Selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime – ONUDC), avec près de 300 millions d’usagers dans le monde, les chiffres n’indiquent en rien que la drogue est en train de perdre la guerre contre les stratégies de lutte, dont la répression. À Maurice, les différents partenaires qui sont engagés dans ce combat ont depuis longtemps concédé la défaite, mais n’ont pas pour autant abandonné la partie, d’autant que la demande pour le traitement lié à l’addiction des drogue ne fléchit pas. Toutefois, face au marché dynamique de la drogue, du rajeunissement des consommateurs, une mise à jour des programmes d’accompagnement serait bénéfique aux services dispensés par les centres de réhabilitation, avance l’addictologue Kunal Naik.
Il est bel et bien fini le temps où la vente de drogues, voire la consommation, se limitait à des endroits spécifiques de Maurice. La drogue, qu’elle soit de synthèse, de l’héroïne ou du haschich, a malheureusement gagné du terrain pour être présente partout et dans n’importe quel milieu. Les différentes saisies en grande quantité de drogues (dont 7.8 kg de cocaïne en septembre dernier), cette année, l’attestent. La drogue synthétique n’est plus celle du pauvre, elle passe aussi entre les mains des jeunes de couche sociale moins défavorisée. L’accessibilité de la drogue synthétique a dopé le nombre de consommateurs de substances illicites à Maurice. Par ailleurs, la tendance mondiale en terme de consommation de drogue est à la hausse. Dans son rapport mondial sur les drogues 2023, l’ONUDC estime le nombre de personnes qui s’injectaient des drogues en 2021 à 13,2 millions, soit 18% de plus que les estimations précédentes. Et plus de 296 millions de personnes ont consommé des drogues pendant cette même année, soit une augmentation de 23% par rapport à la décennie précédente.
Le nombre de personnes souffrant de troubles liés à la consommation de drogues est, entretemps, monté en flèche pour atteindre 39,5 millions, soit une augmentation de 45% en 10 ans! À Maurice, même si les partenaires locaux engagés dans la prévention contre la drogue ont reconnu avoir perdu la guerre contre leur ennemi, ils persistent à ne pas lâcher les armes. Les problématiques liées à la drogue sont tel le serpent qui se mord la queue.
Acheteurs en uniforme
Les campagnes, les témoignages aussi poignants sont-ils, la répression, les sanctions les plus lourdes, les supports socio sanitaires… aucune mesure ne parvient à endiguer la présence et l’utilisation des substances illicites sur notre territoire. Face à cette réalité, la demande de traitement des troubles liés à l’addiction à la drogue ne faiblit pas. “La demande augmente non parce qu’il y a plus de personnes dépendantes de la drogue”, dit Kunal Naik, psychologue et addictologue, “mais parce qu’il y a eu un changement de mœurs et qu’elles sont désormais plus enclines à demander de l’aide”, précise-t-il.
Mario Ah-Sian, responsable du centre d’accueil de Terre-Rouge, appuie l’analyse de Kunal Naik. Il ajoute même que la population des jeunes toxicomanes prend, cependant, de l’ampleur. Celle-ci, dit-il, est composée d’adolescents et de jeunes adultes âgés d’une vingtaine d’années. Sur le terrain, Patricia (nom modifié), travailleuse sociale, voit de très jeunes filles et garçons, scolarisés pour certains, se rendre à un point d’approvisionnement de drogue connu de son quartier. “Ce qui est surprenant, c’est qu’ils vont s’acheter de la drogue synthétique, vêtus de leur uniforme”, confie-t-elle médusée.
Drogue synthétique, un marché acquis
Dans un autre quartier, devenu depuis un certain temps déjà un fief du trafic de drogue en tout genre, c’est quasiment le même scénario auquel assiste Jean (nom modifié), bénévole social. “C’est un ballet incessant de jeunes qui anime la rue où la drogue est vendue, nuit et jour”, déplore-t-il. Jean poursuit en s’insurgeant : “On a parlé d’une Rave Party à Triolet où de la MDMA a été saisie. Avec l’intense médiatisation de cette affaire, on a crée l’impression que la présence de drogue de synthèse en quantité dans ce genre de fête était inédite. Non loin du poste de police de ma localité, il y a un bâtiment où des fêtes nocturnes sont organisées. Dans la région, il est connu de tous que la drogue circule lors des fêtes. Si la police n’est pas au courant, elle serait aveugle si elle n’a pas vu ces filles mineures qui arpentent les alentours à des heures où elles devraient être auprès de leurs parents.”
Grâce à leur production peu chère, facile et rapide, les drogues de synthèse garantissent l’offre permanente sur le marché de ces stupéfiants. De qualité nocive, elles restent les plus populaires auprès des jeunes consommateurs pour leur prix accessible. La présence de chaque nouvelle drogue chimique dans le pays inquiète, mais n’étonne plus. Ainsi, depuis quelque temps, la xylazine, connue sous le nom de drogue zombie, a été identifiée à Maurice. Parallèlement, la white lady ou Crystal Meth est très prisée dans certains quartiers. Dans un village du Sud, trois jeunes ont perdu la vie dans des circonstances qui ont fait planer des doutes quant à l’origine de leur décès. “Mais les jeunes ayant une addiction liée à la drogue ne sont pas tous des utilisateurs de substances chimiques”, relève Kunal Naik.
Traitement : les jeunes trop impatients
Lorsqu’il s’agit des jeunes, ados et adultes, la demande pour un traitement des problématiques d’addiction par des spécialistes vient généralement des parents ou proches. Cependant, du psychologue-addictologue Kunal Naik au responsable du centre d’accueil de Terre-Rouge, Mario Ah-Sian, le constat est le même : beaucoup de ceux qui commencent un programme d’accompagnement abandonnent en cours de route. “Le traitement de l’addiction à la drogue est basé sur un programme à long terme”, explique Kunal Naik. La prise en charge repose sur un traitement psychologique et médicamenteux. “C’est une question de patience. Or, les jeunes, impatients, ne veulent pas aller jusqu’au bout du programme résidentiel qui dure 9 semaines chez nous”, ajoute Mario Ah-Sian.
Par ailleurs, le Rapport mondial sur les drogues 2023 de l’ONUDC, qui confirme la vulnérabilité des plus jeunes en matière de consommation de drogues, avance : “Seule une personne sur cinq souffrant de troubles liés à la drogue était en traitement pour usage de drogues en 2021.” La quête de la réhabilitation, confie Kunal Naik, mène les personnes dépendantes de la drogue ou leurs proches à “faire le tour des centres de Maurice pour trouver un qui correspond à leur situation. Et le choix est limité.” Il n’est pas rare qu’après l’abandon du programme, dit-il encore, l’accueilli du centre ne souhaite plus retourner dans la même structure. Mais ce qui inquiète le psychologue et addictologue, c’est la réinsertion sociale après la phase de la réhabilitation. S’adapter à un environnement où la drogue est accessible, voire omniprésente après un sevrage accompagné, n’est pas sans risque de rechute. Ceux qui ont des moyens financiers, poursuit-il se tournent vers de centres de réhabilitation étrangers, dont La Réunion, où il existe des structures de soins pluridisciplinaires pour être accompagné. Kunal Naik croit, d’ailleurs, en la nécessité d’une évaluation des programmes proposés par des centres spécialisés locaux, ainsi que leur approche et la formation de leur personnel, dans le but d’améliorer la qualité de leurs services et de les rendre dynamiques.
Sensibilisation à commencer au primaire
Si les centres de réhabilitation gagneraient à évaluer et actualiser régulièrement leur méthodologie, les facilités récréatives communautaires en place dans chaque région, destinées aux jeunes, ne sont pas en reste. Pour les travailleurs sociaux Patricia et Jean, les autorités sont restées figées dans le temps avec des structures et activités qui ne répondent plus aux attentes des jeunes. “Il faut des activités préventives de proximité qui parlent à la jeunesse comme des jeux vidéo de compétition, plus d’accès aux sports, des sorties en plein air. Si dans notre quartier, nous avons créé un réseau rassemblant des jeunes pour les informer des activités que nous organisons, je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas s’appliquer ailleurs”, avance Jean.
De son côté, Patricia remet en question l’état des centres communautaires mal-utilisés, dit-elle. “À l’origine, ces infrastructures avaient pour but d’empêcher les jeunes de tomber dans l’oisiveté et la drogue. Quand vous regardez ces centres, vous comprenez de suite pourquoi ils n’attirent pas les jeunes”, déplore Patricia. Cette dernière profite pour lancer un appel en direction du ministère de l’Éducation, “pour sensibiliser sur les drogues à l’école”, dit-elle. “On m’a déjà dit que cela se fait au secondaire. Mais moi, ce que je demande c’est d’en parler aux enfants du primaire dès la première année. À cet âge, des enfants sont exposés à la drogue selon le milieu dans lequel ils grandissent. Ils comprennent très bien pourquoi des adultes s’injectent de la drogue. Je travaille avec des enfants et ils me racontent ce qui se passe chez eux “, souligne Patricia.
UNIS CONTRE LA DROGUE : Pravind Jugnauth s’appuie sur le rapport Lam Shang Leen
Dans le cadre de la campagne nationale Unis contre la drogue, le Premier ministre Pravind Jugnauth a réaffirmé son engagement ferme contre le fléau de la drogue à Maurice. Évoquant le rapport Lam Shang Leen de la Commission d’enquête sur la Drogue, il a expliqué que deux projets gouvernementaux – le ré-enregistrement des cartes SIM et la création de la Financial Crimes Commission (FCC) – font suite aux recommandations du rapport Lam Shang Leen.
Lors d’une rencontre avec les étudiants de l’École Hotelière Sir Gaëtan Duval (EHSGD), le PM a souligné que la FCC regrouperait sous un même toit toutes les unités de lutte contre la criminalité, conformément aux directives du rapport. “La lutte contre la drogue est une priorité majeure de mon gouvernement. Mo determine pou netwaye nou pei !”, a déclaré Pravind Jugnauth, soulignant son engagement envers cette cause cruciale.
La campagne Unis contre la drogue vise à sensibiliser la population, en particulier les jeunes, sur les conséquences des abus de drogues. Le PM a salué l’engagement des jeunes, soulignant leur réflexion avant-gardiste lors des ateliers organisés dans le cadre de cette campagne. Déplorant le nombre de jeunes victimes de la drogue, Pravind Jugnauth a insisté sur la nécessité de sensibiliser la jeunesse aux méfaits de la consommation de drogue. Il a souligné l’importance de l’éducation pour former des adultes responsables et a mis en avant le rôle crucial de l’encadrement parental dans la vie des enfants. La campagne nationale s’inscrit dans une démarche globale visant à créer une société consciente et résiliente face à ce défi persistant.