annoncée par le chef de l’Etat au soir de la déroute de ses candidats aux élections européennes du 9 juin, le paysage politique devrait être profondément bouleversé.
Mais il s’agit en réalité de 577 scrutins pour choisir autant de députés, et la reconfiguration dépendra des dynamiques d’ici le second tour, dimanche prochain, et des éventuels désistements et consignes de vote dans chaque circonscription. D’autant que le second tour devrait être marqué par un nombre record de triangulaires potentielles.
Selon l’Ipsos, il pourrait y avoir entre 65 et 85 élus dès le premier tour, et potentiellement plus de 300 triangulaires (avant désistements), une situation complètement inédite qui renforce le flou sur les projections.
Parmi eux, le chef du MoDem François Bayrou a dit regretter un « vote sanction » qui représente une « menace ».
Alors que le « front républicain » contre l’extrême droite n’a cessé de se fissurer au fil des ans, le président de la République n’a pas totalement clarifié l’attitude à suivre en cas de duels entre le RN et le NFP ou de triangulaires.
Des ténors de son camp semblaient jusqu’ici plutôt pencher pour un « ni RN, ni La France insoumise », fustigé par la gauche et critiqué jusque dans son propre camp. L’attitude du camp macroniste vis-à -vis des candidats LFI reste incertaine.
A gauche, plusieurs dirigeants ont a nouveau appelé au désistement de leurs troupes si un autre candidat est mieux placé pour faire barrage au RN.
Après avoir entretenu un certain flou, Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, a annoncé que ses candidats se retireraient s’ils terminaient troisièmes et que le RN était en tête.
« Il serait incompréhensible que certains continuent à ne pas faire la différence entre la gauche et l’extrême droite », a réagi la patronne des Ecologistes Marine Tondelier, appelant à la « construction d’un nouveau front républicain ».
Le RN entrevoit la perspective inédite d’obtenir une majorité relative ou absolue le 7 juillet, avec le meilleur score de son histoire au premier tour d’un scrutin, améliorant celui déjà record des européennes.
Incarné par le visage lisse de son jeune président Jordan Bardella, 28 ans, le parti lepéniste espère transformer l’essai dans une semaine.
Si Jordan Bardella entrait à Matignon, ce serait la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un gouvernement issu de l’extrême droite dirigerait la France. Le président du RN a toutefois prévenu qu’il n’accepterait le poste de Premier ministre que si son parti détient la majorité absolue.
Il s’agirait aussi d’une cohabitation inédite entre Emmanuel Macron, président proeuropéen, et un gouvernement beaucoup plus hostile à l’Union européenne, qui pourrait faire des étincelles au sujet des prérogatives des deux têtes de l’exécutif, notamment en matière de diplomatie et défense.
Jordan Bardella a déclaré dimanche soir qu’il « entend être un Premier ministre de cohabitation, respectueux de la Constitution » mais « intransigeant ».
Assemblée bloquée ?
Un autre scénario possible est celui d’une Assemblée bloquée, sans alliance envisageable entre des camps très polarisés, au risque de plonger la France dans l’inconnu.
Malgré des divergences qui pouvaient sembler irréconciliables, la gauche est parvenue à s’unir dans la foulée de la dissolution, malgré des différends entre LFI et ses partenaires qui ont parasité sa campagne, notamment sur le leadership contesté de Jean-Luc Mélenchon.
Pendant ce temps, rien n’a semblé freiner la dynamique du RN en campagne sur le pouvoir d’achat et contre l’immigration: ni le flou sur l’abrogation de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron ni les polémiques sur les binationaux, ou les propos sulfureux de certains candidats d’extrême droite.
Au terme de cette journée qui a vu un fort afflux dans les bureaux de vote, la participation devrait s’établir au moins à 65% des inscrits, selon les instituts de sondage. Soit bien au-delà des 47,51% de 2022, mais en-deçà des 67,9% des dernières législatives organisées après une dissolution, en 1997.
Plusieurs figures de la politique nationale se sont lancés dans la bataille, comme l’ancien président François Hollande en Corrèze (en tête du 1er tour avec 37,7%) ou l’un des ténors de la droite Laurent Wauquiez (en tête dans sa circonscription de Haute-Loire).
Son parti, Les Républicains, a par ailleurs annoncé qu’il ne donnerait pas de consigne de vote avant le second tour.
Plusieurs ministres sont également candidats, et certains d’entre eux étaient réunis dimanche à Matignon, où Gabriel Attal doit s’exprimer dans la soirée.
« Retrouver la sérénité »
En outre-mer, les députés sortants du groupe centriste Liot ou investis par le NFP sont en tête en Guadeloupe et en Guyane. En Polynésie, le candidat autonomiste Moerani Frébault est élu dès le premier tour. Premier élu des 577 nouveaux députés, il sera aussi le premier Marquisien à siéger à l’Assemblée nationale.
Dans les bureaux de vote, beaucoup d’électeurs ont témoigné pendant la journée de leur fébrilité pour ces élections anticipées.
« J’aimerais retrouver de la sérénité car depuis les élections européennes, tout a pris une ampleur inquiétante. Mais il faut continuer à se battre pour ce que l’on croit », a affirmé à l’AFP Roxane Lebrun, 40 ans, à Bordeaux. A Saint-Etienne, Christophe, policier de 22 ans, s’inquiétait d’un scrutin risquant d' »encore plus diviser la population ».
A Rennes comme à Lyon, de nombreux magasins en centre-ville ont protégé leur vitrine par crainte de débordements après l’annonce des résultats.
@AFP