« Laissons les professionnels travailler sans ingérence politique ! »
Pannes techniques, retards, suspensions, comités disciplinaires, chasse aux sorcières, dénonciations anonymes, luttes de clan… Les turbulences incessantes au sein d’Air Mauritius, qui nage en eaux troubles depuis plusieurs mois, malgré l’arrivée de celui qui était présenté comme son sauveur, Charles Cartier, ne font guère plaisir aux opérateurs du secteur touristique, qui dépend fortement de la bonne santé et la sérénité de la compagnie d’aviation nationale pour assurer sa croissance et pérenniser son futur. Pour corser les choses, les turbulences de la compagnie nationale font écho dans la presse spécialisée en France, qui parle de Charles Cartier comme d’un « néophyte de l’aérien ». Cette même presse soutient qu’Air Mauritius « a fait de l’instabilité sa marque de fabrique ».
Plus que jamais minée par des conflits internes, Air Mauritius a du plomb dans l’aile. Le match Arian/Cartier joue les prolongations en coulisses et donne de l’urticaire aux professionnels du milieu touristique, car une compagnie d’aviation devrait clairement avoir d’autres priorités. Les récents déboires du Chief Commercial Officer, Laurent Recoura, et sa suspension pour des raisons obscures, n’ont fait qu’accentuer le malaise au sein de la communauté touristique. Les langues se délient et le traitement réservé à certains professionnels étrangers soulève le courroux de nombreux hôteliers et tour-opérateurs.
« Nous en avons marre. Ce n’est pas possible tous les six mois de changer de CCO ou encore de CEO », lâchent-ils. Ces professionnels se sont réunis récemment de manière informelle pour discuter de la situation dans le secteur, incluant la pénurie de main-d’œuvre, mais les discussions ont aussi tourné sur le malaise incessant au sein d’Air Mauritius.
« Nos partenaires étrangers nous ont fait comprendre qu’Air Mauritius a besoin de stabilité et de professionnels compétents, mais sa crédibilité bat de l’aile, ce qui affecte également l’image de Maurice », lance un opérateur. D’autres font comprendre que le travail du CCO « a été unanimement reconnu par les acteurs de l’écosystème du tourisme à Maurice » et estiment que si le pays continue de « traiter les professionnels de cette manière, plus personne ne voudra venir travailler à Maurice ».
De nombreux opérateurs touristiques estiment que le CCO est un professionnel et a su relancer Air Mauritius. Ils soulignent que l’aviation est une industrie mondiale et qu’il est crucial pour la compagnie d’aviation nationale d’attirer des talents diversifiés afin d’être compétitive.
« Laissons les professionnels travailler sans ingérence politique. » Certains opérateurs locaux n’hésitent pas à citer l’exemple d’André Viljoen, ancien CEO d’Air Mauritius, « qu’on a fait partir » et qui a par la suite porté Fiji Airways vers une ère de croissance et une profitabilité record, selon son dernier bilan financier.
Pourtant, les opérateurs ont relevé que depuis deux ans, Air Mauritius se portait mieux et que les principales destinations ont été relancées avec succès, insufflant un nouveau dynamisme aux opérations. « Cependant, nous sommes en train de retomber dans les vieux travers. Nous constatons que depuis l’arrivée du nouveau CEO, un climat de chasse aux sorcières règne chez Air Mauritius. Tous les cadres soupçonnés de proximité avec Ken Arian sont dans le collimateur. Les dénonciations anonymes sont encouragées, ce qui crée une ambiance de travail contre-productive. Les employés se retrouvent aujourd’hui pris dans un tourbillon de luttes claniques », font-ils ressortir.
Pour les opérateurs et leurs partenaires étrangers, à chaque nouveau départ, c’est un recommencement pour la négociation de contrats et de forfaits pour la prochaine saison touristique, et avec un nouvel interlocuteur au niveau de la compagnie nationale.
« Nous ne pouvons pas recommencer à zéro à chaque fois, c’est contre-productif. Les tour-opérateurs ont déjà signé des accords avec la compagnie aérienne à l’avance, comme cela se fait depuis des années, mais à chaque fois il faut tout recommencer », déplorent-ils.
Finalement, le constat est amer : instabilité au niveau de la direction, pannes techniques, retards, suspensions, nominations incessantes, bref une instabilité permanente. « Et tel n’est pas le cas au sein des autres compagnies aériennes. Avec une telle situation, on fait fuir les professionnels. Déjà qu’il nous manque 3 000 employés dans le secteur, est-ce cette image que nous voulons projeter à l’étranger ? On cherche toutes sortes de prétextes pour suspendre certains cadres. Ce n’est plus possible. Enough is enough ! » font-ils comprendre.
ENCART
TOURMAG.COM
« Cacophonie dans les hautes sphères »
Le portail francophone le plus consulté par les professionnels touristiques, TouMaG.com, plateforme réputée dans le domaine touristique depuis plusieurs décennies, publie un article sous le titre Air Mauritius : après le redressement, les violentes turbulences.
« Après les problèmes techniques sur ses appareils, la gestion chaotique des cyclones, c’est désormais la cacophonie dans les hautes sphères de la compagnie », écrit Romain Pommier. Il souligne que les choses se sont gâtées depuis la suspension de Kresimir Kucko. Les problèmes techniques connus par la suite et la gestion du cyclone Belal ont également entraîné une série de retards avec des passagers très mécontents.
TourMaG.com va plus loin et qualifie Charles Cartier, le nouveau CEO, de « néophyte dans l’aérien », ajoutant : « l’une des premières décisions du nouveau patron a été de faire un exemple en suspendant Laurent Recoura. Le Français, pourtant à l’initiative du bon redressement d’Air Mauritius, a été mis sur la touche suite à l’envoi d’une lettre au board pour dénoncer les pressions qu’il avait subies lors d’une réunion avec le nouveau CEO. »
Et le journaliste de conclure : « Avec 10 CEO différents depuis 2000, Air Mauritius a fait de l’instabilité sa marque de fabrique. »