Quand le « planteur » se fait planter

Le Premier ministre continue sa campagne consistant à utiliser les questions plantées et l’immunité parlementaire pour attaquer ses adversaires politiques, et non politiques. Cela fait un bout de temps que le Question Time, institué pour que les parlementaires interrogent les ministres sur les affaires de la nation, a été transformé en un exercice permettant au Premier ministre d’insulter ou de diffamer ses adversaires en utilisant des « informations » des services gouvernementaux sorties de leur contexte.

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Certains parlementaires de la majorité sont devenus les spécialistes de cet exercice dont ils ne sont que les exécutants, le scénario étant écrit par les fameux spin doctors de Lakwizinn, qui écrivent même les questions supplémentaires et leurs réponses ! Cette semaine, c’est le député Eshan Juman, dont le Premier ministre avait annoncé qu’il allait s’en occuper, qui a été la cible de son radar. La question plantée demandait s’il y avait eu des incidents dans la restricted zone du port.

Et comment ! s’est exclamé le Premier ministre, un membre de l’opposition s’était introduit dans cette zone et s’était donc rendu coupable d’un délit. Mais ce n’était pas tout : le délit avait fait l’objet d’une enquête de la police dont les conclusions avaient été soumises au DPP. Et devinez ce qui s’était passé, a ajouté le Premier ministre sur un ton scandalisé, le DPP avait décrété qu’il n’y avait pas de « case to answer ». Le sous-entendu, gros comme la montagne du Pouce, était clair : le DPP n’a pas poursuivi un membre de l’opposition. Dans l’esprit du Premier ministre, il y avait de quoi dans cette affaire discréditer et le député travailliste et le DPP, contre qui le premier semble avoir une dent depuis quelque temps.

Mais comme c’est souvent le cas dans les stratégies des spin doctors — autoproclamés — du MSM, celle lancée contre le député travailliste, avec comme victime collatérale le DPP, était incomplète. Ne pouvant pas répondre aux attaques dirigées contre lui au Parlement par le Premier ministre, qui se cache derrière l’immunité parlementaire, le DPP a fait publier un communiqué pour rétablir les faits. Ce communiqué édifiant révèle que non seulement Eshan Juman avait obtenu l’autorisation d’entrer dans la zone portuaire, dont il voulait vérifier le système de sécurité, mais qu’il avait informé la police de sa visite. Autant d’éléments qui ont fait le DPP choisir de ne pas poursuivre le député travailliste. Cette position avait été communiquée au commissaire de police, qui ne s’y était pas opposé.

Résultat de la manoeuvre : le Premier ministre se retrouve, une fois de plus, avec une stratégie qui se retourne contre lui, comme un boomerang. En fin de compte, les conseillers de Pravind Jugnauth ont réussi l’exploit de le faire se planter avec la question plantée !

Au lieu de demander à la police les dossiers confidentiels des membres de l’opposition, il ferait mieux de dire au commissaire de mettre fin à l’image d’une force qui fonctionne à deux vitesses. La première en mode TGV contre les adversaires du régime et la deuxième en mode bouge fixe quand les agents et partisans du gouvernement sont impliqués, comme le démontre l’exemple suivant. La police a annoncé qu’elle va ouvrir une enquête sur la manifestation, qu’elle qualifie d’illégale, organisée par les députés de l’opposition pour protester contre la façon d’agir du Speaker et l’institution de la future Financial Crimes Commission. L’intention de la police a été annoncée quelques heures à peine après la manifestation devant la Parlement, c’est ce qui s’appelle travailler à une vitesse grand V.

Mais il y a des cas où la police, au lieu d’utiliser le même rythme, semble prendre un temps infini pour enquêter. C’est ce qui semble être arrivé à la plainte du journaliste de l’Express Narain Jasodanand qui, il y a deux semaines, a fait une déposition à la police accusant un Senior Manager d’Air Mauritius d’avoir dirigé sa voiture sur lui, ce qui est considéré comme une tentative de meurtre. Quinze jours se sont passés depuis et aucune enquête ne semble avoir été ouverte contre le Senior Manager. Par ailleurs, il semblerait que la direction d’Air Mauritius, si prompte à suspendre et à licencier les employés critiques de son management, n’ait rien fait. Ce qui a poussé l’Air Mauritius Cabin Crew Association à écrire à la direction de la compagnie aérienne pour lui demander quelles actions disciplinaires avaient été prises suite à la plainte logée contre son Senior Manager. Voilà un dossier que le Premier ministre devrait étudier au lieu d’aller fouiller dans ceux de la police — qu’il n’a pas le droit de consulter ! — pour essayer de planter ses adversaires !

Jean-Claude Antoine

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