Stratège Géopolitique
La Nouvelle Orientation Verte du Quai d’Orsay
Du 6 au 8 avril 2024, Stéphane Séjourné, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, était en tournée éclair en Afrique subsaharienne et son itinéraire l’a emmené au Kenya, au Rwanda, et en Côte d’Ivoire.
Le combat contre le changement climatique semble rapprocher le Kenya et la France. D’abord, le 3e One Planet Summit s’est tenu à Nairobi en 2019. Ensuite, les Présidents Ruto et Macron mènent le bal pour l’établissement d’une Task Force pour lever des fonds de financement durable par le biais d’une taxe carbone globale.
Au Rwanda, le ministre Séjourné a représenté le President Macron à la Cérémonie de commémoration marquant le 30e anniversaire du génocide. Séjourné a reconnu que la France a failli au moment opportun et aurait pu éviter ce drame impliquant près d’un million de morts. Sans effacer ce passé très douloureux, la France préfère regarder en avant et a signé des accords valant 400 millions d’euros dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’environnement.
Avec une population d’un peu moins de 14 millions, le pays des Mille collines ne représente pas un grand marché relatif aux géants d’Afrique. Cependant, le Rwanda sert de hub de transit pour la République Democratique du Congo qui possède l’une des plus grandes réserves de coltan au monde.
Le tantale (Ta), extrait du coltan, entre dans la fabrication de dispositifs électroniques, tels que les smartphones, tablettes et ordinateurs, dont le monde ne peut s’en passer.
En Côte d’Ivoire, la France travaille à la mise en œuvre du métro d’Abidjan. Alimenté à l’électricité, le métro contribue à décongestionner la ville et à réduire les émissions carbones.
Tourner la Page sur la Françafrique et se Défaire des Chaînes Coloniales
Trop longtemps enfermée dans un schéma enchaîné au passé colonial, la relation France-Afrique, ou plutôt Afrique-France – comme certains veulent faire ressortir – requiert sans doute une mise à jour de son logiciel.
Cela dit, la relation compliquée entre la France et son pré carré était autrefois caractérisée par la notoire Françafrique, initiée à l’ère Gaulliste. Au fil des années, ce mot a pris une connotation négative et la simple mention de ce mot fait remonter les démons du passé.
Aussi, les rivaux de la France ne ratent pas une occasion de rappeler le passé pas très glorieux à ceux qui veulent l’entendre et profitent de ce bagage colonial pour attiser un sentiment anti-français. Ainsi, la présence militaire ne semble plus la bienvenue dans certains pays du Sahel.
Éviter les Sujets qui fâchent
Depuis son installation à l’Élysée, le Président Macron multiplie les visites en Afrique. Macron compte arriver à terme à un ‘nouveau deal’ avec le continent émergent. Pour ce faire, la France compte éviter les sujets qui fâchent tels que la FCFA, la présence militaire et tente de se défaire de son image paternaliste envers les Africains.
Si la France revendique une ‘autonomie stratégique’ sur le plan de sa politique étrangère, alors les pays dans la Zone FCFA recherchent maintenant une ‘autonomie financière’ par rapport à la politique monétaire.
À propos de l’opération Barkhane qui touche la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, la France compte transformer l’image du lonesome cowboy et mettra plus en avant le partenariat avec les forces locales afin d’assurer la sécurité dans la région du Sahel.
Enjeux énergétiques et Corridors de Compétition
Avec l’Accord de Paris adopté lors du COP21 en 2015, le monde s’est fixé comme objectif de restreindre la montée de la température en deçà de 2°C. Cela implique une politique agressive de décarbonisation et l’UE a voté pour l’interdiction de la vente des voitures carburant aux énergies fossiles polluantes d’ici 2035.
Mesurant l’opportunité économique, la Chine s’est donc donné comme objectif de dominer le marché des voitures électriques. Pour parvenir à ses fins, l’Empire du Milieu compte contrôler toute la chaîne de valeur à partir des minéraux critiques, qui entrent dans la fabrication des batteries rechargeables, jusqu’à l’Intelligence artificielle (IA) qui permet la conduite autonome. Bref, tout un vaste programme dont les Chinois détiennent le secret !
Plusieurs de ces minéraux critiques se trouvent en République Démocratique du Congo (RDC). En particulier, le cobalt est un élément essentiel dans l’élaboration des batteries rechargeables qui alimentent les voitures électriques. La RDC produit 70% du cobalt au monde et serait donc un maillon crucial dans la chaîne des valeurs mondiales des voitures électriques.
Afin de faciliter l’accès à ses minéraux critiques, l’Union européenne (UE) et les États-Unis ont annoncé en 2023, le rehaussement du Corridor de Lobito qui reliera les régions minières du Katanga en RDC et le Copperbelt en Zambie au port de Lobito en Angola qui donne sur l’Océan atlantique.
Pour ne pas être en reste, la Chine vient de soumettre une proposition aux autorités zambiennes pour la remise à niveau de ligne Tazara qui reliera les mêmes régions minières au port de Dar-es-Salam en Tanzanie qui s’ouvre sur l’Océan indien.
Il va sans dire que l’Afrique est un partenaire incontournable pour atteindre la neutralité carbone.
Débat parlementaire sur la Stratégie africaine
Les Français sont conscients du fait que l’Afrique est un ‘déterminant indubitable du statut de grande puissance de la France’. L’Afrique francophone est historiquement ancrée dans la sphère d’influence de la France, mais de nouveaux acteurs très actifs sont en train de redessiner les contours de cette relation.
Afin de recueillir les divers points de vue et suggestions à ce sujet, le Président Macron avait promis un débat parlementaire sur la stratégie de la France en Afrique. Chose promise, chose due : le débat a effectivement eu lieu en deux actes à l’Assemblée nationale et au Sénat le 21 novembre 2023.
La grand-messe sur l’Afrique a débouché sur la rédaction d’un rapport parlementaire de 175 pages qui est la synthèse des délibérations dans les deux Chambres.
Pour faire court, le Parlement français préconise une approche moins centrée sur le sécuritaire et plus orientée vers l’économie afin de pouvoir rapporter le maximum de dividendes politiques et économiques.
Mouvance Vers la Mobilité de Masse
La croissance remarquable de l’Afrique va de pair avec une poussée de l’urbanisation, mettant sous pression les infrastructures routières. Ainsi, plusieurs capitales ou villes africaines ressentent la nécessité urgente d’adopter un mode de transport urbain moderne, efficace et durable.
À Nairobi, le ministre français Stéphane Séjourné a procédé à la signature d’un accord avec le Secrétaire du cabinet pour les Affaires étrangères et de la Diaspora du Kenya, M. Musalia Mudavadi, portant sur le rehaussement du Nairobi Commuter Rail. L’enveloppe de financement monte à près de 140 millions d’euros ou 20 milliards de shillings kényans bien sonnants.
En Côte d’Ivoire, le Métro d’Abidjan, projet estimé à 1,36 milliard d’euros, a figuré en bonne place sur l’agenda de la coopération bilatérale. La France finance ce projet, Bouygues agit comme le maître d’ouvrage et Alstom fournira le matériel roulant. Basé sur un Partenariat Public-Privé (PPP), le Métro sera opéré par Keolis pendant une certaine durée suivant les termes du contrat de concession.
En 2019, le Sénégal a inauguré le premier tronçon du Train express régional (TER) reliant la capitale Dakar avec la nouvelle ville intelligente de Diamniadio. Au coût total d’un milliard d’euros, l’AFD a contribué 200 millions d’euros aux côtés de la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement.
Travaillant dans la même direction, il serait bon de relever l’initiative Global Gateway de l’Union européenne qui multiplie les actions dans le but de construire et contrôler certains Corridors Stratégiques en Afrique donnant accès aux minéraux critiques.
La Marche de Maurice vers la Mobilité Verte
Maurice est en mode full-speed ahead au niveau du déploiement du Metro Express, présenté comme le projet phare dans le cadre de la coopération exemplaire entre Maurice et l’Inde. Le Metro Express a cependant dû mettre un frein lors de son plan d’expansion vers l’Est, en passant par Côte d’Or, qui est au centre du blueprint sur le développement du territoire.
Pour être plus précis, le contentieux entre Larsen & Toubro et Rail Vikas Nigam Limited a ralenti l’avancée du Metro Express. À ce stade, il est difficile de dire quand ce macadam légal sera enlevé.
Nonobstant que l’Inde ait signalé son engagement à poursuivre et renforcer son partenariat sur le projet du métro, on devrait être smart enough to have multiple options, comme l’a si bien souligné le ministre indien des Affaires externes, Subrahmanyam Jaishankar, lors du Munich Security Conference 2024.
Relevons que la France et l’Inde comptent une longue histoire d’amour sur le chemin de fer. Au cours de la dernière décennie, l’Agence française de Développement (AFD) a financé, entre autres, les projets de métro à Bangalore, Kochi, Nagpur, Pune et Surat à hauteur de plus d’un milliard d’euros.
Si on parvenait à combiner le « French Touch » avec « l’Approche frugale » de l’Inde, on parviendrait à une offre adaptée et séduisante pour les marchés émergents en Afrique, voire dans l’espace élargi de l’Indo-Pacifique.
Un rapport annuel récent de l’AFD nous apprend que l’AFD a consacré un peu moins de ¾ de son budget de financement sous la rubrique ‘Mobilités et Transports’ à la mobilité urbaine, avec un penchant net et clair pour les projets pro-climat.
Maurice, en tant que Centre financier international et le tatami où les grandes puissances croisent le fer, serait un terrain propice pour le succès de ce Big Fat Wedding Arranged in Paradise, avec le Metro Express mauricien servant de tremplin dans la conquête d’autres marchés porteurs.