Jack Bismohun, leader de l’USM : « la population est en état de choc après le traumatisme de lundi »

« La population est en état de choc. » C’est ce qu’affirme Jack Bismohun, leader de l’Union Sociale Mauriciens (USM), à la lumière des récents événements ayant marqué le pays. Dans l’interview qui suit, il évoque l’état dépassé des systèmes de drainage d’eau et salue la contribution des services de secours et de la police pour minimiser la perte de vies humaines le 15 janvier.

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« Cette catastrophe restera gravée dans la mémoire de beaucoup d’entre nous à vie, et je suis sûr que beaucoup auront des séquelles psychologiques suite à cette expérience de voir la noyade ou l’asphyxie en face », dit-il. Il souligne aussi que le calendrier scolaire débute et coïncide avec la période cyclonique. C’est pourquoi, dit-il, le ministère de l’Éducation devrait mettre en place une plateforme digitale pour faciliter la poursuite des cours pendant les congés forcés. Une solution qui, selon lui, serait une Win Win Situation pour les élèves, enseignants, parents et institutions.

« Graduellement, il faudra faire de cette plateforme un outil d’accompagnement pour les élèves nécessitant un “after school learning”. » En ce qui concerne la révision à la hausse de la pension de vieillesse aux 75 ans et plus, il considère cette décision regrettable, car ceux âgés de 60 ans et plus auraient en même temps dû bénéficier de la pension promise de Rs 13 500.

Quelle est votre lecture de la situation après le passage du cyclone tropical Belal ?
La population est en état de choc, d’angoisse, de dégoût et de ras-le-bol, le gouvernement et nos institutions ne cessant de montrer leur niveau d’incompétence jour après jour. Idem concernant l’état dépassé des infrastructures pour le drainage d’eau, malgré les Rs 16,7 milliards allouées dans les budgets 2020-21, 2021-22 et 2022-23 pour la construction de drains.

Les rues ont été transformées en cours d’eau, avec des Mauriciens coincés dans leurs véhicules et cherchant à être secourus. Un chaos pire qu’en 2013, lorsque nous avions fait face à des Flash Floods ayant causé la mort de 13 innocents en raison de l’accumulation d’eau du fait de drains non fonctionnels.
Heureusement, cette fois, les services de secours et la police ont pu éviter une catastrophe et minimiser la perte de vies ce 15 janvier. Mais nous avons perdu deux innocents pères de famille qui, avec un peu de compétence des Decision Makers, seraient encore en vie aujourd’hui. La population a vécu un cauchemar après avoir fait face à des situations très dangereuses. Ma lecture, c’est que le ministre responsable des catastrophes naturelles, et qui préside le National Disaster Risk Reduction & Management Centre, aurait dû être en alerte et écouter un maximum de conseils de la part du responsable de la station météorologique, contenu dans un mémo qui circule dans la presse, rédigé par son chef du ministère et qui nous montre clairement des informations et projections sur l’évolution de Belal, sa trajectoire et les décisions à prendre dès dimanche soir, c’est-à-dire le 14 janvier. Pour moi, clairement, le ministre a failli à ses responsabilités, et il est responsable d’avoir exposé la vie de nos citoyens durant le passage du cyclone et du décès de deux pères de famille.

Le Premier ministre doit instituer une enquête en toute transparence au plus vite et rendre public le rapport afin de faire la lumière sur toute cette affaire et prendre les actions nécessaires contre tous ceux ayant fauté. Le sentiment général dans le pays est un dégoût et un manque de confiance dans ce gouvernement et dans les institutions, parce qu’ils ont failli dans leurs responsabilités visant à protéger et conseiller la population. Les Mauriciens attendent avec impatience une équipe compétente à la tête du pays pour le redresser et les protéger.

Pensez-vous que cette catastrophe aurait pu être évitée ?
Oui. Pour cela, il fallait suivre les conseils des experts dans le domaine des cyclones. Si un amateur a pu nous donner des précisions sur l’évolution de Belal depuis sa formation en suivant seulement les données d’experts comme ceux de la NASA, de Météo France et d’autres institutions offrant des prévisions en ligne, je ne pense pas que le directeur de la station météorologique, qui est hautement qualifié, n’aurait pas pu nous faire des prévisions correctes et nous conseiller sur les précautions à prendre.

Cette catastrophe restera gravée dans la mémoire de beaucoup d’entre nous à vie, et je suis sûr que beaucoup auront des séquelles psychologiques suite à cette expérience de voir la noyade ou l’asphyxie en face. Il ne faut absolument pas faire revivre cette expérience à nos citoyens, et pour cela, malheureusement, il faudra un vrai changement à la tête du pays pour assurer l’indépendance de nos institutions, le respect de nos professionnels et la transparence dans la gérance des affaires du pays.

De même, si le gouvernement et la Land Drainage Authority avaient fait leur travail, nous aurions eu moins de dégâts matériels et infrastructurels, qui coûtent des centaines des millions aux contribuables, comme c’est toujours le cas lorsque des incompétences du pouvoir sont notées.

À qui la faute alors ? Le directeur de la Météo est-il le seul à blâmer ?
Pour moi, avec les éléments qui sont publiés dans la presse, principalement le mémo émis par le Chief Executive du ministre Husnoo et la lettre de l’ancien directeur de la station météo, qui précise sa position, il ne reste que le ministre responsable du NDRRMC à porter le blâme. Mais pour lui donner le bénéfice du doute, nous devons attendre qu’une enquête soit initiée. Après, nous serons fixés. Il faut aussi prendre en considération le rôle du Premier ministre qui, d’après les protocoles établis, aurait reçu en premier le bulletin émis lundi matin de la station météorologique, soit avant le ministre concerné et les médias.
En ce qu’il s’agit du directeur de la Météo, je pense que c’est immature de faire de lui le bouc émissaire à ce stade, soit avant le rapport d’une enquête approfondie sur toute cette pagaille que vit la population depuis le Black Monday du 15 janvier.

Le problème ne vient-il pas du changement climatique ?
Par rapport au changement climatique, cela ne date pas d’hier. J’ai fait des recherches. Le premier Recording était en 1578, mais depuis 2000, c’est devenu plus fréquent. Certainement que les conditions climatiques ont changé avec l’effet El Niño, et les températures en surface de la mer ont augmenté considérablement.

Mais le gouvernement est au courant de tout cela. C’est pour cette raison qu’il faut être plus prudent et ne pas exposer la population à ce genre de phénomènes. On parle ici de nuages associés à un cyclone très intense, pas à des Flash Floods. Avec un cyclone, nous avons le temps de suivre l’évolution, de mesurer la pluviométrie et les rafales, et de faire des prévisions précises. Surtout avec les équipements modernes et la technologie qui sont à notre portée.

Combien de cyclones avons-nous eu avec les mêmes effets ? La question à se poser, c’est de savoir ce que le gouvernement et les autorités ont fait pour minimiser l’impact et protéger la population  ! Nous ne pouvons pas continuer éternellement à faire face à des accumulations d’eau tout en sachant que nous faisons face au changement climatique. Nous devons trouver des solutions, construire des drains adéquats et, comme je l’ai dit, minimiser les risques pour notre population et les générations futures.

Ne faudrait-il pas un audit sur nos infrastructures ?
Tout à fait, surtout sur le système de drains dans le pays et sur le Caudan Waterfront, où nous avons vu l’eau pénétrer sous les places publiques, ce qui provoque des risques d’écroulements. Si nous avons vraiment des bâtiments construits sur des drains, qui ont réduit le passage d’eau, alors il est très important de faire cet audit. Et dans le cas des drains, la Land Drainage Authority publie son rapport sur la base de l’étude entamée jusqu’à présent. À ce jour, Rs 16,7 milliards ont été allouées pour la construction de drains qui n’ont toujours pas vu le jour.

Il faut tout revoir dans le pays : les canaux, les rivières, les drains et, surtout, la construction des tracés du métro, qui devrait être monté sur pilotis d’après l’étude de la Singapore Corporation Enterprise. Ici, je reviens sur la manifestation des députés et politiciens de mars 2019, aujourd’hui ministre et PPS de la circonscription 18, et qui avaient soulevé que le changement du tracé sur le chemin principal de la ville de Quatre-Bornes aurait des effets néfastes pour nos systèmes de drainages. Et ils avaient raison, quand nous constatons les dégâts causés au cimetière Saint-Jean, avec l’écroulement du mur et l’accumulation d’eau dans les maisons aux alentours. Aujourd’hui, les habitants font encore une fois les frais des menteurs, des opportunistes et des incompétents.

Beaucoup d’argent est dépensé chaque année pour la construction et la réhabilitation des drains. Malgré cela, Port-Louis et d’autres régions sont régulièrement inondées. Pourquoi, d’après vous ?
Comme je l’ai mentionné, les fonds alloués pour les drains ont dépassé les Rs 16 milliards. Mais à chaque fois qu’il y a 10 mm de pluies, Port-Louis et d’autres régions sont inondées. Comment expliquer cela ? Pour moi, c’est du bla bla, c’est juste sur papier. En réalité, très peu de travaux de drains ont été effectués à ce jour. Pourquoi la Land Drainage Authority ne sort-elle pas de son mutisme et ne vient pas présenter à la population les travaux qui ont été achevés ?

Le gouvernement joue avec le feu. Je prie pour que l’on n’ait pas de pluies torrentielles ou d’autre cyclone avant la fin du mandat de ce gouvernement. Et j’espère que la population n’oubliera pas les inondations de 2013 et celle du 15 janvier dernier, et le fait que les anciens gouvernements et l’actuel sont en manque d’idées pour faire face au changement climatique. Il faut des visionnaires et des personnes compétentes pour construire des drains et migrer sur le développement durable pour protéger l’environnement.

Cette inondation augmentera davantage le coût de la vie. La dépréciation de la roupie n’arrange pas les choses. Que pensez-vous de tout cela?
Il faut d’abord voir la politique monétaire que pratique ce gouvernement en manque d’idées pour augmenter la croissance et développer nos secteurs économiques. Il est en pleine campagne électorale depuis le début 2024 et passe tout son temps à anbet l’électorat en faisant labous dou et en se servant des réserves de la Banque centrale pour financer à travers la Mauritius Investment Corporation Ltd des projets qui ne voient toujours pas le jour deux ans après l’investissement. Venir au secours des conglomérats en injectant USD 2 milliards de nos Foreign Reserves post-Covid et la CSG, qui est devenue pour le gouvernement son Consolidated Fund II, sans mentionner les réserves de la NPF, dont on ne parle plus…

Tout cela dénote un gouvernement faisant tourner l’économie en pratiquant une politique inflationniste et en dévaluant notre roupie, qui a baissé de plus de 47% par rapport à 2014. Cela fait augmenter les recettes du gouvernement sur la TVA et autres taxes directes et indirectes, ce qui lui permet de passer pour le bolom Nwel.

Tandis que le gouvernement passe son temps à parfaire sa popularité, le peuple, lui, paie les pots cassés. Les prix flambent dans les supermarchés et sur les marchés de fruits et légumes, où les prix prendront encore l’ascenseur dans le sillage du passage du cyclone Belal. Évidemment, la population peinera à zwenn le de bout pour encore plusieurs mois et même années. Il faut changer cette politique basée uniquement sur la taxe. Il faut développer d’autres secteurs économiques et investir dans l’agriculture en finançant les petits planteurs afin qu’ils produisent plus et, ainsi, permettre de réduire l’importation de fruits et légumes, favorisant ainsi l’autosuffisance alimentaire, et ce, tout en gardant les prix à un niveau abordable.

La rentrée scolaire est encore une fois retardée. Est-ce normal, selon vous ?
Les années passent, mais le problème persiste. Vu que le calendrier scolaire débute et coïncide avec la période cyclonique et de pluies torrentielles, à mon avis, pour que les étudiants puissent continuer avec leur calendrier scolaire sans stresser, if faudra que le ministère de l’Éducation mette en place une plateforme digitale afin de faciliter la poursuite des cours pendant les congés forcés. Ce serait une Win Win Situation pour les élèves, les enseignants, les parents et les institutions scolaires. Graduellement, il faudrait aussi faire de cette plateforme un outil d’accompagnement pour les élèves nécessitant un after school learning support. Cette plateforme pourrait aussi être utilisée pour communiquer avec les parents et poster des informations concernant leurs enfants.

Que pensez-vous de la hausse de la pension à une certaine catégorie de pensionnés ?
Tout le pays a été choqué par cette annonce du Premier ministre dans son discours de fin année, et qui a proposé une augmentation de la pension à Rs 13 500 pour les 75 et plus. Pour comprendre comment cette mesure visant à augmenter la pension à Rs 13 500 est arrivée, il faut revenir sur les événements de 2019 lorsque, au Swami Vivekananda International Conference Centre, le Premier ministre avait organisé une fête/réunion avec nos aînés. Dans son discours, il avait alors déclaré aux séniors présents qu’ils bénéficieront d’une augmentation de Rs 2 500 à leur pension de retraite à partir de 2023.

Pravind Jugnauth avait été poursuivi pour promesse électorale non tenue, mais à la Cour suprême et au Privy Council, ses avocats ont confirmé la déclaration du Premier ministre, qui a proposé cette augmentation à tous les pensionnés à partir de 2023. Aussi, venir dire maintenant aux 60-74  ans qu’il n’a jamais fait cette déclaration et qu’il faut attendre est inacceptable. C’est un manque de respect envers nos aînés. J’insiste pour que le Premier ministre revienne sur ses propos de 2019 et augmente la pension pour tous les pensionnés, et ce, à partir de janvier 2024, quand il décidera d’accorder cette augmentation.

Que pensez-vous du projet Neotown et de son annulation ?
Pour rappel, le projet Neotown s’étendait sur une superficie de 58 arpents et était estimé à Rs 15 milliards. Le promoteur, Patel Engineering, allait payer un loyer annuel de Rs 15 millions pour un investissement de Rs 15 milliards. Le projet a été alloué par le gouvernement dirigé alors par le Ptr en 2010. L’objectif était de faire de Port-Louis la capitale de l’océan Indien. De plus, le projet créerait 10 000 emplois permanents.

Mais il y a eu des remous de la part de l’opposition de l’époque, qui avait dénoncé le projet comme étant un méga scandale. Ce projet de développement portuaire, d’une durée de 15 ans, avait débuté, mais en 2015, le nouveau gouvernement a décidé de reprendre les 58 arpents et de stopper les projets. Le gouvernement avait proposé de rembourser le promoteur pour les investissements déjà effectués sur le terrain, évalué à Rs 280 millions, mais les promoteurs avaient saisi la Cour pour réclamer une compensation, tout comme le contrat de Betamax que ce même gouvernement avait résilié avec son équipe, dirigée par le ministre de la Bonne gouvernance de l’époque, et qui, aujourd’hui, tente de refaire son chemin politique en tant que leader de nouveau parti, prétendant ainsi devenir le prochain Premier ministre.

La résiliation du contrat de Neotown a coûté au pays la bagatelle de Rs 1,9 milliard en guise de compensation, comme récemment ordonné par un arbitrage. Mais c’est du déjà-vu, avec le projet Heritage City, Betamax, ou encore la BAI qui, avec les actions mal calculées de ce gouvernement, a coûté au pays des dizaines de milliards de roupies. Ce qui dénote un manque de considération pour la population.

Si le contrat de Neotown a été alloué par un gouvernement, et si c’était dans l’intérêt du pays, pourquoi l’avoir résilié pour finir par devoir ensuite payer ensuite des compensations, lesquelles proviennent des contribuables ? Selon moi, tout projet décidé par un gouvernement doit impérativement être respecté dans l’intérêt principal de la population. Il ne faut pas faire de Party Politics avec.

Propos recueillis par Jean-Denis PERMAL

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