L’erreur

— Tu as entendu cette affaire-là, toi ? C’est incroyable !
— Qu’est-ce qui est incroyable : qu’à quelques semaines des élections l’alliance de l’opposition est encore à négocier le nombre de tickets que chaque parti doit avoir ?
— Ce n’est pas ça.
— Si c’est pas ça, qu’est-ce que ça peut être : que Laurette et Sherry Singh vont partager le priministership avec Valayden, Bodha et Bhadain une année chacun ?
— Tu vois, c’est toi qui ramènes tout à la politique.
— Qu’est-ce qui est incroyable alors : que cette année encore le rapport de l’Audit dénonce les dépenses et les gaspillages que l’on fait avec l’argent de contribuables ?
— Ayo ma chère, à chaque fois c’est la même chose. La presse va publier des extraits du rapport, des députés de l’opposition vont poser des questions, mais rien ne changera.
— Mais si ce n’est ni la guerre des tickets dans l’alliance de l’opposition ni le contenu du rapport de l’Audit, de quelle affaire incroyable tu es en train de parler alors ?
— Mais de ce cas d’erreur au bureau de l’État civil toi.
— Quel cas d’erreur ?
— Tu ne sais pas qu’une dame, qui avait été déclarée morte il y a soixante ans par le bureau d’État civil, vient d’être déclarée vivante par une Cour de justice.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?! C’est un poisson d’avril en retard ?
— Non, c’est une histoire vraie qui est arrivée je te dis !
— Comment peut-on déclarer vivante une personne qui est morte ?
— Tout ça est arrivée à cause d’une erreur du bureau de l’État civil.
— Tu veux dire qu’une personne déclarée morte par le bureau de l’État civil était en fait vivante ?
— Tu as tout compris.
— Mais comment une affaire pareille peut arriver ?
— La personne en question est née en 1960. Trois ans plus tard, une de ses sœurs meurt et à l’État civil on tire le certificat de décès à son nom. La personne va vivre soixante ans comme ça, aller à l’école, se marier, avoir des enfants sans aucun problème.
— Mais comment elle a appris qu’elle était officiellement morte ?
— Quand elle a eu soixante ans, elle a fait des démarches pour avoir la pension de vieillesse et une carte de Senior Citizen. Au ministère de la Sécurité sociale, on l’a envoyée au bureau de l’État civil.
— Et qu’est-ce qui s’est passé là-bas ?
— On lui a dit qu’elle n’avait pas droit à la pension et ses avantages puisqu’elle était… morte depuis soixante ans !
— Cette dame a dû avoir le choc de sa vie !
— Il y a de quoi, toi. Tu arrives dans un bureau d’État civil où on te dit que tu es morte ! Une fois le choc passé, la dame a dit qu’il y avait sûrement une erreur. Elle est allée chercher tous ses papiers : acte de naissance, acte de mariage, acte de naissance de ses enfants. Rien à faire.
— Pourquoi ?
— Parce que d’après ce que j’ai compris, le bureau de l’État civil avait fait une erreur en disant que cette personne était morte et cette erreur a été enregistrée dans le système. Pour l’État civil, en se basant sur ses dossiers, la personne en question n’existait pas.
— Qu’est-ce que la vivante que l’État civil disait morte a fait ?
— La seule chose qu’on peut faire pour faire corriger une erreur de l’État civil, parce que l’administration n’admet jamais avoir fauté — comme qui tu sais ! —, c’est la personne qui est victime qui doit le prouver l’erreur, pas ceux qui l’ont commise.
— Qu’est-ce que la dame a fait alors ?
— Elle est allée en cour et vient d’obtenir que l’erreur du bureau de l’État civil soit corrigée. La cour a annulé le « faux » certificat de décès et la dame en question est maintenant reconnue comme étant vivante…
— Ce qui a toujours été le cas…
— Mais elle n’était pas légalement vivante pour le bureau de l’État civil. Et tu sais que les fonctionnaires ne font que suivre les procédures, même si, comme dans ce cas-là, elles reposent sur une erreur. Avec le jugement de la cour, la personne en question va avoir sa carte de Senior Citizen, sa carte de bus et de métro, sa pension de vieillesse, tout ça.
— Incroyable ! Dis-moi un coup : qu’est-ce qui se serait passé si cette dame n’était pas allée faire des démarches pour toucher la pension de vieillesse ?
— Sans doute rien. Elle aurait continué de vivre comme elle avait toujours vécu, sans vrais papiers. Mais ses proches auraient eu un problème à sa mort.
— Quel problème encore ?
— En suivant la procédure et les règlements, le bureau de l’État civil aurait refusé de leur donner un certificat de décès puisque, d’après leurs dossiers, cette personne était officiellement morte depuis soixante ans !
— Tu as raison, c’est vraiment une histoire incroyable ! Tu sais ce que je vais faire tout de suite là en rentant à la maison ?
— Non. Dis-moi…
— Je vais aller checker tous les papiers de la famille, vérifier si les dates et les noms sont bien écrits.
— Pourquoi tu vas faire ça ?
— Pour éviter toute possibilité d’erreur. Je n’aimerais pas qu’on me dise demain que suite à une erreur, je suis morte depuis des années. Je serais capable d’avoir un stroke et de mourir sur le coup !
J.-C.A

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