Avec le Budget Speech de vendredi et son chapelet de mesures dans une volonté déclarée du gouvernement de faire la différence le jour du scrutin, une nouvelle page dans la vie politique sera tournée. Ainsi, le ton de la campagne sera imprimé de manière irréversible, alors que les clameurs électorales, avec tout ce qu’il y a d’attaques et de contre-attaques, en dessous ou au-dessus de la ceinture, se succéderont crescendo.
Le maître mot, au sein des états-majors politiques ambitionnant de prendre le pouvoir pour les cinq prochaines années, se résume au programme électoral. Le gouvernement sortant dispose d’une autre carte dans ses manches, à savoir son bilan. Certes, un couteau à double tranchant dans la mesure où l’opposition peut rebondir sur les écarts et les ratés par rapport aux promesses formulées pour le scrutin du 7 novembre 2019.
Toutefois, en anticipation, deux institutions, se plaçant au-dessus de la mêlée électorale et au nom d’obligations incontournables, sont venues de l’avant pour proposer non pas des éléments d’un programme électoral, mais plus les prémices d’un agenda économique post-électoral. D’abord, Business Mauritius, instance regroupant en majorité les opérateurs économiques du pays, et donc un locus standi d’intérêts sans commune mesure, se signale par le truchement de son Budget Memorandum annuel. Puis, le Fonds monétaire international (FMI), avec le Staff Country Report après la dernière édition des Article IV Consultations de la fin de la première quinzaine de janvier dernier. Dans ces deux cas, la teneur de ces documents interpelle. Les constats sont implacables, même si, pour les solutions et recommandations proposées, des nuances peuvent surgir. À tort ou à raison.
L’intérêt préoccupant du Budget Memorandum 2024/25 se situe au tableau de ce qui est présenté comme la Connectivity. Nullement étonnant, car le monde d’aujourd’hui se conjugue en Network. D’emblée, Business Mauritius se fait un devoir d’affirmer que ce concept fait partie des National Priorities pour la période 2023/25, agréées avec le gouvernement.
Pourtant, l’image projetée en ce qui concerne le port est des plus désastreuses. La dizaine de paragraphes, consacrés à l’Improving Sea Connectivity transmet un Far Cry de la réputation de Port-Louis comme la Star and Key of the Indian Ocean. Ou encore le hub tant ressassé. Le document se fait un malin plaisir de souligner que « the Container Port Performance Index 2022 places Mauritius at an underwhelming 327th out of 348 ports globally ». Ce qui veut tout dire de la vague de désarroi qui prévaut dans le privé.
Difficile à croire que dans ce contexte de surenchères électorales, la voix, pourtant écoutée, des capitaines de l’industrie sera entendue quand, unanimement, ils souhaitent à la page 8 du document que « amidst these challenges, there lies an imperative need to enhance the maritime sector’s contribution to the Mauritian economy, through the Blue Economy Initiative ».
Sous cet intitulé des plus flagorneurs, l’ambition est de doubler la contribution de l’économie bleue au Produit intérieur brut. L’échéance fixée n’est autre que 2025, soit au lendemain des élections législatives. Comme pour bien faire comprendre que le port est encore loin du compte, Business Mauritius ajoute que « the development of the port is the lowest hanging fruit and has the biggest impact on our economy ». Déjà trop tard au tableau des bilans. Très probablement un item approprié pour l’agenda post-électoral.
L’autre vitrine de la connectivité demeure l’Air Connectivity. Le diagnostic de Business Mauritius, en complément aux numéros de strip-tease en matière de gestion au sein d’Air Mauritius, en dépit de la transfusion du privé au public, ne rassure plus en un plan de vol sans turbulences. Même en dehors de toute campagne électorale, les sièges au Top Management d’Air Mauritius sont éjectables. Ce qui donne une indication du commitment of the Highest Quality of Service pour rétablir l’honneur perdu de la compagnie aérienne nationale.
Pour le tandem Obeegadoo/Jagutpal, le dernier rapport du FMI au chapitre de la gestion du Covid-19 est du pain béni. Mais le Grand Argentier ne disconviendra pas que ce constat relève de la métaphore de l’éléphant et des aveugles. Cette fable, d’origine indienne, conclut que lorsque les aveugles confrontent ensuite leurs idées, ils entrent en désaccord, doutent même de la sincérité de leurs interlocuteurs et, dans certaines versions, en viennent aux coups.
Les findings des Article IV Consultations ont été avalisés lors des délibérations du conseil des ministres de vendredi. Il serait prétentieux de dire que le scénario de l’éléphant et des six aveugles était applicable. Mais il demeure non moins vrai que les problèmes identifiés, de l’endettement public au vieillissement de la population, en passant par la fiscalité, se présenteront sous forme d’agenda post-électoral pour le gouvernement issu des urnes.
Demandez le programme ! L’agenda s’impose déjà !
Patrick Michel