— Ashok Subron : « Le gouvernement veut retourner à l’époque où on importait des coolies »
Si les décisions budgétaires liées à l’augmentation des pensions et du salaire minimum accaparent la lumière médiatique, une mesure spécifique annoncée par le Grand Argentier pourrait bien défrayer la chronique dans les jours. Encore faut-il que les travailleurs des secteurs du port franc, de l’ICT-BPO, de la bijouterie et de la fabrication répondent à l’appel à la mobilisation lancé par la General Workers Federation (GWF), contre la décision du gouvernement d’autoriser le recrutement d’une main-d’œuvre 100% étrangère dans les entreprises desdits secteurs. Le budget 2024-25 jette aussi les bases des recrutements en masse d’ouvriers migrants pour le secteur de l’agriculture. Le syndicaliste Ashok Subron soutient qu’ « il est clair que c’est le gros capital qui a imposé ces conditions sur le gouvernement en prélude à la mise en application du rapport portant sur la relativité salariale. Le degré d’exploitation des travailleurs mauriciens est notoire. Li pou ogmante. »
Environ 38 000 travailleurs étrangers sont en poste sur le sol mauricien, à en croire diverses sources au ministère du Travail. Ils opèrent dans divers secteurs d’activité, tels que le secteur manufacturier, le textile, l’agriculture, la construction ou encore la boulangerie. Au fil du temps, d’autres secteurs ont jeté leur dévolu sur cette main-d’œuvre avide d’une vie digne. Les caissiers, serveurs (restauration et hôtellerie) et pompistes étrangers se taillent la part du lion et proviennent principalement de l’Inde (15 600) et du Bangladesh (15 400). Loin dernière, on retrouve les Malgaches, qui représentent un contingent d’environ 3 000 travailleurs, alors que des travailleurs africains, des étudiants principalement, émanant du Kenya et de l’Afrique du Sud, sont de plus en plus nombreux à occuper des postes dans les supermarchés.
Le feu vert donné par le gouvernement à certains secteurs économiques de recruter une main-d’œuvre 100% étrangère laisse poindre la perspective d’une hausse exponentielle du nombre de travailleurs étrangers opérant sur notre sol. Quand bien même il est encore trop tôt pour tirer des conclusions hâtives, ce chamboulement revêt toute son importance, avec d’éventuelles conséquences directes l’impact sur le marché du travail. La main-d’œuvre étrangère à bas coût pourrait être utilisée pour peser à la baisse sur les salaires des natifs qui se retrouveraient en bien mauvaise posture. Du pain béni pour le patronat ? C’est du moins l’avis d’Ashok Subron, le porte-parole de la GWF, qui ne va pas avec le dos de la cuillère : « En libéralisant le marché du travail, le gouvernement veut retourner à l’époque où on importait des coolies pour travailler à Maurice. Il déclare qu’il est clair que les entreprises locales vont privilégier les travailleurs étrangers, car ces derniers ne contribuent pas au fonds PRJF (pension portable). Il est clair que c’est le gros capital qui a imposé ces conditions sur le gouvernement en prélude à la mise en application du rapport portant sur la relativité salariale. »
« Hired and fired à volonté ! »
Les indices allant dans le sens d’une libéralisation à outrance du marché du travail sont multipliés ces dernières semaines. Dans l’anticipation du budget, des acteurs des secteurs économiques avaient lancé un appel au ministre des Finances, Renganaden Padayachy, à présenter des « mesures de redressement » au motif qu’ils se trouvent dans une « situation assez difficile compte tenu de la hausse du salaire minimal et du manque de main-d’œuvre. » Ashok Subron refuse de prendre pour argent comptant la thèse selon laquelle le manque de bras frapperait de plein fouet de nombreux secteurs d’activités : « Il n’existe aucune agence nationale d’emploi. Comment donner du crédit aux affirmations du grand patronat ? Quand vous éliminez le quota des employés étrangers, les employeurs n’auront automatiquement plus de justification pour ne pas employer des Mauriciens. C’est une honte. »
Le quota d’étrangers a donc été aboli pour les entreprises du port franc, de l’ICT-BPO, de la bijouterie et de la manufacture, qui pourront désormais n’employer que des étrangers. « L’expérience et les qualifications des travailleurs locaux ne serviront plus, car le secteur privé privilégiera l’emploi d’étrangers qui pourront être hired and fired à volonté. Ces derniers n’auront pas droit à la meal allowance, aux vacances au bout de cinq ans de travail, ni aux indemnités de licenciement », soutient Ashok Subron.
On se frotte les mains
Pour le secteur manufacturier et le textile, le renouvellement des permis de travail pour la main-d’œuvre passe de cinq ans à 10 ans. Le quota sur le recrutement des travailleurs migrants a été enlevé pour plusieurs secteurs, alors que le ratio était de deux travailleurs étrangers pour un travailleur mauricien. Le ratio a été ramené à trois travailleurs étrangers contre un travailleur mauricien. Le manque de main-d’œuvre a été souvent décrié par les planteurs, qui n’ont jamais fait grand mystère de leur désir d’un recrutement plus flexible de la main-d’œuvre étrangère. Ils peuvent se frotter les mains : le règlement sur les travailleurs agricoles (entrepreneurs) sera modifié pour fournir plus de flexibilité pour le recrutement.
« L’amendement annoncé aux Agricultural Workers (Job Contractors) Regulations permet aux seules agences de recrutement privées d’importer de la main-d’œuvre étrangère. La Workers’ Rights Act sera amendée afin de faciliter les procédures de recrutement et le ministère du Travail aura un maximum de trois semaines pour délivrer ou renouveler un permis de travail. C’est une aberration », soutient Ashok Subron.
Autre mesure dénoncée, celle permettant aux retraités étrangers installés dans leurs Integrated Resort Scheme, Real Estate Scheme ou autres Property Development Scheme de travailler, et ainsi d’entrer en compétition avec les Mauriciens. La levée de boucliers des employés desdits secteurs aura-t-elle lieu ? La question est sur toutes les lèvres.