Ingénieur agronome de formation, Bertrand Côme sort un graphique pour expliquer la gravité de la situation: l’évolution des températures sur l’île. « Depuis les années 2000, ça grimpe. En 2019 on était à +1,2°C par rapport à la norme. En 2023, on attend +2°C », dit-il à l’AFP.
Orchidée fragile et encore mystérieuse, la vanille n’a pas besoin d’engrais pour pousser, mais elle réclame des conditions météorologiques bien précises. En hiver, la fraîcheur et une relative sécheresse déclenchent sa floraison.
« Sa résilience au changement climatique est nulle (…). Maintenant, il pleut davantage et il fait plus chaud. Donc la vanille ne fleurit pas », regrette Bertrand Côme, selon qui la solution passe par des cultures en altitude – la vanille est cultivée sous les 700 mètres – et l’abandon du sud-est de l’île, prisé des producteurs mais devenu trop pluvieux.
– Nouvelle variété –
Etudier les effets du climat sur la vanille, c’est une des missions du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) de La Réunion, qui abrite à Saint-Pierre (sud) la plus grande collection au monde de vanilliers.
Sous une vaste ombrière, Carine Charron guide le visiteur à travers une multitude de plants. La vanille produite à La Réunion est la Vanilla planifolia, qui représente plus de 95% de la production mondiale. Or, d’autres variétés sont plus tolérantes au changement climatique.
« En allant piocher dans cette diversité (…), on va proposer des variétés plus intéressantes pour les agriculteurs, plus résistantes aux maladies, aux périodes de sécheresse », explique-t-elle.
Après vingt ans de recherche, le Cirad a validé en décembre 2022 une nouvelle variété baptisée « Handa », résistante à un champignon qui s’attaque aux lianes de la vanille.
Le Cirad souhaite continuer sur cette lancée. L’idée n’est pas de remplacer les Planifolia actuelles mais de diversifier les variétés cultivées: ainsi, « on a moins de chance de tout perdre d’un coup quand un pathogène ou une période de sécheresse arrive », poursuit Carine Charron.
– La qualité d’abord –
Le prix de la vanille, deuxième épice la plus chère après le safran, est justifié par ses conditions de production. Quand un agriculteur se lance, il doit attendre trois ou quatre ans avant d’obtenir les premières fleurs.
Il doit ensuite féconder chaque fleur à la main, seul moyen fiable d’obtenir des gousses, selon un procédé découvert vers 1840 par un jeune esclave réunionnais, Edmond Albius.
La récolte a lieu sept à neuf mois plus tard, quand les gousses sont encore vertes et ne dégagent aucun parfum. Plusieurs procédés longs et chronophages – échaudage, étuvage et différentes étapes de séchage avant l’affinage – sont encore nécessaires pour obtenir les gousses noires à l’arôme si caractéristique.
Autant d’étapes lourdes en main-d’oeuvre qui expliquent la domination des mastodontes du secteur, Madagascar et l’Indonésie, qui fournissent plus de 80% de la production mondiale (environ 3.000 tonnes à elles deux). La Réunion, elle, ne produit plus qu’environ 20 tonnes de vanille verte par an.
« Pourtant, c’est encore ici qu’on innove », assène Louis Leichnig dans une forêt des hauteurs de Saint-Philippe (sud-est), où ses vanilliers poussent sur le tronc de palmiers. Lui s’est spécialisé dans la vanille givrée, selon un processus de cristallisation naturelle qu’il est un des rares à maîtriser et qui produit un arôme plus fort.
Amoureux de cette plante « robuste et fragile en même temps », qu’il faut bichonner pour qu’elle produise et dure dans le temps, il estime comme Bertrand Côme que la seule façon de sortir du lot pour La Réunion passe par la qualité.
Tous les deux s’échinent pour fournir grandes tables et épiceries fines hexagonales. « On fait monter en note, en réputation. On travaille pour faire en sorte que l’image de la vanille de La Réunion reste dans le haut du panier et que notre histoire ne meurt pas », souligne Louis Leichnig.
© Agence France-Presse