L’Inde des rois, l’Inde des dieux

CHANTAL MENNESSIER

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Conférencière

— Rendez-vous au Ccef de Curepipe demain à 18h

L’Inde se situe à plus de 6 000 km à l’est de la France, en Asie du Sud, et, à quelques 5 000 km au nord-est de l’Ile Maurice. Pour se rendre à New Delhi, sa capitale, nous survolons depuis Paris plusieurs pays d’Orient, en 8h de vol, comme la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan.

Atterrir ici, en provenance de l’Europe, peut provoquer un choc culturel.

Un taxi est bien venu pour nous guider, tant la conduite à gauche est ingérable. La ville de 20 millions d’habitants qui subit une pollution exagérée surprendra par sa circulation très dense et anarchique qui semble ne jamais s’arrêter.  Quelques gracieuses divinités modernes nous accueillent avant de s’introduire dans la vieille ville historique qui reste  très marquée par l’influence architecturale médiévale de l’Islam.

Notre voyage commence au cœur des anciens états princiers du Rajasthan.

C’est 500 ans après J.C., au 6e siècle, que le Rajasthan est né véritablement, à la fin de l’empire Gupta, et, au début des invasions par les Huns, des nomades, originaires de l’Asie centrale.

 

Ces nouveaux  habitants, issus de ce mélange de population, seront les futurs Rajputs. Cette terre, sans aucune entité géopolitique, sera gouvernée par différents petits états princiers, indépendants. Toutes ces mosaïques de petits royaumes ne cesseront de se combattre et de cohabiter. C’est ainsi le début de l’ère princière Rajpute, du 6e au 12e siècle, au sommet de sa grandeur, qui tente de contrôler le nord de l’Inde. Les Maharajas, « Raj » signifiant « Roi » et « Maha » « grand », se succèdent et ont le monopole dans la région.

Ce sont de grands chevaliers qui entretiennent la lutte dynastique interne. Pour parfaire leur autorité, ils se disent descendants de la caste supérieure de rois et guerriers de l’Inde védique, les  Kashtriyas.

Pour se protéger de leur rivalité interne, ces dynasties régnantes construisent des fortifications imprenables, dans les lieux stratégiques. Les 2 plus remarquables se trouvent en plein cœur du désert du Thar, à l’extrémité nord-ouest du Rajasthan, à la frontière de l’actuel Pakistan, dans la ville de Jaisalmer et de Jodhpur.

Ces états, habitués aux rivalités dynastiques internes, vont devoir se défendre, à partir du 8e siècle, face à la conquête musulmane. Pendant près de 10 siècles, les rois rajputs s’affronteront aux sultans moghols  descendants aussi des Huns mais convertis à l’Islam.

Dès le 10e siècle, cette invasion islamique affaiblit les différentes principautés rajputes qui perdent des territoires mais font alliance entre elles en s’unissant en rajputanas qui sont des provinces collectives, administrés par l’empire Moghol. Cette union rajpute régnante, pour se renforcer, créait en 1093, une capitale Amber dotée d’une forteresse de 9 km. Dès la fin du 11ème  siècle, la ville de Dili, actuelle New Delhi, nom d’un roi rajput, tombe aux mains des combattants. Le symbole de cette victoire se matérialise par une tour en pierre de 73m, Minar Qutab, du nom de son conquérant.

C’est le début du Sultanat dans le nord de l’Inde qui va s’élargir à Agra, plus tard. Nous sommes là au cœur des routes stratégiques du nord du Rajasthan, avec Amber capitale Rajput, à la défensive,  avec Delhi et Agra, pôles victorieux du sultanat.

L’Empire Moghol – qui règne désormais sur cet espace nord du Rajasthan – marque le début de l’ère Mogol du 16e au 18e et va former le fameux Triangle Moghol qui administre les  rajputanas, les divisions provinciales rajputes.

Durant 2 siècles, 6 Grands Empereurs, de père en fils, issus de la même dynastie à dominante islamique, gouverneront :

1- Bâbur début du 16e,

2- Humâyûn milieu du 16e,

3- Akbar « le grand », 2e moitié du 16e (Contemporain d’Henri IV et du prince rajput  Man Sing I)

4- Jahângîr début 17e,

5- Shâh Jahân « souverain du monde »  milieu du 17e qui règnera jusqu’à Pondichéry,

6- Aurangzeb « le fanatique » fin 17e dernier Empereur (Contemporain de Louis XIV et du prince rajput Jai Singh II).

Chaque empereur gouvernant, du premier au dernier va œuvrer, soit en fortifiant Delhi avec son Fort Rouge, soit en construisant un palais, « la citée interdite », à l’intérieur de ce Fort rouge, soit en créant la plus grande mosquée de l’Inde toujours à Delhi, soit en érigeant l’emblématique mausolée de Humayun, soit en faisant d’Agra la capitale Moghole avec la construction de son Fort et son château, soit en édifiant le plus grand mausolée du monde, le Taj Mahal, soit en détruisant des centaines de temples hindouistes. Tous ces vestiges architecturaux attestent bien de cette expansion de l’Islam partout en Inde sous l’Empire Moghol, pendant ces 2 siècles. À cause du fanatisme de ce sixième et dernier sultan Aurangzeb, la rébellion des Rajputs s’impose et c’est leur prince Jai Singh II  qui va assurer la relève. C’est ainsi le déclin de l’ère moghol au tout début du 18e.

En ce début du 19e siècle, l’aventure moghole laisse donc la voie libre à la constitution du « British Raj » en 1858 avec le nouveau drapeau qui marque l’alliance de l’Angleterre et de l’Inde. Soutenue par la plupart des Maharajas, cette nouvelle alliance avec les Anglais, comme du temps des Moghols au 10e, les rajputanas, provinces collectives, sont cette fois administrées par la couronne britannique.

Au début du 20e, New Delhi devient la nouvelle capitale de l’Inde, sous l’occupation britannique détrônant ainsi Calcutta, moins central et symbolique.  L’inauguration est faite par Georges V en 1931.

En 1947 le Pakistan est créé sous le « British Raj », nouvel état musulman, à l’extrême ouest du Rajasthan. L’Inde est néanmoins toujours en conflit avec ses états frontières, au nord-ouest.

Le 1er novembre 1956, 9 ans plus tard, l’État du Rajasthan, ancien état princier indépendant, s’intègrera dans l’Union indienne. Il est le plus grand état indien.

Aujourd’hui le Rajasthan a une renommée touristique internationale et les maharajahs ont largement participé à la construction de l’Inde moderne. La vieille ville de Delhi garde son aspect millénaire. Les vaches sacrées le sont toujours, au pied des échoppes ancestrales. C’est dans le quartier résidentiel, avec ses grandes avenues modernes, que l’on arrive à la dernière résidence de Gandhi, le Père de la Nation, là où il fut assassiné et enterré. Sa tombe trône au centre d’un jardin verdoyant, ouvert au public.

Agra, l’ancienne capitale des Moghols, à 210 km au sud de Delhi, nous rappelle son caractère défensif avec son Fort rouge. Au-delà de sa représentation du pouvoir Moghol, le TAJ MAHAL, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, est devenu pour les hindous la représentation incontournable de l’hymne à l’amour. C’est un lieu de pèlerinage, au moins une fois dans sa vie.  Il faudra 17 années de travaux tout en marbre blanc pour réaliser ce mausolée. 4 minarets aux dômes ornés d’un demi-croissant de lune, symbole de l’Islam, protègent l’édifice central. Sa porte est orientée vers la Mecque vis-à-vis d’un jardin agrémenté de pièces d’eau au décor inspiré de la description du paradis coranique.

Amber, l’ancienne capitale stratégique des rajputes, dotée d’une forteresse défensive à flanc de colline, abrite le palais par lequel on pénètre encore à dos d’éléphants, comme du temps des maharajas.

Jaipur, la ville rose, à 10 km au sud d’Amber, est entourée par la chaine des Aravalli à 430m d’altitude. Son fondateur, le Maharaja Jai Singh II, celui qui met fin à l’Empire Mogol  dès le début du 18e siècle,  la décrète nouvelle capitale du Rajasthan en 1727, remplaçant ainsi Amber, ancienne capitale des rajputs. Jai Singh II, au-delà de son esprit novateur en nommant Jaipur capitale, est un grand mathématicien passionné d’astronomie. Il concrétisera ses recherches avec 6 observatoires astronomiques dont celui de Jaipur, le Jantar Mantar qui date du 18e.

Plus au sud, Udaipur est une ville pure, romantique, à la couleur blanche-jaune-crème. On l’appelle aussi « la cité des rêves ». Son ancien Palais de la cité en granit et marbre, s’est bâti à 577m d’altitude dans les bois, sur le lac Pichola. La partie la plus ancienne est ouverte au public avec ses cours qui abritent le parking des éléphants, la Rolls des rois rajputs. Les émaux et les sculptures en verre coloré, spécialité locale, évoquent la grandeur des Maharajas.

Jodhpur,  la ville bleue, en plein  cœur du désert, est la 2e ville du Rajasthan, connue pour sa forteresse en grès rose qui domine la ville moderne du haut de ses 125 m.

Jaisalmer, à l’extrémité ouest du pays est une ancienne cité médiévale dont les fortifications datent de l’ancien Empire rajput du 12e pendant les rivalités dynastiques internes. On se trouve à 100 km de la frontière de l’actuel Pakistan, au fond du désert du Thar. L’endroit était une étape caravanière sur la route de la soie entre l’Inde, la Perse, l’Arabie.

Pushkar, ville sacrée est située sur les rives du lac Pushkar, eau sacrée.

Elle est dédiée au Dieu Brahma. C’est tous les mois, à la pleine lune que les fidèles se retrouvent autour du lac sacré au pied de 400 temples dont celui de Brahma. Les nombreux fidèles y prennent un bain de purification tout en priant. Cette dimension spirituelle se retrouve dans l’artisanat local où les petites mains cousent sur le coton indien des pleines lunes en verre qui renvoient la lumière divine…

Notre voyage se poursuit au Nord de New Delhi, à la source du Gange, fleuve sacré issu des montagnes himalayennes. Pour se rendre à Herakhan, un village à la montagne, il faudra abandonner son véhicule et parcourir à pied le reste du trajet durant 3 heures. En arrivant dans ce lieu paisible, les premières rencontres brisent le silence de notre longue marche.  Ici, l’axe principal de circulation se réduit à un chemin caillouteux.  Au bord, en plein air, je croise soudain le regard étonné du couturier du village. Il  confectionne à la demande, les churidars, tenue classique indienne, pantalon et tunique. Comme dans tous les villages du monde, c’est au « bistro » que la rencontre se fait. Ici c’est Raj, le roi du thé au gingembre, entouré de sa petite famille qui nous accueille.

Dans une tranquillité qui me semble exceptionnelle, chacun vaque à ses occupations ou à une oisiveté nonchalante.

À l’intérieur du village, ma présence surprend. Les habitants semblent si sereins. Plus bas, à l’écart, le bruissement de l’eau m’interpelle.

Le Gange accueille ici des migrants venus installer leur habitation saisonnière, avant la crue de la mousson à partir de juin.

Une odeur d’encens me guide vers le temple de l’autre côté de la rive où le prêtre récite la Bhagavad Gita, le livre saint hindou.

Les lavandier(e)s adoucissent leur linge dans cette eau sacrée alors que des Européens épris de spiritualité vivent de rituels orientaux.

Par magie, c’est le jour de la moisson ! La récolte égrainée sèchera sur le rare toit plat du village… Je comprends vite que l’on vit ici en autarcie, au rythme de la nature, du labour, du travail quotidien…

En fin de journée, la ruelle centrale du village s’anime. C’est le retour de la récolte, l’approvisionnement en eau pour le repas du soir. Les foyers s’illuminent, les écoliers révisent alors que le diner se réchauffe.

C’est un joli matin ensoleillé que je quitterai Herakhan, profitant d’un dernier petit déjeuner bio, offert par Raj, avec ses galettes de blé, ses céréales agrémentées de fruits et son fameux thé au gingembre.

Après 3 heures de marche, je quitterai mes amis, Manodje et Prem, porteurs de conscience illuminée. Le retour à la civilisation se fait en douceur vers la plaine gangétique jusqu’à Rishikesh où le Gange suit son cours. Ville sainte, son pont suspendu permet d’atteindre l’autre rive où les temples nous attendent. On y vient aussi en bateau pour se recueillir, se purifier, pratiquer le yoga.

L’offrande tout en fleurs se déposera sur l’eau, dans une coupelle de feuille de bananier, au gré du courant et de la vie éternelle.

La nourriture terrestre, celle des chappattis m’aidera à soutenir le regard profond de cet enfant de la rue. D’autres font vœux de pauvreté comme ses sâdhus, errance volontaire, vivant de mendicité.

C’est à Rishikesh, en 1968, que les Beatles s’inspirent de leur retraite pour écrire « L’album blanc » du groupe.

Vârânasî, anciennement Bénarès, achèvera notre voyage dans l’une des plus vieilles villes au monde, haut lieu de pèlerinage depuis des lustres. Au loin, la ville moderne, mais, c’est plutôt au bord du Gange que se dégage l’atmosphère spirituelle millénaire du vieux Bénarès. Les ghâts, anciennes demeures bourgeoises sur plusieurs étages, s’abandonnent peu à peu et laissent un décor surréaliste. À leur pied, les pèlerins vivent leurs incantations et offrandes, assainissent leur linge, se lavent, et pour certains, selon la tradition hindou, y jettent les cendres du corps brûlé après la mort.

Certains font abstinence en se retirant du monde intellectuel, passé un certain âge. Le modernisme occidental n’entame en rien la vie traditionnelle, et, les ruelles nous plongent dans un passé qui semble révolu. Ici, les enfants sont rois quand un éléphant s’attache à les amuser.

Bénarès, la ville sainte s’anime en fin de journée, lorsque ses rues s’inondent de passants qui sortent du travail. Le marché bat son plein et les fleuristes vendent leurs pétales éphémères qui serviront à honorer  la Trilogie divine « Création, Préservation, Destruction » de l’éternel recommencement. AUM. Arrivant par bateaux, à pied, en voiture, en bus, les fidèles se rassemblent aux pieds des temples qui s’illuminent, peu à peu. Il faudra attendre la nuit tombée pour que la foule, avec ses chants et sa lumière, inonde de sa ferveur, le Gange sacré.

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