Tandis que le message des climatologues tend de plus en plus à se vulgariser et que la menace du changement climatique fait enfin sens pour l’essentiel de la masse silencieuse, le réveil des consciences apparaît aujourd’hui comme beaucoup trop ciblé. Certes, qu’ils soient scientifiques ou simples activistes et défenseurs de l’environnement, nombreux sont ceux à militer pour le climat et à descendre dans les rues, n’hésitant pas à prendre la parole lorsqu’il s’agit de plaider « la » cause du moment. Pour autant, une bonne partie d’entre eux semblent uniquement se focaliser sur la réduction de nos gaz à effets de serre, dioxyde de carbone en tête (le méthane arrivant en 2e position). Se désintéressant par conséquent des autres facteurs dont dépend la lutte contre le réchauffement planétaire. Or, il y en a un tas !
Ce phénomène anthropique porte un nom : la « carbon tunnel vision », néologisme que l’on doit au Dr Jan Konietzko, professeur en économie circulaire et durable de l’Université de Maastricht, aux Pays-Bas. Ainsi celui-ci met-il en évidence une réalité observable depuis quelque temps déjà, à savoir le fait que, trop souvent, les défenseurs du climat ne concentrent dans leurs préoccupations qu’un unique paramètre, celui des gaz à effets de serre. Ce faisant, ils occultent le reste des causes. Or, ces causes, au nombre d’une vingtaine, sont tout aussi vitales dans la recherche de solutions et d’axes de travail.
Loin de nous bien sûr l’idée de sous-entendre que l’on devrait cesser de chercher à réduire nos émissions carbone, car c’est en vérité l’inverse, au vu du peu de résultats obtenus en la matière depuis que l’on a accepté le fait que l’activité humaine était responsable de nos déboires climatiques. Pour autant, écarter volontairement de l’équation les autres facteurs d’origine anthropique nous éloigne davantage du but à atteindre. Parmi ces autres facteurs, l’on pourrait ainsi évoquer ceux de la préservation et de la restauration du vivant et qui, s’ils sont moins « tendance », jouent pourtant un rôle crucial dans ce qui nous intéresse.
C’est un fait : le système climatique dépend aussi de la nature qui nous entoure, et la protection de la biodiversité devrait conséquemment être une priorité, au même titre que la réduction de nos émissions polluantes. Ainsi aura-t-on oublié que le végétal dans son ensemble permet de séquestrer le dioxyde de carbone dans le sol. Et que, pour que puissent exister les arbres et les prairies, il faut également préserver la faune (insectes pollinisateurs, oiseaux, mammifères…), qui favorise, directement ou non, le développement des plantes. Et l’on ne parle pas de la déforestation, reléguée elle aussi au second plan.
Outre la question de la biodiversité, d’autres facteurs favorisant le changement climatique sont sciemment ignorés. Comme l’urbanisation grandissante, l’artificialisation des sols, la surconsommation (textiles, nourriture, produits électroniques)… Ou encore la démographie humaine, en expansion, tout comme d’ailleurs les territoires que l’homme occupe. Phénomène qui, soit dit en passant, booste la production et la consommation mondiale dans tous les secteurs industriels, favorisant de fait une hausse graduelle de nos émissions de gaz à effets de serre. Nous aurions pu citer également les inégalités et la pauvreté dans certains pays du monde, où les habitants sont contraints, par la force des choses, à employer des pratiques destructrices envers l’environnement. Ou encore le cas de la pollution des sols par des produits toxiques, la pollution de l’eau, la pollution de l’air… Et même les zoonoses, qui fragilisent l’ensemble du vivant.
On l’aura compris, la lutte contre le changement climatique ne consiste pas uniquement à demander au secteur du transport de limiter leurs émissions ou aux entreprises d’adopter un modèle plus « eco-friendly ». Pour être efficace, elle doit aussi prendre en compte d’autres réalités liées à nos activités et, par conséquent, au changement climatique. Réduire la production de CO2 et de méthane tout en continuant de piller le peu de ressources qu’il nous reste et vider notre écosystème de toute sa diversité se révèle en effet tout aussi efficace que de chercher à faire des ricochets sur l’eau avec une enclume !
Michel Jourdan