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Narainsamy Ramen (Auteur du livre « Birds of the Indian Ocean ») : « La protection des milieux humides côtiers est vitale pour le pays »

Narainsamy Ramen, conservationniste, ornithologue, photographe animalier et auteur de Birds of the Indian Ocean, lancé en janvier 2022, et qui a été accueilli favorablement non seulement dans les îles de la région, mais également en Europe, est actuellement à Maurice. Le Mauricien l’a rencontré à sa résidence, à Rose-Hill, où abondent livres, photos, tableaux et affiches d’oiseaux de Maurice et de la région. Dès les premières salutations, Narainsamy Ramen a des oiseaux plein la bouche et la tête. Il déplore que ce soient surtout les étrangers qui se sont intéressés aux oiseaux endémiques de l’île et explique que les oiseaux de Maurice sont essentiellement endémiques et ne peuvent s’envoler ailleurs, sauf bien entendu les oiseaux migrateurs qui affectionnent l’île. Observant que les meilleurs ossements du dodo sont à l’étranger, il explique qu’il a fondé la Dodo Live Foundation dans le but de sensibiliser les Mauriciens sur l’importance des oiseaux, qui constituent un patrimoine vivant du pays, ce qui est également une excellente façon de mieux faire connaître Maurice à l’étranger. « Combien de personnes savent que cet oiseau, aujourd’hui disparu, vivait à Maurice ? » se demande-t-il.
Aujourd’hui, il plaide pour une meilleure préservation des oiseaux dans le pays, et surtout à l’estuaire de Terre-Rouge qui, malheureusement, a été affecté par la pollution. « La protection des milieux humides côtiers – comme le refuge d’oiseaux de l’estuaire de Rivulet, Terre-Rouge – est vitale pour la survie des échassiers migrateurs et des oiseaux marins », affirme-t-il.

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Comment s’est développé cet intérêt pour les oiseaux chez vous ?
Je suis originaire de Verdun, un endroit magnifique. Il y avait toujours beaucoup d’oiseaux. Autant que je me souvienne, alors que mes frères et mes amis s’intéressaient au football, je m’intéressais aux oiseaux. Je passais mon temps à attraper les oiseaux et à les observer. Par la suite, nous avons déménagé pour Rose-Hill. Toutefois, mon frère et moi allions à l’école à Beau-Bassin parce qu’on avait un frère qui était enseignant dans une école dans la région.
Je me souviens qu’un jour, en nous rendant à l’école, mon frère et moi avions remarqué un attroupement d’enfants qui observaient quelque chose. Ils regardaient un oiseau qui était dans une boîte et semblait malade. Au terme de discussions, mon frère et moi avions mis ensemble notre argent de poche et pour le transport pour acheter l’oiseau. Je l’ai gardé quelque part à l’école.
En classe, je ne pouvais me concentrer parce que je pensais à l’oiseau. À cette époque, lorsque vous étiez distrait, l’enseignant vous forçait à vous mettre debout sur le pupitre. Ce qui m’est arrivé. J’ai pu ramener l’oiseau à la maison. Je l’ai mis dans une boîte que je chauffais au moyen d’une ampoule électrique. Le lendemain, lorsque je me suis réveillé, l’oiseau était décédé. Je l’ai enterré avant d’aller à l’école. Depuis ce jour, je me suis juré que je ne laisserai jamais mourir un oiseau. Les larmes me viennent aux yeux jusqu’aujourd’hui lorsque j’y pense. J’ai poursuivi mes études avant de quitter le pays pour la Royaume-Uni, j’étais très jeune.

Quand avez-vous quitté le pays ?
J’ai quitté le pays en 1959 alors que je n’avais que 17 ans aussitôt après avoir passé mes examens. Je me souviens avoir voyagé pendant un mois à bord du Ferdinand de Lessep qui était un des quatre paquebots qui desservaient Maurice de la France. À l’époque, on voyageait très peu par avion. La vie n’était pas facile pour les Noirs en Grande-Bretagne. Il était difficile de louer une maison. Lorsqu’il y avait un appartement à louer, pour des fois vous retrouver face à une affiche sur laquelle il était écrit : “No Irish, no coloured no dog”. Je m’en souviendrai toujours.
Mon seul avantage est que mon frère était déjà à Londres. Nous avions donc vécu ensemble jusqu’à son départ. J’ai alors commencé à chercher un appartement et j’ai pris conscience que ce ne serait pas facile de vivre tout seul. La vie était difficile. Toutefois vu que mes parents avaient fait beaucoup de sacrifices pour m’envoyer en Grande-Bretagne, je ne pouvais leur demander quoi que ce soit. J’ai donc commencé à faire de petits boulots tout en suivant des evening classes. Les conditions étaient difficiles en raison des préjugés. Ce qui fait que des études qui auraient dû durer deux ans ont pris plus longtemps. Je suis revenu à Maurice 11 ans plus tard pour voir la famille. En retournant à Londres j’ai fait une demande pour intégrer la Royal Air Force (RAF) et j’ai été recruté.

Pourquoi la RAF ?
J’ai rejoint la RAF car j’estimais que c’était la meilleure chose à faire. J’y suis entré pour apprendre un métier et aussi parce qu’on vous offre un logement, de la nourriture et une formation pour devenir quelqu’un. On reçoit une formation stricte. Dans certains pays, il vous faut faire deux ans de service militaire. C’est une bonne chose et vous apprenez à être indépendant. Vous avez à faire votre lit et à vous occuper de votre résidence. J’ai effectué des travaux très difficiles. Au fil des années, j’ai été en mesure de louer une maison et me marier. La première chose que j’ai faite avant même de songer à l’aménager, j’ai cherché comment y installer une volière. Les oiseaux étaient ma passion après mon travail. Je les ai achetés, nourris.
Une autre de mes passions était la photographie. J’ai débuté dans la RAF comme une area photographer. Je prenais les photos aériennes qui étaient par la suite examinées par les officiers afin de savoir où il fallait intervenir. Il fallait développer les films en moins de dix minutes. Par la suite, j’ai été nommé ground photographer. Je dois dire que j’étais doué pour la photographie. Un jour, j’ai été appelé à prendre la photo du Station Commander. Lorsqu’il a vu sa photo il a voulu me rencontrer. Il m’a alors annoncé qu’il voulait que je sois le photographe de la RAF. Par conséquent, j’ai été appelé à prendre les photos de toutes les personnalités qui visitaient la RAF tenant compte du fait que les photographes de presse ne pourraient entrer dans les régions hautement sécurisées. J’ai ainsi pu rencontrer des Premiers ministres, la reine Elizabeth, le prince Charles, la princesse Margaret. Je me suis rendu au moins à deux reprises au Buckingham Palace où j’ai pris les photos de la reine Elizabeth. J’ai donc pu me rendre dans des endroits où aucun photographe ne pouvait se rendre.
En parallèle je m’occupais des oiseaux. J’élevais des oiseaux et fournissais les parcs, etc. Comme vous voyez je faisais d’autres choses pour me permettre de me livrer à ma passion.

Avez-vous fait des études poussées sur les oiseaux ?
J’ai étudié les oiseaux. Ce qui fait que je suis connu comme un ornithologue. J’ai fait des études dans des collèges parce qu’il n’y avait pas de formation dans ce domaine à l’époque. Les organisations qui s’occupent des oiseaux vous donnent une formation afin que vous puissiez vous en occuper. Je suis aussi connu comme un conservationniste. Aujourd’hui, il y a des degrés et des formations poussées. Personnellement, j’ai lu plein de livres sur les oiseaux. À Maurice, j’ai reçu la médaille OSK des mains du président de la République.

Vous avez en même temps commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire de petits textes sur mon expérience lors des élevages d’oiseaux. Lorsque j’élevais un oiseau, je me documentais sur l’oiseau en captivité. Breeding, learning, searching and writing were what I was doing. J’écris aussi sur ce que je vois et les photos que j’ai prises. Cela a été le cas pour un cordonnier. Non seulement j’ai pris sa photo mais j’ai aussi été en mesure de raconter ce qu’il fait par écrit. J’ai aussi écrit sur l’îlot Gabriel et sur la pollution, notamment à Rivulet, Terre-Rouge.

Donc, la pollution affecte également les oiseaux ?
Tout à fait. Je pense que nous devrions être parmi les premières nations à devenir parties contractantes à la Convention de Ramsar. Il y a maintenant plus de 170 Parties contractantes à la Convention, qui ont inscrit plus de 2400 sites de zones humides à travers le monde sur la Liste Ramsar des zones humides.
La prochaine Conférence des Parties contractantes (COP15) se tiendra à Victoria Falls, au Zimbabwe, en juillet. Il est important de réfléchir sur l’amélioration de la gestion des sites Ramsar et le maintien des caractéristiques écologiques. Cette convention joue un rôle essentiel dans la préservation des habitats des oiseaux d’eau et la protection des zones humides à travers le monde. Je pense en particulier à l’estuaire de Terre-Rouge. C’est avec cela en tête que j’ai créé la fondation Dodo Live.

Vous êtes donc préoccupé par ce qui se passe à l’estuaire de Terre-Rouge ?
La nouvelle fondation Dodo Live s’est alarmée en apprenant la terrible marée noire à Rivulet Terre-Rouge qui est un sanctuaire d’oiseaux en janvier de cette année. Les oiseaux migrateurs viennent à Maurice chaque année depuis des zones de reproduction aussi éloignées que la mer Arctique. Le nombre d’oiseaux a diminué dans le monde entier en raison de la perte d’habitat sur leurs routes migratoires. La protection des aires de non-reproduction pour les migrateurs est aussi importante que la protection des habitats utilisés à d’autres moments de l’année.
Le fait que cette pollution se soit produite en tant que sanctuaire d’oiseaux est particulièrement alarmant. La protection des milieux humides côtiers comme le refuge d’oiseaux de l’estuaire de Rivulet Terre-Rouge est vitale pour la survie des échassiers migrateurs et des oiseaux marins. Pourtant, si nous protégeons d’une main et permettons le développement sauvage de l’autre, nous courons un risque considérable de causer des dommages à l’environnement ainsi qu’à notre patrimoine.

Que devraient faire les autorités à votre avis ?
Nous pensons qu’une pénalité fixe de Rs 25 000 pour un déversement de pétrole est ridiculement basse et dépassée. Cela ne fera rien pour dissuader les pratiques dangereuses. Dans d’autres pays, les amendes peuvent atteindre des millions, selon l’étendue des dégâts. En vertu de la réglementation MARPOL (The International Convention for the Prevention of Pollution from Ships) sur les déversements d’hydrocarbures en mer, le navire fautif peut être arrêté, les propriétaires condamnés à une amende et mis à l’épreuve et le membre d’équipage impliqué peut-être emprisonné et condamné à une amende. De nombreuses entreprises ont été condamnées à des amendes de plusieurs millions de dollars pour des violations dans le monde entier. Par exemple, en 2022, la société énergétique espagnole Repsol a été condamnée à une amende de près de 5,5 millions d’euros par les autorités environnementales péruviennes pour une marée noire au large des côtes du pays et contrainte de payer plus de 11 millions d’euros supplémentaires pour sa mauvaise gestion de la catastrophe.
En 2020, en Californie, les amendes pour déversements d’hydrocarbures ont été doublées jusqu’à un maximum de USD 1 000 000 pour chaque infraction, chaque jour ou partie de journée d’une infraction étant considérés comme une infraction distincte. Les tribunaux peuvent imposer une amende supplémentaire pouvant aller jusqu’à USD 1 000 par gallon de pétrole déversé au-delà de 1 000 gallons. Pourtant, un déversement de pétrole à terre est généralement pire qu’un déversement de pétrole en mer et plus toxique pour la vie côtière que si la nappe a été altérée en mer pendant plusieurs jours avant de s’échouer.
Le pétrole est un destructeur de la faune, mais nous devons également nous méfier de l’impact très néfaste sur la santé humaine. Si les rivages sont souillés, le tourisme et le commerce peuvent être gravement affectés. Une industrie particulièrement vulnérable aux déversements de pétrole est la pêche. Les déversements majeurs d’hydrocarbures sont souvent suivis de la suspension complète de la pêche commerciale pour empêcher la capture et la vente de poissons ou de crustacés contaminés.
Un rapport présenté à la 13e session de la Conférence des Parties (CdP-13) a révélé que jusqu’à 73% des 255 espèces d’oiseaux d’eau migrateurs inscrites étaient en déclin. Les experts ont déclaré que cette perte de biodiversité et d’écosystèmes n’est rien de moins qu’une crise existentielle. Les animaux migrateurs contribuent directement au fonctionnement, à l’équilibre et à la constitution d’écosystèmes sains, offrant à l’humanité d’innombrables avantages. Ce qu’il faut, c’est un cadre qui soutienne la coopération mondiale pour relever le défi mondial.

La Fondation Dodo Live veut donc protéger davantage les oiseaux migrateurs ?
La Fondation Dodo Live estime que la pollution doit être prise plus au sérieux et que les oiseaux migrateurs qui viennent sur ces côtes depuis des millénaires doivent être protégés. Nous critiquons à juste titre l’exploitation irréfléchie de la faune par les premiers visiteurs européens sur nos côtes, ce qui a conduit à l’extinction de trop d’espèces, y compris le dodo, dont le nom n’est pas synonyme d’extinction. Mais sommes-nous meilleurs si nous fermons les yeux sur les dommages que le développement humain peut causer aux oiseaux migrateurs ?
Parce que les espèces migratrices traversent les frontières nationales et même continentales, nous devons nous unir à la communauté mondiale pour protéger les oiseaux migrateurs, leurs habitats et la vie humaine. Dans d’autres parties du monde, le coût élevé de l’indemnisation pour l’impact des déversements d’hydrocarbures a été une incitation majeure pour les entreprises qui manipulent du pétrole à réduire leurs risques d’être prises au dépourvu par des événements comme l’incident de l’estuaire du Rivulet Terre-Rouge. Nous devons faire de même pour le bien de notre peuple, pour le bien de la faune et pour l’avenir de belles îles fragiles comme Maurice.

Quel lien faites-vous entre les oiseaux et la vie humaine ?
Laissez-moi vous dire qu’il y a au moins 45 millions d’insectes dans le monde. S’il n’y a pas d’oiseaux pour maintenir un équilibre, nous serons envahis par des insectes. Pour vous citer un exemple. En Chine, un fermier avait constaté que les moineaux mangeaient les grains qu’ils produisaient et s’en est plaint auprès du ministre de l’Agriculture. Ce dernier a constaté que les moineaux mangeaient 1% de la production. Il avait donc encouragé tout le monde à tuer les moineaux. La conséquence est qu’il y a eu une prolifération d’insectes qui, à leur tour, consommaient 80% de la production. Voilà ce qui se passe lorsqu’il y a un déséquilibre. Le gouvernement a été obligé de réintroduire les oiseaux pour rétablir l’équilibre.

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