Nos jeunes sont-ils malheureux ?

Les jeunes mauricien-nes sont-ils parmi les plus malheureux au monde ?
Curieusement, c’est ce que suggère un graphique publié ce vendredi 17 mai 2024 par Visual Capitalist, qui place Maurice au premier rang du palmarès mondial des pays où les jeunes sont les plus « unhappy » comparés aux générations précédentes.
Créé en 2011, Visual Capitalist est un site canadien s’adressant notamment aux businessmen, et dont l’ambition affichée est de « rendre l’information mondiale plus accessible » et « d’éclairer autrement de grands sujets d’actualité axés sur les marchés, la technologie, l’énergie ou encore l’économie mondiale ».
Pour ce faire, il utilise la datavisualisation ou dataviz, qui consiste à « représenter graphiquement des données, chiffrées ou non, de manière à les appréhender visuellement ».
Dans son édition du 17 mai dernier, ce site s’intéresse donc à la notion du bonheur dans le monde, se basant sur l’édition 2024 du World Happiness Report publié chaque année depuis 2012 par le Réseau des solutions pour le développement durable de l’ONU. Indice déterminé en compilant un certain nombre de données humaines, sociales, économiques et politiques.
L’article de Visual Capitalist signé Pallavi Rao présente donc une classification des pays « Where Youth are the Most Unhappy, Relative to Older Generations ». Listant les pays où existe le fossé le plus important entre le sentiment d’être heureux chez les jeunes adultes (moins de 30 ans) et les adultes plus âgés (plus de 60 ans). Et dans le graphique réalisé par Jennifer West, c’est Maurice qui arrive en tout premier rang, avec un énorme fossé de 57. Devant les Etats Unis (52), le Canada. (50), l’Ouzbékistan et la Chine (49).

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Qu’est-ce qui pourrait expliquer un tel score pour l’île supposée « paradis » ?
L’article ne donne pas beaucoup de détails à ce sujet. Et il semblerait que le fossé vienne tout autant du faible indice de bonheur exprimé par les adultes. Mais il fait ressortir que la tendance est mondiale. Et traduit un changement à étudier. Ainsi, il a généralement été considéré jusqu’ici que les jeunes adultes de moins de 30 ans avaient tendance à être les plus heureux, tendance qui décroit dans les années suivantes, pour ensuite connaître une nouvelle hausse autour de la soixantaine. Or, ces données sont en train de s’inverser. “That older generations are happier, by itself, is not a bad thing. However, that younger adults are so much unhappier in the same country can point to several unique stresses that those aged below 30 are facing” relève l’article.
Parlant de Maurice, l’auteur souligne que “The 1.26 million-inhabited island nation briefly reached high income status in 2020, but the pandemic hit hard, hurting its key tourism sector, and affecting jobs”. Mais si le taux de chômage des jeunes a baissé au cours de ces trois dernières années, Pallavi Rao fait ressortir que comme d’autres îles au même type de population, les jeunes émigrent souvent à la recherche de meilleures opportunités.
Aux États Unis et au Canada, beaucoup de jeunes adultes expriment le sentiment qu’ils ont été exclus, par les coûts croissants, de la possibilité de posséder une maison, ce qui a longtemps été un marqueur de succès et de sécurité.

Autre facteur évoqué : l’insécurité climatique, avec des inquiétudes grandissantes sur la dégradation non plus lointaine mais de plus en plus immédiate et visible du monde qu’ils vont habiter. De fait, au cours de ces dernières années, de nouveaux termes sont apparus, comme celui d’éco-anxiété, pour désigner l’angoisse et les troubles psychologiques, pouvant être invalidants, vécus par des personnes, souvent jeunes, qui ont le sentiment d’être impuissantes devant la dégradation de la planète et un futur de plus menacé.

Les inégalités économiques grandissantes sont aussi citées comme un facteur qui pèse de plus en plus lourd sur les épaules et le moral de la jeune génération. Qui se retrouve confrontée au fait qu’à la différence de leurs parents, leur travail ne leur assure plus une progression qui leur permette d’envisager une forme de croissance économique. Et il y aurait beaucoup d’études à mener à ce sujet chez nous auprès d’une jeunesse qui refuse de s’engager dans des métiers où elle ne trouve plus de sens, mais aussi dans un rapport à l’argent qui, confronté à l’étalage souvent indécent de certaines richesses mal gagnées, en vient à se tourner vers des activités qui rapportent vite et bien.
Parce qu’il faudra bien que l’on en vienne à parler de la drogue au final. De son trafic. Mais aussi de sa consommation grandissante au sein d’une jeunesse dont le mal-être se traduit aussi de plus en plus dans le recours à des drogues synthétiques qui détruisent de façon accélérée.
Et il faudra aussi que l’on parle de l’influence des réseaux sociaux, de leur violence souvent pour des jeunes en pleine construction de soi.
Tant de choses dont nous devrions discuter, débattre, avec des jeunes qui ont tant de choses à dire mais qui sont souvent privés de véritables lieux et possibilités d’exprimer ce qui leur tient à cœur, ce qu’ils vivent, subissent, espèrent, ce qui leur fait peur, ce dont ils rêvent, ce qu’ils voudraient construire.
« Qu’entendons-nous par « bonheur » ? Dépend-il de nos gènes, de la chance, de notre sensibilité ? Est-ce un état durable ou une suite de plaisirs fugaces ? N’est-il que subjectif ? Faut-il le rechercher ? Peut-on le cultiver ? Souffrance et bonheur peuvent-ils coexister ? » Ces questions sont au centre de l’ouvrage Du bonheur de Frédéric Lenoir, qui a animé chez nous au cours de la semaine écoulée une série de conférences. Sans doute serait-il intéressant d’en organiser un deuxième cycle ouvert plus particulièrement à nos jeunes. Ceux-là qui, dans les mois à venir, seront appelés à voter, et quelque part à exprimer ce dont ils rêvent de mieux pour eux et leur pays.
Au milieu de ses statistiques, l’article de Visual Capitalist met en avant une citation de l’auteur américain Tom Bodett qui affirme : “They say a person needs just three things to be truly happy in this world: someone to love, something to do, and something to hope for”.
Quelqu’un à aimer, quelque chose à faire, quelque chose à espérer.
Qu’espèrent nos jeunes ? Que pouvons-nous faire pour rendre cet espoir possible pour ceux que nous aimons ?
Visualisons…
SHENAZ PATEL

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