Les aïeux de l’Afrique du Nord vénéraient Horus, un Dieu au visage de faucon couronné d’un pschent. Ses yeux, eux, représentent le soleil et la lune. Au sud-est du Grand continent, en ces temps modernes, une autre présence irradie les scènes qu’elle arpente. Sublimé par des bijoux de tête hérités des ères anciennes, le Réunionnais Aurus a ensoleillé les planches de l’Institut français de Maurice (IFM) et de N’Joy, lors de son passage dans l’île début mars.
Accompagné de deux musiciens de l’île soeur, il a déployé des strophes de maloya couplées à des teintes pop et rock. Cimentée par l’électro, sa musique est percutante. L’être en lui-même se révèle inspirant, notamment par son expérience de la musique, ses facultés vocales exceptionnelles, ainsi qu’une présence scénique marquante. Tout un spectacle qui s’étend de la disposition des instruments et du micro, à l’utilisation de ce qu’il qualifie d’un « carré », et à un style vestimentaire unique. Une identité majestueuse, qui brille dans le bassin sud indocéanique.
LaTerre.
Il est revenu au brillant guitariste et chanteur Manu Desroches d’assurer la première partie d’Aurus. Les deux artistes collaborent au sein d’un impressionnant collectif rassemblé par le DJ Ribongia. Regroupant également le percussionniste Jason Heerah, la musicienne Ophélie Sauteur et la chanteuse Emlyn, ils avaient offert un concert de haute facture à N’Joy en 2023. Quelque une heure durant laquelle la musique des îles Mascareignes avait brillé.
Les rythmes ternaires du sega et du maloya s’élevaient alors vers des univers rarement effleurés, notamment grâce à l’expérience scénique de cette formation décapante. Celle-ci avait déjà offert un avant-goût de ses capacités hors-normes à La Réunion. Une bribe de leurs créations a également été dispensée à House of Digital Art, à Edith, Port-Louis. Bien que certains des autres membres n’étaient présents, le concert donné dans la salle immersive avait retenu des jeux d’images hypnotisants. Pour une expérience mémorable.
Ce vendredi soir à l’IFM, Manu Desroches poursuit sa quête menant à s’affirmer comme artiste de premier plan. Durant des années, il a accompagné dans l’ombre multitude de groupes. Bien que placé en arrière-plan, le guitariste brillait quand même de par son talent ; celui qui fait de sa guitare comme un membre à part entière d’une formation. Entre ses agiles mains, l’instrument dialogue, chante et impressionne. Une faculté acquise après des années d’apprentissage, qui le placent désormais comme un héritier des grands guitaristes mauriciens.
Dans ce cheminement vers l’affirmation, la mise en ligne de son single, LaTerre, début 2024. A 20h22 résonnent les accords de cette ode lyrique et musicale à mama later. Accompagné du bassiste Steve Desvaux et du batteur Jalil Auckbaraullee, Manu Desroches distille une fusion de styles ramenant vers divers territoires. Des effluves de l’océan Indien, d’Afrique, de l’Europe, de l’Asie… un voyage orchestré par ce trio, qui ouvre notamment à un échange intriguant entre le ukulélé et la batterie. Une première partie communicative, qui prépare le terrain pour la tête d’affiche.
Soley ek Bondie.
Bastien Picot vient du Tampon, une localité réunionnaise qui domine Saint-Pierre. Le premier contact avec sa voix subjuguante eut lieu il y a sept ans à travers les sessions en studio mises en ligne sur la chaine YouTube Booboo’zzz All Star. Le Réunionnais y interprétait un cover version reggae de I Need a Forest Fire. Le coup de foudre. Sur internet, ce personnage singulier interpellait. Non seulement en raison de son allure unique, lui qui se couronne usuellement de bijou de tête formant un soleil autour de son crâne. Mais également parce qu’il exploite savamment le style électro-pop, en y incluant les rythmes du maloya. Dépeignant la fierté de son identité arc-en-ciel, les tribulations de la dépression, sa poésie navigue entre l’anglais et le créole réunionnais.
C’est ce métissage qu’il a déployé à l’IFM et N’Joy début mars, par l’entremise de Jorez Box. Sur scène, le guitariste Samuel Smith et le percussionniste Dimitri Domagala se retrouvent installés d’un côté de la plateforme. Une disposition étonnante, car ainsi, seul un pan de la scène est utilisé. Nous comprenons vite pourquoi.
En effet, Aurus déploie ses ailes dans l’ensemble de l’espace scénique restant. Il danse énergiquement au rythme du RnB, interpelle des membres du public, fait virevolter cette sorte de kimono qu’il arbore. Et surtout, crée l’illusion d’être en apesanteur en jouant avec ce fameux carré. Sa présence scénique se révèle tel qu’Aurus occupe l’ensemble de l’espace alloué.
Cette énergie débordante d’un être généreux s’étend parmi le public, embarqué dans un spectacle auquel il ne se savait convié. C’est ainsi que des spectateurs deviennent acteurs du show, Aurus se présentant à eux pour une poursuite du jeu scénique. Un maître de cérémonie qui s’assure de l’inclusion de tous.
Avec l’appui de Gérard Parame comme ingénieur son, le trio embarque vers Chimera, le premier album du Réunionnais, en y agrémentant des nouveautés et exclusivités. Avec un instrumental majestueux, une voix et des paroles profondes, une présence envoutante, la prestation d’Aurus a réuni les ingrédients requis pour un succès hors frontières.
Kaya chantait : « Soley ek Bondie ekler tou lor later ». Sans doute sans s’en douter, l’être ensoleillé qu’est Aurus jouit d’une profondeur intensément humaine marquante. Tel un soleil qui illumine les îles Mascareignes.