Le-Mauricien a rencontré cette semaine Roshi Bhadain, leader du Reform Party, afin de commenter le budget 2024-25 et la situation politique dans le pays. Il résume l’exercice budgétaire en affirmant que « le gouvernement a donné un œuf pour prendre un bœuf ». Il estime que le revenus provenant des taxes directes et indirectes rapporteront nettement davantage que les Rs 13 milliards de cadeaux faits dans budget. Il prévoit donc que le Premier ministre annoncera d’autres mesures populaires avant les élections. D’autre part, il affiche une grande sévérité à l’encontre de Xavier Luc Duval, avançant qu’il a effectué un « U-turn dégoûtant ». Roshi Bhadain se dit convaincu qu’il y a une opportunité pour un troisième parti en vue des prochaines élections générales et annonce sa candidature à Beau-Bassin/Petite-Rivière (No 20).
Qu’est-ce que vous avez retenu du budget 2024-25 qui a été adopté par le Parlement la semaine dernière ?
Le gouvernement a voulu frapper un grand coup mais n’a pas obtenu les résultats escomptés parce que la population n’a pas vu le Feel Good Factor qu’un gouvernement veut normalement créer avant de s’engager dans la campagne en vue des élections. En termes de chiffres, le paradoxe est qu’à chaque fois que le gouvernement donne de l’argent, les consommateurs mauriciens ont l’impression de devenir plus pauvres. Il y a un facteur extrêmement clair dans le budget et qui explique pourquoi les gens ne peuvent joindre les deux bouts. En analysant les dotations budgétaires, nous découvrons d’où sort le financement nécessaire dans le contexte de ces générosités.
En fait, à vrai dire, le gouvernement prend un bœuf pour donner un œuf. Sur la base des chiffres disponibles dans le budget, Reform Party est parvenu à la conclusion que le gouvernement récoltera Rs 31 milliards sous forme de taxes directes et indirectes et de la CSG. Les différentes augmentations, notamment de la pension de vieillesse et les autres cadeaux du gouvernement, ne coûteront en fin de compte que Rs 13 milliards.
Il faudra également prendre en considération qu’au niveau des Special Funds, les réserves sont passées de Rs 13,2 milliards en 2023 à Rs 880 millions cette année. Ce qui nous fait croire que le gouvernement viendra avec d’autres mesures populaires à la veille des élections comme tel a été le cas en 2019. Mais la population n’est pas dupe quoiqu’en dise le gouvernement ; sa poche lui dicte la vérité.
D’où le gouvernement puise-t-il tout cet argent ?
Comme je vous l’ai dit, des augmentations de la taxe et de la CSG mais aussi de la dette resteront un problème majeur pour le pays. La dette gouvernementale uniquement a augmenté en termes réels de Rs 100 milliards en trois ans et le ministre veut faire accroire que son taux par rapport au PIB baissera grâce à la croissance économique. Le gouvernement est alimenté des ressources financières venant de la dette, de la taxe, de la CSG, des Special Funds. Ce sont les quatre volets qu’il manipule pour ne rien donner du tout ensuite.
Je suis étonné d’entendre les gens dire que « gouvernman inn donn boukou ». Lorsque je leur demande pourquoi autant de gens veulent quitter le pays pour travailler ailleurs, ils répondent que l’avenir n’est pas assuré à Maurice et que la situation n’est pas bonne. En vérité, plus les gens obtiennent de l’argent plus ils s’appauvrissent parce que l’argent perd de sa valeur… Le coût de la vie ne cesse d’augmenter et le pouvoir d’achat continue à baisser.
On manipule les chiffres. Toutes les statistiques en termes de croissance et d’inflation ne reflètent pas la vérité. Nous avons qu’à entendre la rhétorique sur la dette. On a entendu le ministre dire que le taux de la dette est en train de baisser en termes de pourcentage alors qu’en termes absolus la dette publique est en train de grossir. Comment pouvons-nous dire que le PIB pourra s’agrandir par un quart de trillion de roupies pour atteindrer un trillion de roupies alors que nous ne prévoyons pas de nouveaux pôles de développement. N’importe qui peut vous dire que cet objectif est totalement irréaliste.
Il y a l’industrie touristique qui constitue un apport considérable en devises…
Nous affirmons que nous générerons plus de touristes. Mais est-ce qu’il y a suffisamment d’avions ? L’aéroport peut-il accueillir autant de passagers? Les établissements hôteliers peuvent-ils accueillir autant de personnes ? Admettons que nous veuillons atteindre 2,5 millions de touristes, comment seront-ils acheminés à Maurice ? Combien d’avions peuvent atterrir à l’aéroport SSR ? Qui sont ceux qui travailleront dans ces hôtels puisque les Mauriciens ne veulent pas y travailler ? Les établissements hôteliers ont un déficit de 3 000 employés et sont obligés de recourir aux travailleurs de Bangladesh, du Népal, de l’Inde et d’ailleurs – qui doivent être formés pour être à la hauteur des Mauriciens. Le sourire et l’hospitalité mauriciens sont désormais importés. Il faut donc faire les choses différemment.
De quel nouveau système parlez-vous ?
Vous savez, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle. Ce ne sont pas seulement nos politiciens qui sont dépassés mais nous sommes arrivés à un niveau où le monde avance rapidement. Avec l’arrivée des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle, le modèle est en train de changer. Durant la pandémie de Covid nous avons réalisé qu’il y a beaucoup de personnes qui travaillent From Home, qu’il y a beaucoup plus d’interaction par visioconférence.
L’intelligence artificielle et la technologie sont utilisées de plus en plus. Les choses deviendront beaucoup plus efficientes, rapides et transparentes dans un certain sens dans les années à venir. Nous parlons de e-health, entre autres, mais avec tout le système administratif et les projets qu’il y a à la porte, le système n’a pas été mis en oeuvre jusqu’à maintenant. Le système d’éducation avec le Chat GPT est en train de changer. Tout devient Online.
LM’école telle qu’elle a été inventée par Charlemagne n’existera plus. Le système des affaires est en train de changer. En Thaïlande, on parle désormais de Digital IP Residence, qui apporte beaucoup d’argent. Les gens peuvent ne pas être à Maurice tout en faisant du business dans l’île. Ils peuvent enregistrer une compagnie, ouvrir un compte bancaire, employer des Mauriciens et s’occuper de questions administratives dans le pays sans être à Maurice. Ils peuvent toutefois avoir une Digital Residency en conformité avec les normes internationales. En Thaïlande, on les appelle des Digital Nomads.
Au niveau de l’emploi des jeunes, nous préconisons la création d’un New Entrepreneur Support Scheme, qui aiderait les jeunes à créer leurs entreprises sans passer par les complexités administratives. Sur le plan du programme du Reform Party, nous proposons un ministère dédié à la Youth Economy – qui est un nouveau concept économique fondé sur la jeunesse.
Tout cela figure dans notre programme, qui prend en considération l’évolution de la situation dans le monde et comment nous devons nous y prendre. Comme vous le savez, nous avons depuis l’année dernière travaillé sur une liste de 80 réformes couvrant tous les secteurs économiques, sociaux et politiques.
Cela fait sept ans que vous avez démissionné du gouvernement, quelle expérience tirez-vous de cette période ?
Mon but, lorsque j’avais quitté le gouvernement en 2017, était d’expliquer où était le problème. J’évoluais dans un système mafieux. J’ai expliqué ce qu’est Lakwizinn. J’ai expliqué que je ne pouvais pas être partie prenante de ce qui se passait.
Au fil des années, les gens réalisent que tout ce que j’ai expliqué à tous les journalistes s’est produit. La ville de Quatre-Bornes est un exemple. Le Reform Party a organisé une réunion à Belle-Rose, samedi dernier, et beaucoup de personnes sont venues me dire que j’avais eu raison sur plusieurs points. Ils m’ont rappelé ce que j’avais dit concernant le Metro Express. Il y a eu des décès. Ils m’ont rappelé que beaucoup de personnes disaient non au Metro à l’époque. Mais aujourd’hui, Kavy Ramano – qui était de ceux qui étaient opposés – est devenu ministre de l’Environnement. Alan Ganoo est devenu ministre du Metro. Tania Diolle donne aujourd’hui raison à Pravind Jugnauth. Xavier-Luc Duval « inn sant tou sante » et aujourd’hui il s’apprête à retourner avec Jugnauth, pour ne pas dire Lakaz Mamaz.
Comment la jeunesse peut-elle avoir confiance dans de tels politiciens ? J’ai démissionné du Parlement en raison de tout cela. Par la suite, Arvin Boolell s’est présenté contre moi. Duval m’avait demandé de démissionner, après il a placé un candidat contre moi. Alan Ganoo avait proposé Tania Diolle. Au final, regardez la ville de Quatre-Bornes et vous verrez qui avait raison et qui avait tort…
Vous avez fait partie du regroupement des partis de l’opposition au sein de l’Espoir. Quel souvenir gardez-vous de ce passage?
Je garde un très bon souvenir. Tout le monde avait bien travaillé. Nous nous rencontrions, tous les mercredis, et nous animions des conférences de presse au Suffren la plupart de temps. J’ai fait beaucoup de recherches sur les chiffres pour venir de l’avant avec des points pour les conférences de presse.
Souvent, nous avions un déjeuner après la conférence de presse. J’ai beaucoup interagi avec Paul Bérenger parce que je ne le connaissais pas avant. La seule différence qu’il y avait entre lui et moi, c’est qu’il négociait en vue d’une alliance avec Ramgoolam. Je pensais que l’Espoir était suffisant pour remporter les élections. Il n’était pas de cet avis après l’expérience du MMM qu’il avait participé seul aux élections. Il pensait que Ramgoolam et le PTr étaient de partenaires idéal. Je lui avais comprendre que je ne croyais pas que Ramgoolam allait changer quoique que ce soit. Je le pensais, et je le pense toujours qu’une fois au gouvernement il mettra le MMM dehors à la première occasion. Il n’était pas d’accord. Je me suis par la suite concentré que le Reform Party…
Le résultat est que l’opposition parlementaire et extraparlementaire est parcellisée.
Vous savez, je suis de ceux qui croient qu’il y a une énergie suprême qui dicte tout ce qui va se produire. Si Dieu le veut, beaucoup de choses se produiront. Je pense sincèrement que Dieu veut un changement à Maurice. C’est ma conviction. Il faut changer le gouvernement et le modèle qui s’est opéré – et avec tout le respect que je dois à tout le monde, que ce soit Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Xavier-Luc Duval, Rajesh Bhagwan et Arvin Boolell –, je pense qu’il est temps de prendre un recul et faire autre chose dans la vie. Ils ont entrepris tout ce qu’ils pouvaient pour amener l’île Maurice là où elle est. Nous sommes reconnaissants pour tout ce qu’ils ont fait ; maintenant, il faut regarder vers l’avenir.
Je comprends qu’il y a un problème parce qu’il n’y a pas de Successor Planning dans leurs partis. Au MMM, Joanna Bérenger est arrivée un peu tard dans l’équation pour pouvoir prendre en main le parti tout de suite. Paul Bérenger attendra encore avant de passer la main.
Navin Ramgoolam a d’autres problèmes. Je pense qu’il a empêché les gens de grimper au sein de son parti et aujourd’hui il paie le prix de ne pas avoir fait confiance à ses propres lieutenants. Arvin Boolell a perdu depuis longtemps la chance de prendre en main le PTr. Rajesh Bhagwan a beaucoup fait pour la circonscription No 20. J’ai beaucoup de respect pour lui. Il devrait laisser Roshi Bhadain aller de l’avant pour les années à venir.
Jürgen Klopp, qui était de l’équipe de Liverpool, est un exemple à ce niveau. Après avoir entrainé Liverpool après autant d’années, d’avoir beaucoup fait pour son équipe il estime qu’il n’avait pas suffisamment d’énergie à donner à son équipe et a préféré partir. Les anciens politiciens doivent accepter que dans l’intérêt du pays, il faut faire de la place aux jeunes. Le progrès vient avec le changement. Sinon ce sera le statu quo. Les gens ont peur du changement. Mais sans changement nous ne progresserons pas.
Rama Valayden, de Linion Morisien, se dit disposé de vous rencontrer à condition que vous mettiez de l’eau dans votre vin ? Que répondez-vous à cela?
Je n’ai aucun problème avec cela. Je ne suis pas ambitieux au point de dire que je suis obligé de devenir le Premier ministre du pays. Ma fierté dans la vie est que j’ai accompli plus que ma carrière professionnelle. Ma satisfaction est que mes enfants ont réussi. Un est devenu avocat et l’autre vient de réussir ses études de barreau en Angleterre. C’est ma fierté. Je ne suis pas aveuglé par l’ambition de devenir Premier ministre.
Sir Seewoosagur Ramgoolam a été battu par 60-0. Sir Anerood Jugnauth également. Si je suis intéressé à devenir Premier ministre, c’est pour changer le pays. Au niveau du Reform Party nous ne sommes pas motivés par l’argent mais pour entreprendre quelque chose pour le pays en vue de le redresser et devenir plus compétitif pour rivaliser avec d’autres pays.
Quelle est votre priorité à quelques mois des élections ?
Nous avons fait le travail d’opposition avant que l’opposition parlementaire ne se réveille. Combien de scandales n’avons-nous pas révélés ? L’opposition extraparlementaire a, ces derniers mois, travaillé plus dur que l’opposition parlementaire. Ne venez pas nous dire que nous sommes incompétents.
Je prends mon cas. J’ai consacré six mois de ma vie à l’affaire Kistnen. Les gens ne savaient pas ce que nous avons découvert. Il y a eu le rapport de l’enquête judiciaire. Il y a eu les scandales que nous avons dénoncés durant le Covid. Alors que des gens mourraient, certains ne pensaient qu’à faire de l’argent. Cela défie tous les principes d’humanité.
Aujourd’hui, Xavier-Luc Duval, après quatre ans, fait un U-turn pour être avec Jugnauth.
Vous avez été très critique à son encontre samedi ?
C’est dégoûtant. Inconcevable. Nous étions dans l’Espoir; combien de conférences de presse n’avons-nous pas animé les samedis ? Qu’est-ce que nous n’avons pas dénoncé ? Il a été un bon leader de l’opposition durant quatre ans et a démontré ce qu’ont fait le ministre de la Santé, l’Attorney General, etc. Et maintenant vous venez me dire que vous vous joignez à Jugnauth pour avoir votre bout. Cela représente un manque de respect pour l’électorat mauricien. Il a quitté le gouvernement en raison du Prosecution Commission Bill et il retourne avec Jugnauth. Il nous a embêtés au sujet de PCB alors ? La FCC relève d’une loi barbare, une loi-dictatrice. Elle peut dénoncer un membre de l’opposition ou un journaliste. Ce que vous avez critiqué pendant quatre ans est devenu maintenant bon. Le conflit avec Paul Bérenger et Navin Ramgoolam ne tient pas la route…
On vous accuse de faire le jeu de Jugnauth ?
Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas ce que je vois sur le terrain. Je vois qu’il y a une opportunité pour le troisième cheval.
Vous serez donc avec Linion Moris ?
Si Linion Moris veut que nous allions ensemble pour les élections, il faut agir vite. Ensuite, ils doivent être sérieux dans leur manière de procéder. Nous sommes d’accord pour un regroupement des partis extra-parlementaires.
Comme Premier ministre ?
Je peux travailler avec Nando Bodha mais pas de la façon dont il pense. Je ne pense pas qu’il pourrait occuper le poste de Premier ministre. Toutefois, il a une expérience qui est intéressante.
Est-ce que vous serez candidat dans la circonscription No 20 ?
Oui, je serai candidat dans la circonscription où je vis. Pourquoi est-ce je quitterais ma maison, mes voisins et tous ceux que je connais ici ? Je ne crois pas dans le communalisme.
Le mot de la fin ?
Maurice doit retourner vers des valeurs et principes. Nos parents et grands-parents ont fait des efforts extraordinaires pour mettre le pays sur la voie de la prospérité sur le plan économique.
Durant les dix ou quinze dernières années, le pays a connu une décadence. Nous avons perdu les valeurs du mauricianisme, qui comprend le vivre-ensemble. Auparavant, il n’y avait pas la course à l’argent facile. Un voisin aidait un autre voisin, contribuait à son éducation.
Aujourd’hui, c’est le règne du chacun pour soi. Il faut à nouveau rassembler tout le monde et nous unir autour des valeurs du mauricianisme que nous voyons lorsque nous sommes à l’étranger. C’est une condition incontournable pour que nous puissions avancer.