La tension était à son paroxysme mercredi dans l’enceinte de SSS Triolet Boys, où environ 500 élèves ont signé une démonstration de force en organisant un sit-in pour protester contre les méthodes très peu conventionnelles adoptées par la direction du collège, avec pour toile de fond l’utilisation abusive d’une somme de Rs 94 000 qu’ont récoltées les élèves pour l’organisation d’une série d’activités. L’absence de salles de classe et de toilettes adéquates et l’état de délabrement dans lequel se trouvent les terrains de jeux, auxquels les élèves n’ont pas accès depuis belle lurette, font partie de la liste des revendications. Les voix sont rouillées par les slogans scandés et chantés à tue-tête en faveur de leurs revendications : les élèves ont tout donné !
Il faut remonter au 5 février 2017 pour trouver trace d’une telle ferveur collective du côté de Triolet SSS. Une date à marquer d’une pierre blanche pour l’établissement, auréolé du premier lauréat de son histoire grâce à Luciano Azor, un habitant de Cité Mère Teresa. Sauf que, contrairement à ce jour faste, les pétarades et les accolades entre élèves et professeurs n’étaient pas de mise mercredi matin. Pour cause, sept ans après avoir décroché le Graal, « les conditions ne sont plus réunies pour que n’émerge un successeur à Luciano. C’est un nivellement par le bas, la faute à une administration en proie au chaos et à la botte du pouvoir », à en croire un élève.
Ils n’ont pas leur langue dans leur poche. C’est le moins que l’on puisse dire, car en se levant comme un seul homme, mercredi matin, les frondeurs ont envoyé un signal fort à la rectrice afin qu’elle change son fusil d’épaule dans les plus brefs délais.
Au cœur de la manif, des élèves, juchés sur des pupitres, ont chanté à tue-tête le fameux slogan B*** li deor en agitant des drapeaux aux couleurs de l’établissement, flanqués de messages sans équivoque à l’endroit des autorités. Leur courroux a atteint le point d’ébullition, si bien qu’une unité des forces de l’ordre a dû intervenir pour calmer les esprits.
700 élèves, un seul bloc de toilettes
En butte à une vague de contestation, la rectrice a tenté de désamorcer la polémique en entamant une franche discussion avec les collégiens qui ont finalement consenti à regagner leur salle de classe sans esclandre au bout de quelques heures. Un représentant du ministère de l’Éducation confie que les doléances des collégiens ne tomberont pas dans l’oreille de sourds et que des mesures correctives seront prises très vite. Sauf que ces derniers prennent ces promesses avec des pincettes, craignant qu’on leur jette encore de la poudre aux yeux.
Parmi les nombreux reproches adressés à la direction, l’un des fers de lance de cette fronde souligne que « 700 collégiens doivent se contenter d’un seul bloc de toilettes en état de marche. Se frayer un chemin vers les toilettes relève d’un parcours du combattant bien souvent. »
Étudier en plein air, the New Normal !
Outre la vétusté du bâtiment principal du collège, le nombre de salles de classe s’est réduit comme peau de chagrin depuis janvier après la décision de la rectrice d’allouer le deuxième bloc du collège au ministère de l’Éducation pour abriter des cours du Mauritius Institute of Training & Development (MITD). On ne sait pas si la rectrice s’est retrouvée pieds et poings, mais cette démarche à la fois irrationnelle et absurde impactent une centaine d’élèves contraints d’étudier en plein air, sous un arbre ou dans la cantine !
On reste bouche bée devant le témoignage de cet élève : « ll fait si froid le matin, qu’il est difficile de comprendre le professeur et la seule solution est de m’asseoir là où il y a toujours les rayons du soleil. » Comment en est-on arrivé là ? La question est sur toutes les lèvres. Les étudiants, leurs parents, ainsi que les professeurs sont d’autant plus remontés contre la direction que celle-ci n’a pas informé la Parent Teachers Association (PTA) avant de donner son feu vert au ministère.
Les étudiants soutiennent que cela fait des années qu’ils réclament un gymnase, mais leurs demandes sont restées lettre morte en dépit du dévoilement d’un plan détaillé des contours de ce projet. La promotion de la pratique sportive et musicale à l’école ne figure manifestement pas sur la liste des priorités de SSS Triolet. Elle en a cure pour dire les choses crûment. Un élève soutient que « suite au refus d’un financement de la part de la direction, nous avons orchestré une Food & Fun Day et une tombola afin de lever des fonds pour organiser notre Sports Day et la Music Day. Ce fut une réussite puisqu’on a récolté une somme de Rs 94 000 au total qu’on a remise à la rectrice pour l’organisation de nos activités ». Sauf que les élèves vont tomber des nues le 14 juin en apprenant de la bouche de la rectrice que les Rs 94 000 ont finalement été consacrées au paiement d’une dette contractée par l’établissement ! C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase en entraînant la révolte de mercredi.
Le parent pauvre…
Les contestataires n’étaient pas au bout de leurs peines après le refus du ministère de l’Éducation de leur accorder le budget et les facilités logistiques nécessaires pour l’organisation de la traditionnelle cérémonie de remise des prix annuelles recomposant les meilleurs élèves qui se sont distingués académiquement. « C’est une cérémonie qui nous tient à cœur. Il a fallu qu’on organise le fameux sit-in pour que le ministère daigne nous procurer un chapiteau, quand bien même on s’attendait à mieux compte tenu de la vétusté de ladite tente », souligne un interlocuteur.
Un autre fait pèse lourd dans la montée des tensions : l’état lamentable dans lequel se trouvent les terrains de football et de basketball parsemés de détritus et en proie aux toxicomanes. « Sous prétexte qu’on doit traverser la rue pour accéder à ces infrastructures, qui sont censées appartenir au collège, la direction nous en a interdit l’accès. On nous dit que c’est pour notre sécurité. C’est illogique et injuste. C’est juste une question d’organisation. Pourquoi est-ce que le District Council ou le gouvernement ne financent pas sa réhabilitation, d’autant que doter le village de facilités sportives et récréatives dignes de ce nom est plus qu’impérieux compte tenu de la prégnance du trafic et de la consommation de drogue », martèle un étudiant.
Le conseiller de village Prakash Manaroo lance un appel à la direction du collège, mais également aux politiques pour qu’ils rectifient le tir : « Que la lumière soit faite sur les allégations portées par les élèves concernant les Rs 94 000 qu’ils ont récoltées, mais qui ont été dépensées je ne sais où. L’éducation est primordiale aussi bien que l’avenir de centaines d’enfants. Qu’on leur procure les facilités nécessaires. Ce n’est pas la mer à boire. Le sport peut influer sur la façon dont les enfants se sentent et peut les aider à lutter contre certaines dérives. Les activités physiques doivent devenir une priorité pour l’établissement. »
La balle est désormais dans le camp des autorités.