Hubert Bourgeois, ex-directeur de Moulins Bourgeois (France) : « Au-delà de sa valeur nutritive, le pain est un symbole de culture et de civilisation »

En vacances à Maurice cette semaine, Hubert Bourgeois, issu d’une famille de meuniers depuis plusieurs générations, a accepté de s’entretenir avec Le-Mauricien pour nous parler des Moulins Bourgeois, créés par son grand-père en 1895. Il souligne l’importance de revaloriser la baguette française et regrette que sa consommation ait baissé en France. Pour lui, « le pain est un symbole de culture et de civilisation ». Il a manifesté l’intérêt des Moulins Bourgeois d’exporter de la farine à Maurice et a rencontré à cet effet le directeur de la State Trading Corporation (STC).

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Vous êtes un meunier connu en région parisienne. Quel est le but de votre visite à Maurice ?
Je suis retraité. J’habite Paris. J’ai un voisin mauricien, qui est devenu un ami. Nous devions venir à Maurice en 2020-2021, mais il y a eu le Covid. Nous avons pu réaliser notre projet cette semaine. Je suis là pour découvrir l’île.

Peut-on dire que vous êtes tombés très jeune dans la farine ?
J’ai fait ma carrière dans le moulin familial. J’étais la troisième génération. En 1895, mon grand-père, Léon Bourgeois, et ses frères ont acquis le moulin de Couargis, à 2 kilomètres de leur moulin actuel, qui se trouve à 80 kilomètres de Paris. Après, mon père a suivi. Je lui ai maintenant succédé et j’ai passé la barre à mes deux fils, Julien et David. Ils ont agrandi leur outil logistique, créé un moulin à meules de pierre pour leur farine et obtenu la norme ISO 22000 pour la sécurité alimentaire.
Aujourd’hui, Moulins Bourgeois est un moulin familial indépendant en Seine-et-Marne, approvisionné à 100% en céréales françaises et offrant des formations à leurs clients.
Nous sélectionnons quotidiennement des céréales françaises et nous travaillons sur la qualité de leurs farines biologiques et conventionnelles, moulues à la meule de pierre ou au cylindre. Leur boulangerie traditionnelle est au cœur de notre stratégie.

Comment se présente le marché de la farine en France ?
Dans le secteur de la farine, il y a plusieurs marchés en France. Celui des artisans boulangers est le plus important. Il y a le marché des boulangeries industrielles, des biscuiteries et celui de la grande distribution, car tous les hypermarchés ont leur propre boulangerie. Nous sommes présents uniquement sur le marché des boulangeries artisanales dans la région parisienne, avec une clientèle de boulangeries haut de gamme.
Malheureusement, en France, la boulangerie artisanale perd des parts de marché tous les ans au profit de la grande distribution. Mais sur 100 baguettes vendues, il y en a encore 60 qui sont restées chez les artisans. La survie des artisans s’explique par le fait qu’en France, la législation est très stricte sur la production de farine. La baguette doit est constituée de farine, d’eau, de levure et de sel. Tous les additifs sont interdits. C’est un produit qui doit être mangé dans les heures qui suivent sa fabrication et qui ne se conserve pas. Le Parisien qui sort du travail à 17h ou 18h est habitué à acheter sa baguette sortie du four une heure avant.

Le pain est donc fabriqué à partir d’une farine spéciale ?
C’est une farine spéciale dans la mesure où tout repose sur la qualité du blé, puisque nous n’avons pas le droit mettre des additifs dans la farine utilisée pour le pain. Nous sommes dans le Bassin parisien, qui comprend une région de 150 kilomètres autour de Paris, et qui est une grande région à blé. Nous y produisons le meilleur blé d’Europe, voire du monde. C’est un terroir à blé exceptionnel. Il faut savoir toutefois que la meilleure terre à blé est l’Ukraine. La qualité de la terre donne des blés qui ont une caractéristique différente. Le travail d’un moulin qui alimente les artisans boulangers consiste à acheter des farines différentes et d’en faire un mélange approprié. Nous pouvons comparer cela au champagne, qui est un mélange de plusieurs cépages.

Peut-on dire que la baguette est le pain national en France ?
Chaque pays a son pain national. Je crois savoir qu’à Maurice c’est le pain maison, qui est en fait la boule de pain. Aux États-Unis, le pain le plus consommé est le pain de mie, qui contient du sucre et de la matière grasse. Pour les boulangeries françaises, la farine représente 90% des besoins. La différence est utilisée pour faire des pains complets, pains à graines ou pains de seigle. Toutes les boulangeries ont une gamme des pains spéciaux. Les Moulins Bourgeois fabriquent également une variété de farine pour satisfaire les besoins en pains spéciaux.
Actuellement, les Moulins Bourgeois produisent trois farines pour le pain de tradition française. Comme une seule farine de tradition française ne saurait satisfaire tout le monde, les Moulins ont construit leur offre autour de trois dénominations, à savoir le Label Rouge, la Reine des Blés et La Sauvage.

À Maurice, Les Moulins de la Concorde importent une partie de ses blés de France, mais on ne sait pas quelles variétés…
Les blés viennent de différentes régions de France, certainement du Bassin Parisien, sachant que le plus grand pour l’exportation de blé en France est celui de Rouen. La France produit 36 millions de tonnes de blé alors que l’Hexagone en a besoin de 5 millions de tonnes pour ses besoins alimentaires. Sept millions de tonnes sont par ailleurs utilisées pour l’alimentation animale. Le reste est exporté en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne.

À Maurice, nous importons également de la farine australienne, qui est différente de la farine française…
Les variétés sont différentes en France, où nous avons des blés adaptés au terroir et au climat tempéré de la France. En Australie, ils ont une météo plus ensoleillée; c’est donc une variété plus dure qui donne des farines différentes. Avec le blé australien, nous pouvons difficilement faire de la baguette. Les Australiens mangent essentiellement du pain de mie.

Est-ce que Les Moulins Bourgeois exportent leur farine ?
Nous exportons une partie de notre farine en Égypte, où elle est achetée par des boulangeries haut de gamme et ne bénéficie d’aucune subvention. Ces boulangeries fournissent des hôtels, entre autres. Nous exportons également en Chine à travers des distributeurs privés. En Chine, la viennoiserie – c’est-à-dire les croissants et les pains au chocolat – a beaucoup de succès. Les boulangers chinois veulent en faire avec de la farine française. Notre farine est aussi appropriée pour faire de la bonne baguette.
Il faut aussi savoir qu’il y a une vingtaine d’années, la France était le premier exportateur mondial de farine. Mais c’est une activité qui a quasiment disparu parce que ce sont les producteurs turcs qui ont pris tout le marché du continent africain. Les Turcs ont construit énormément de moulins. Ils reçoivent du blé de l’Ukraine et bénéficieraient de subventions gouvernementales avec, pour conséquence, qu’ils ont réussi à prendre la place des Européens sur le marché africain.

Seriez-vous intéressé à exporter vers Maurice ?
L’importation de farine à Maurice par la State Trading Corporation passe par des appels d’offres internationaux et il est difficile de battre la Turquie.

Mais pourriez-vous faire des affaires à Maurice ?
J’ai été reçu par le directeur de la State Trading Corporation. Il serait très intéressé que nous répondions à l’appel d’offres. Alors pourquoi pas… Nous étudierons tout cela en rentrant.
Le premier producteur de blé tendre dans le monde est la Chine. En même temps, ce pays est le plus gros importateur de farine, bien que les Chinois ne soient pas de grands mangeurs de pain. Le blé tendre est essentiellement consacré à la fabrication de nouilles, qui est la base de l’alimentation de plusieurs régions de Chine. Le blé dur, lui, est utilisé en Europe pour les pâtes. En France, nous trouvons des nouilles de riz produites en Thaïlande.

Avez-vous pu goûter le pain mauricien ?
La baguette développée avec une mie très blanche était à la mode en France dans les années 1960-1970. Nous sommes revenus à une baguette avec une mie crème. Pour fabriquer les baguettes mauriciennes, il faut pétrir beaucoup pour blanchir. Cela a pour inconvénient de dénaturer le goût. Donc, nous sommes revenus en France à des baguettes moins développées, sachant que nous ne mettions aucun additif dans la fabrication du pain.
À Maurice, je comprends que les appels d’offres précisent que la farine doit être livrée avec différentes substances, dont la vitamine B9. C’est un accord entre pays africains. Aux États-Unis, ils mettent également de la vitamine B9 et un ou deux oligoéléments. Mais en France, c’est strictement interdit.

Formez-vous également les boulangers dans l’utilisation de vos farines ?
En tant que moulin livrant essentiellement aux artisans boulangers, nous ne sommes pas un simple fournisseur, mais un partenaire. Nous apportons beaucoup de services au boulanger, notamment de formation. Nous avons une école de formation pour la remise à niveau des boulangers. Nous avons aussi un service de boulangers, qui interviennent chez les clients à la moindre demande.
La farine est importante, mais le pain repose essentiellement sur le travail du boulanger. Il ne suffit pas de grand-chose pour que la qualité baisse. Il arrive ainsi que nos clients fassent appel à nous pour leur envoyer un boulanger afin de voir si le problème vient de la farine ou du boulanger, et qu’il remette les choses sur le droit chemin. Nous avons tout un service pour promouvoir la qualité du pain.

Le pain est donc incontournable en France…
Le pain, au-delà de sa valeur nutritive, est un symbole de culture, de civilisation et d’ingéniosité humaine qui remonte à l’époque des Égyptiens, il y a 4 000 ans. Il a accompagné l’humanité dans son développement et reste un aliment de base dans de nombreux pays et cultures.
Le pain a toujours été très important en France. En 1900, nous en mangions un kilo par jour et par personne. Durant la guerre 1914-18, la ration était de 700 g de pain par jour. En 2000, nous en consommions 160 g quotidiennement par habitant. Maintenant, nous en sommes à 90 g, et ça continue de baisser. Cela veut dire que nous mangeons de moins en moins de pain au profit du fast-food. Nous avons toujours mangé beaucoup de pain au petit-déjeuner. Mais maintenant, les gens se couchent de plus en plus tard et se lèvent au dernier moment. Du coup, au lieu de prendre un petit-déjeuner le matin, ils prennent une brioche industrielle et ne prennent plus de petit-déjeuner. Ce sont les samedis et les dimanches que les boulangeries vendent actuellement le plus de pains, parce que ces jours-là, les gens prennent un vrai petit-déjeuner.
La consommation de baguettes diminue aussi, mais celle du pain de mie, elle, augmente. Nous relevons un phénomène dans les habitudes de consommation : les gens mastiquent de moins en moins. Ce qui fait que les baguettes ont actuellement très peu de croûte. Normalement, une baguette est un mélange de mou et de dur. C’est cela le plaisir de mastiquer. Aux États-Unis, les gens mastiquent de moins en moins. Nous ne mastiquons pas le hamburger. Ils ont des usines à pain à travers les McDonald, etc. Ce ne sont pas des artisans boulangers.
Pour moi, la baisse constatée dans la consommation de pain en France est paradoxale, alors que nous disons dit que l’avenir est dans le végétal et dans la protéine végétale. Or, le pain comprend 10% de protéines.

Aux Moulins Bourgeois, vous avez aussi mis en place une politique de développement durable. Pourriez-vous nous en parler ?
En effet. C’est une politique basée sur la responsabilité sociale. Cette stratégie tient en ligne de compte le respect de l’environnement dans le secteur agricole. Il s’agit de sélectionner des matières premières agricoles d’origine locale, à 100% françaises. Les Moulins travaillent avec des agriculteurs durables et/ou équitables, et respectent des spécifications internes, à savoir la préservation de leur site et la réduction de leur impact environnemental, la protection de l’environnement et la biodiversité dans leur région. Ils réduisent leur empreinte carbone et utilisent des biocarburants. Ils recyclent les sous-produits et les déchets générés par leurs activités. Ils adoptent aussi une approche durable dans l’utilisation des ressources disponibles, et se soucient de la valorisation de leur base régionale et de leur savoir-faire local.
Ils soutiennent leur région et contribuent à l’économie locale. Ils promeuvent le métier de boulanger artisanal et proposent une plus grande variété de formations à l’école Bourgeois Frères. Une attention particulière est apportée à la qualité de vie des employés en développant le capital humain et en encourageant de bonnes relations de travail. La sécurité et les conditions de travail dans leurs ateliers sont primordiales.
Finalement, en vue d’assurer la transparence dans la qualité de leurs farines, ils proposent une gamme de farines de qualité répondant aux besoins de leurs clients. Ils garantissent que les produits qu’ils fournissent soient sains et sûrs pour les consommateurs en contrôlant leur processus de fabrication.

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