Des singes brutalement manipulés, l’un avec le doigt sectionné après avoir été projeté de force dans des cages, des petits séparés de leur mère et isolés… Pendant ces derniers mois, les enquêteurs de One Voice, association française de défense des animaux et de la nature, ont infiltré le milieu des fermes d’élevage locales afin de rapporter des images et des témoignages exclusifs. Une enquête qui relance la polémique sur les pratiques et conditions de détention dans cette activité devenue commerciale…
Les scènes ont été tournées en caméra cachée il y a à peine quelques mois. Les images montrent des singes brutalement manipulés, l’une d’elles expose un employé saisissant un singe par la queue et le tournant en rond pour l’étourdir, une autre montre un singe violemment projeté contre une cage — ce geste brutal va lui arracher un doigt. Une autre présente des nourrissons séparés de leur mère, se débattant entre les mains des employés. Ceux-ci seraient confinés seuls avant d’être exportés.
En infiltrant six fermes d’élevage, les enquêteurs de One Voice sont parvenus non seulement à rapporter des images, mais également des témoignages exclusifs sur ces pratiques qu’ils jugent scandaleuses.
Infiltration périlleuse
Pour cette association française qui existe depuis près de 30 ans, « ses usines à singes peuvent être « visitées » si l’on s’en remet, bien sûr, à leurs services de direction rompus à l’exercice de les présenter sous leur meilleur jour. Nous avons préféré nous introduire en coulisses pour observer de plus près leur fonctionnement et dévoiler la réalité du quotidien de ces animaux. Au prix d’énormes risques, nos enquêteurs sont parvenus à infiltrer six d’entre elles. Ce qu’ils ont découvert confirme ce que nous suspections avec notre partenaire Action for Primates qui a mis ses informations en commun pour la préparation de cette investigation : de nombreux singes sont régulièrement pris au piège en forêt afin d’alimenter en « chair fraîche » les élevages et maintenir une diversité génétique. »
Les renseignements fournis aux enquêteurs par des lanceurs d’alerte souhaitant rester anonymes sont clairs : « Recroquevillés derrière les mailles des filets, les macaques à longue queue sont souvent prisonniers depuis plusieurs jours quand les trappeurs viennent relever leurs pièges au fond de la forêt.
Bons pour la reproduction ou tués
Affamés, assoiffés, les adultes et les bébés n’ont que la force de se serrer les uns contre les autres dans des gestes désespérés… Et c’est sans la moindre résistance, terrorisés, qu’ils se laissent encager violemment dans les caisses de transport. Les humains se moquent de leur détresse. »
Selon l’enquête de One Voice, les détenus sont tatoués avec un numéro d’identification. Ils sont également soumis à une batterie de tests pour contrôler leur état de santé. « Les blessés lors de la capture, infertiles, malades ou atteints d’une simple affection cutanée sont tués sans sourciller : poubelle. Quant aux autres, ils rejoignent les « volières », où sont déjà enfermés des dizaines de leurs congénères, pour servir de reproducteurs. Nous montrons leurs conditions de détention misérables où le stress est partout palpable. En raison de la promiscuité des cages, les épidémies sont légion, de tuberculose (TB) notamment. Les employés procèdent alors à des abattages massifs : jusqu’à 200 singes par jour ! »
Pour l’association qui oeuvre à l’étranger afin d’éclairer et changer les pratiques en France et dans le monde, cette enquête a également démontré que les bébés sont arrachés de leur mère « pour les habituer précocement au contact humain et leur apprendre à se montrer dociles. » Théoriquement, les bébés de première génération échappent à l’expérimentation au sein de l’Union européenne : soumettre les macaques F1 à des tests y est interdit depuis novembre 2022. Mais en pratique… peu de monde s’en soucie et les labos encore moins. Dans tous les cas, les primates sont condamnés à la captivité et la souffrance leur vie durant.
« Nous savions déjà, grâce aux documents auxquels nous avons accès, puis aux preuves que nous avons récoltées à propos de la plate-forme Silabe, rattachée à l’Université de Strasbourg – que les petits singes étaient exportés par centaines de lots en France à l’âge seulement d’un an et demi. Cette enquête nous a appris qu’ils sont arrachés aux bras de leurs mères dès 6-8 mois pour les habituer précocement au contact humain et leur apprendre à se montrer dociles. Imprégnés comme il se doit, ils sont ensuite « fin prêts » à exécuter les ordres au doigt et à l’œil pour subir des procédures douloureuses dans notre pays, en Europe et Outre-Atlantique. »
Pétition
Cette enquête qui suit celle de Cruelty Free International (en 2015) s’inscrit dans la lignée des actions constantes de One Voice pour mettre un terme à l’utilisation des macaques dans les laboratoires. « Nous avons déjà obtenu d’Air France qu’elle mette un terme à leur transport. Il faut aller plus loin. Forts de nos dernières révélations, nous comptons sur les décideurs publics pour prendre leurs responsabilités et faire que la situation change. »
En France et à l’international, One Voice dénonce sans relâche les pratiques cruelles infligées aux animaux. Si elle s’intéresse à Maurice, c’est parce que l’île est l’un des principaux pays pourvoyeurs de macaques pour l’expérimentation animale.
Sur leur site internet et sur les réseaux sociaux, on peut lire : « Elles sont sept « fermes » d’élevage implantées sur l’île Maurice, au plus près de l’habitat naturel des primates qu’elles commercialisent pour l’industrie mondiale de l’expérimentation animale. Chaque année, Bioculture, Noveprim, Biodi elles expédient plus de 10 000 macaques à longue queue vers des laboratoires aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en
Espagne et… en France. »
Afin que la voix de ces singes soit entendue, One Voice a mis en place une pétition afin d’interpeller les autorités pour en finir avec l’importation, le commerce et l’utilisation des macaques à longue queue — classés en danger de disparition sur
la liste rouge des espèces menacées de l’UICN — en France et dans l’Union européenne.« Aucun contrôle sur ces fermes »
Reda Chamroo, activiste très actif des droits des animaux, a participé à cette enquête. Il déclare : « Ce qu’on dénonce depuis longtemps est aujourd’hui visible aux yeux de tout le monde. Nous avons collaboré pour réaliser cette enquête afin de montrer au public ce qui se passe au quotidien au sein de ces fermes d’élevage. Des scènes épouvantables où toutes sortes de maltraitance sont pratiquées sur ces singes. Cela implique également qu’il n’y a aucun contrôle du gouvernement sur ces fermes qui se font des milliards, ce qui est très grave. Nombreux sont ces employés qui ont ras le bol d’assister à ces pratiques au quotidien et ont décidé de dénoncer en prenant d’énormes risques. Leur santé mentale est tellement affectée que certains d’entre eux ont déjà quitté leur emploi. »
Reda Chamroo invite la Cyno Breeders Association à fournir des explications au plus vite. « À travers des publicités payantes, la CBA avait publié récemment qu’elle prenait grand soin de ces singes et qu’il n’y avait pas de place à la maltraitance au sein de leurs fermes. Ce business immoral doit cesser au plus vite ! ! L’image de notre pays continuera d’être ternie aussi longtemps que cette pratique ne cesse pas. On se demande pourquoi le gouvernement continue de tolérer cette industrie qui rapporte des milliards à ces fermes mais des broutilles aux caisses de l’État, en plus de toutes ces critiques qu’elles subissent. Je lance un appel au Premier ministre et au ministre de l’Agro-Industrie de considérer cette enquête et d’agir rapidement », affirme Reda Chamroo.