En ces temps de grande incertitude face à l’avenir, des mesures spécifiques robustes étaient attendues à l’occasion du dernier budget du quinquennat qui s’achève pour, entre autres, restituer aux citoyens, particulièrement les plus vulnérables du point de vue économique, leur pouvoir d’achat fortement érodé ces dernières années en l’absence de décisions courageuses pour juguler cette folle course entre augmentation des prestations sociales et inflation; restaurer la sécurité dans le pays, la confiance de la population dans les institutions et stopper l’exode des cerveaux et des travailleurs locaux. Or, dans un sens général, il n’en a rien été.
Mettre de l’argent qui subit une dépréciation infernale face aux principales devises étrangères dans les poches des consommateurs – la roupie ayant perdu plus de 40% de sa valeur par rapport au dollar depuis janvier 2015 – équivaudrait à rien d’autre qu’un magistral coup d’épée dans l’eau, compte tenu du fait que plus de 80% de nos produits de consommation courante proviennent de l’extérieur. Et ce budget 2024/25, tout comme ses prédécesseurs, indique que la croissance continuerait d’être tirée par la consommation au détriment de la production. Or, plus d’accent aurait dû être mis sur l’utilisation optimale de nos ressources disponibles impliquant, entre autres, une exploitation accrue de l’économie bleue de même que du domaine de la sécurité alimentaire ; ce qui nous aurait permis d’avancer vers l’autosuffisance de certains produits agricoles de base et réduire nos dépenses et dettes colossales qui avoisinent déjà les 75% du PIB, mais également de sortir des milliers de gens des affres du chômage, de la précarité et la pauvreté, phénomènes desquels ils ne sont guère responsables mais dont ils subissent le plus durement les conséquences. L’on n’est certes pas encore dans le cadre d’un manifeste électoral, mais toujours est-il que les premiers jalons auraient dû être jetés dans cet ultime exercice budgétaire.
Profonde restructuration
En tentant de mettre du baume au cœur de la population, ce 5e budget du quinquennat, qualifié d’ailleurs d’électoraliste dans certains milieux, ne fait que titiller, dans le court terme, le sens de l’espérance et un sentiment de feel good factor à quelques mois des législatives mais suscitant, en même temps, une forte sensation d’appréhension et d’incertitude sur le long terme. Or, gouverner c’est prévoir mais surtout savoir prendre les décisions qui s’imposent au moment opportun, car dans cette jungle financiarisée où ne règne que la loi du plus fort, l’État a l’obligation d’intervenir de façon résolue afin de rétablir l’équilibre au sein de la société. Pourtant, de budget en budget, hormis les prestations sociales, des mesures structurelles sont annoncées, pour ne pas dire répétées, tendant à tirer vers le haut ceux au bas de l’échelle – construction des maisons destinées aux défavorisés, programme de formation et de réhabilitation pour les jeunes, etc –, mais, à l’arrivée, l’ascenseur social ne décolle toujours pas, ce bien que le Grand Argentier ne cesse d’affirmer que sa philosophie consiste à placer l’humain au cœur de son action. Une profonde restructuration de la politique fiscale se révèle essentielle, dans la conjoncture actuelle mais qui oserait même prendre le taureau par les cornes au risque d’offusquer les grands bailleurs de fonds de la politique locale dont un grand magnat des paris, ce même s’il a déjà annoncé la cessation prochaine de ses activités hippiques à Maurice pour les continuer ailleurs et qu’il ne financerait plus le parti soleil?
Dans ce contexte, la question que l’on se pose ces jours-ci :la réappropriation du Champ-de-Mars par son ancien locataire signifierait-elle la réinstitution du « temple de la mafia et des zougader » sous la pression des considérations électorales et couper l’herbe sous les pieds de l’opposition qui a manifesté son intention de restituer les droits du MTC sur les courses ? C’est justement dans le cadre de son combat contre la drogue et le blanchiment d’argent sale – combat dont il avait fait son cheval de bataille depuis le début de son mandat – que le PM avait commencé par « nettoyer » les courses hippiques qui avaient perdu, au fil des années, leur attrait de divertissement, de loisir ou du sport pour devenir rien d’autre que du « big business » impliquant du « big money » souvent de provenance douteuse. L’on se souvient d’ailleurs de ces beaux clichés publiés dans les médias, exposant au grand jour les accointances nébuleuses entre entraîneurs, propriétaires, jockeys et caïds montrés du doigt par la commission Lam Shang Leen.
Rectifier le tir
Que les activités hippiques constituent un gros contributeur au financement du budget de l’État ne fait point de doute – des chiffres variant entre 800 millions et un milliard de roupies sont avancés –, cependant avec le changement à l’horizon dans l’organisation des courses, le remède de cheval pour un nouveau départ sur des bases plus saines doit essentiellement être envisagé. Et pour y parvenir, il n’y a pas d’autres solutions que d’une volonté politique intransigeante qui ne pourrait être désarçonnée par des appâts alléchants du gain. Il y va d’ailleurs de notre réputation même en tant que centre financier et d’investissement. Déjà, la perception de notre pays comme étant un paradis fiscal demeure tenace sur le plan international et il est grand temps de rectifier le tir. Or, ce dernier budget demeure absolument muet sur ce dossier. Dans ce même registre, il convient de se débarrasser le plus promptement possible de ce sempiternel serpent de mer que représente le financement des partis politiques, un des supports incontestables de la démocratie mais également, source de corruption et de blanchiment d’argent, comme a fait d’ailleurs et à juste titre, ressortir la commission Lam Shang Leen. Pourtant, la publication, le 29 avril dernier, du Constitution (Amendment) Bill ainsi que du Political Financing Bill visant justement à instituer un cadre légal pour lutter contre le blanchiment d’argent dans le circuit politique n’a finalement été qu’un « pétard mouillé », au même titre d’ailleurs que la décision du PM – annoncée manifestement pour semer ses adversaires – d’organiser une partielle au No. 10.
Finalement, force est de constater que ce qui pourrait davantage contrarier ce dernier coup de poker du PM, ce sont bien la léthargie institutionnelle et la lenteur administrative qui paralysent aujourd’hui plusieurs secteurs vitaux du pays et contribuant considérablement au calvaire quotidien des citoyens. Selon de nombreux observateurs, patauger cinq années supplémentaires dans cette mare de stagnation et d’immobilisme serait non seulement inconcevable mais également inacceptable. En ce qui concerne la situation de law and order, par exemple, qui est plus qu’alarmante et pourrait même influer de manière décisive sur les résultats des prochaines législatives, il convient de reconnaître que l’augmentation régulière de l’effectif de la police n’a pu donner les résultats escomptés. Qu’apporteraient donc « 1000 constables additionnels, plus de moyens, de véhicules et d’équipements », mesure annoncée dans le budget alors qu’il est connu de tous que la déficience opérationnelle chronique dont souffre cette institution se trouve ailleurs, notamment au niveau de la motivation et la conscience professionnelle ? Qu’en est-il, justement, du Safe City Project, qui a englouti des milliards de roupies et vanté initialement comme un Game Changer dans le domaine de la sécurité routière de même que de la sécurité publique ? Dans le carrefour central et très populeux de Quatre-Bornes, La Louise, par exemple, les caméras n’ont pas été de grande utilité au judiciaire dans l’affaire Kistnen alors que dans la région de Souillac, d’après le témoignage effectué devant la Cour de district de Savanne dans l’affaire Kanakiah, sur 32 caméras, 24 ne fonctionnaient pas. Quel gâchis !
Des changements radicaux doivent être à l’agenda du prochain pouvoir, quel qu’il soit. Or, si nous avons failli à nos tâches et responsabilités d’améliorer la qualité de vie de nos concitoyens en dehors des considérations purement matérielles et pécuniaires, nous n’aurons d’autre alternative que d’assumer les conséquences qui s’imposent le moment venu.