Dr Diplal MAROAM
« Bizin fer sa gouvernma la ale ». Une telle « priorité », ambitieuse au demeurant, de l’alliance politique dirigée par Navin Ramgoolam, ne peut constituer en soi un projet de rupture visant à séduire l’électorat si elle n’est pas simultanément accompagnée d’un programme élaboré mais surtout cohérent pouvant permettre de gouverner en bonne intelligence. Or, il convient d’emblée de constater que déjà, à l’issue de l’exercice de la répartition des investitures, la confiance, ciment indispensable de toute organisation hétérogène, a volé en éclats ; le PMSD ayant choisi de claquer la porte alors que le MMM, bien qu’au départ, insatisfait du nombre de tickets obtenus, a préféré maintenir sa cohabitation avec les Rouges dont le leader, pressenti pour occuper le poste de Premier ministre, a déjà subi deux défaites électorales consécutives dans deux différentes circonscriptions et est actuellement poursuivi au pénal dans l’affaire des coffres-forts.
Ce remake de 2014 donc, arriverait-il finalement à prendre sa revanche sur l’histoire pour faire oublier aux Rouges et Mauves les douloureux souvenirs survenus dix années plus tôt lors d’un scrutin législatif qui avait fait mentir la « winning formula » de 40% + 40% ? Mais, quoi qu’il en soit, dans les circonstances actuelles, ce qui compte le plus pour l’électeur lambda, ce sont les propositions concrètes et sérieuses pour une amélioration tangible de sa qualité de vie et celle de sa famille ; tout le reste n’est que du verbiage. Comme le fait ressortir, à juste titre, un ancien ministre, ayant de nombreuses années d’expérience en politique, Kadress Pillay, lors d’un entretien accordé à « Le Mauricien » du 6 avril dernier : « Au lieu de discuter de la position que chacun doit occuper ou de la répartition des tickets, donnez-nous en détail ce que vous proposez pour l’Éducation, pilier incontournable d’une société, pour la Santé, pour l’Environnement, pour combattre la criminalité et la drogue, pour se prémunir contre le changement climatique et finalement, l’économie et l’énergie. La population a le droit de savoir ce que représente cette alternative dans les détails ».
Aucun gouvernement n’a jusqu’ici osé franchir le Rubicon
Et l’on pourrait même ajouter : que propose une gouvernance alternative pour mettre fin à cette abominable querelle entre la Police et le DPP – institutions pourtant complémentaires dans le combat contre la criminalité – pour donner un nouveau dynamisme au problème de Law and Order qui se dégrade de jour en jour et assurer comme il se doit, la sécurité des citoyens de ce pays, particulièrement des personnes âgées et vulnérables – dont la grande majorité n’utilise pas de smartphones pour pouvoir télécharger et opérer l’application de sécurité –, proies commodes des malfrats et bandits de tout acabit en quête d’argent facile pour acheter leurs doses quotidiennes ? De nombreux observateurs du domaine du droit sont d’avis que cette crise institutionnelle aurait été évitée s’il existait un système de Juge d’instruction car, estiment-ils, c’est le maillon manquant mais « essentiel » entre la Police, institution qui mène l’enquête sur le terrain et le DPP, celui qui décide, entre les quatre murs, de la traduction ou non en justice des suspects. Déjà en 2006, un rapport avait été soumis au gouvernement d’alors par deux experts français, recommandant l’introduction de cette formule dans notre justice pénale. Or, aucun gouvernement n’a jusqu’ici osé franchir le Rubicon, se contentant simplement de se complaire dans le conservatisme britannique, et aujourd’hui nous nous trouvons toujours à la case départ.
Entre-temps, les différends entre la Police et le DPP ont atteint un nouveau palier, ayant même été portés devant la justice, entraînant un gaspillage de précieuses ressources, tant en termes de temps que d’argent – les avocats étrangers n’offrant pas leurs services pour des prunes –, ressources qui auraient bien pu être réparties ailleurs, dans le combat contre la criminalité. Dans ce contexte, si notre pays connaît ces jours-ci une détérioration palpable, tant sur le plan social que professionnel, c’est, dans une grande mesure, dû à un manque aigu de volonté de la part de nos dirigeants de sortir des sentiers battus pour initier les réformes qui s’imposent. Ce qui fait qu’à presque tous les échelons de la vie publique, le sens de la discipline et de la rigueur s’effrite de jour en jour. Quelle suite, par exemple, est accordée aux rapports de l’Audit qui, d’année en année, mettent en exergue de nombreux cas de malversation et d’irresponsabilité dans la gestion des fonds publics ? Et celui de 2022/23 déposé à l’Assemblée nationale le 2 avril ne fait pas exception à la règle.
La crédibilité se construit sur les piliers des actions concrètes. Mais lorsque le gaspillage et la négligence ne sont pas sanctionnés comme il se doit, l’impression qui se dégage est que le sens d’autorité de ceux qui sont aux affaires s’arrête seulement à la limite de la rhétorique. Dans le domaine du narcotrafic de même, pour un pays insulaire comme le nôtre qui ne produit pas de drogue dure, notre classement dans le peloton de tête des pays consommateurs des opiacés, tant sur le plan régional que mondial, aurait dû susciter une sérieuse prise de conscience de la part des décideurs politiques de notre pays. Or, les produits stupéfiants continuent à pénétrer sur notre territoire – mais également dans un circuit très restreint que sont les prisons –, ce en dépit des saisies très médiatisées effectuées de temps à autre. Une société contrainte de traiter des enfants de 15 ans avec la méthadone se trouve indéniablement sur la pente de la décadence. Gouverner, c’est prévoir mais surtout agir. Car c’est un leadership déterminé et visionnaire qui prêche par l’exemple et l’action et non par des discours creux et des déclarations d’intentions fracassantes qui pourrait combattre ce sentiment de laisser-aller et laisser-faire qui parasite notre société depuis des lustres.
Finalement, certains partis font de la révision de la Constitution alors que d’autres, de la réforme électorale, leurs sempiternels chevaux de bataille. Or, contrairement à ceux qui respirent la politique matin, midi et soir, le peuple, lui, entre deux élections, n’aspire à rien d’autre qu’une vie sereine et en toute quiétude. Cependant, le « right to recall » ou encore la tenue des référendums que prônent certains, ne ferait que consolider la situation de campagne électorale permanente qui caractérise déjà notre société. Avant d’avoir des droits politiques, le peuple souhaite d’abord et surtout, d’avoir le droit à la nourriture, à la sécurité, à un logement décent, aux services d’utilités publiques efficaces et performants, etc ; bref, à une existence saine et apaisée.
Dr Diplal MAROAM