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Florence Van Houtte :« le Pacte Vert, une priorité au centre de la stratégie des entreprises mauriciennes»

Florence Van Houtte est la Team Leader de la section coopération de la délégation de l’Union européenne (UE) auprès de Maurice. Dans l’interview qui suit, elle explique que le Green Deal (Pacte Vert) de l’UE, lancé par la présidente Ursula von der Leyen, est un ensemble de politiques visant à transformer de nombreux secteurs de la société avec une ambition principale : faire en sorte que l’UE atteigne la neutralité climatique en 2050. Elle précise que dans le cadre de la mise en œuvre de cette feuille de route, toutes ces réglementations européennes auront, à terme, un impact sur les entreprises mauriciennes qui commercent avec l’Europe, car elles devront s’y conformer. Elle annonce que l’UE, en collaboration avec l’Agence Française de Développement (AFD), travaille sur une étude pour évaluer les implications principales de nouvelles réglementations et les priorités en termes d’adaptation du secteur mauricien.

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Pouvez-vous nous parler du Pacte Vert européen ?
Le Green Deal, ou le Pacte Vert européen, a été adopté dès l’arrivée de la nouvelle Commissaire européenne, en 2017, comme une stratégie de croissance de l’économie européenne, et qui nous permettra d’atteindre la neutralité climatique en 2050, et d’avoir une préservation et une meilleure utilisation des ressources, parce que nous nous rendons compte que la base des ressources naturelles dont nous avons besoin pour le développement économique n’est plus durable.
C’est également une stratégie nous permettant de nous positionner comme économie européenne sur la compétitivité à long terme. Alors oui, il y a des coûts de transition, mais à long terme, c’est essentiel si nous vouons fonctionner dans un monde avec ces ressources naturelles bien plus limitées et des restrictions climatiques bien plus élevées.
Cela se décline dans tous les domaines de l’économie. Il y a le côté mobilité durable, il y a aussi le secteur de la construction et de la rénovation qui tient en considération l’utilisation de ressources. Il y a le secteur agricole, dans une logique de chaîne des valeurs, agriculture et alimentation. En général, l’économie circulaire s’applique à tout le secteur industriel et le secteur financier. Le secteur du finance framework est aussi important. Une chose est d’avoir des politiques pour le secteur manufacturier, mais si les banques ne suivent pas et ne favorisent pas ces secteurs pour l’investissement, cela ne servira à rien.
Il y a tous ces éléments de politique dans un contexte qui permet de renforcer l’approche Leave No One Behind. Il est essentiel que cette ambition climatique et de durabilité ne se fasse pas au détriment des personnes les plus pauvres. L’UE, reconnue comme l’un des acteurs les plus avancés en matière d’économie verte et de renforcement de l’innovation et de la recherche, joue un rôle de leadership. Cela nous permet de Think out of the Box et de trouver des solutions pour réaliser nos ambitions.

Tous les pays européens sont-ils impliqués ?
C’est véritablement une politique européenne, et toutes les mesures nécessaires prises au niveau européen, ainsi que les réglementations, sont mises en œuvre au plus haut niveau par les États membres de l’UE dans une dimension nationale. C’est toujours la dynamique au niveau européen. Cette politique européenne aura bientôt un impact international dans la mesure où l’économie est mondialisée et, donc, ce qui est requis sur le marché européen s’applique également à tout ce qui est importé sur le marché européen.

Comment ce Green Deal intéresse-t-il un pays comme Maurice ?
Toutes ces réglementations européennes et ces évolutions du marché européen auront, à terme, un impact sur les entreprises mauriciennes qui commercent avec l’Europe, car elles devront se conformer à de nouvelles réglementations. Par exemple, les réglementations concernant les emballages, le conditionnement et les informations sur le contenu des produits affectent aussi la technologie.
Prenons le cas du conditionnement ou du packaging : si des ajustements sont nécessaires, cela implique des investissements en termes de production et d’étiquetage. L’Europe est en train d’introduire le passeport numérique pour les produits. Cela signifie que toutes les informations sur le processus de production d’un produit, ses ingrédients, son impact environnemental et son empreinte carbone doivent être respectées pour les produits entrant sur le marché européen et doivent figurer sur ce passeport numérique.
Les marchés évoluent et les technologies doivent donc aussi évoluer pour respecter ces nouveaux standards. Une entreprise qui contribuerait à la déforestation, à la pollution ou qui aurait un impact environnemental inacceptable serait forcément exclue de certains marchés, en particulier ceux où les consommateurs sont très conscients de ces enjeux.

Depuis quand ces réglementations sont-elles en vigueur ?
Le Pacte Vert se déploie progressivement. Actuellement, le cadre de la finance durable, qu’il s’agisse du secteur financier, des banques ou d’autres, est en cours de mise en œuvre petit à petit. En 2020, nous avions adopté la Taxonomie verte, une classification des investissements considérés comme favorables en termes d’empreinte climatique et environnementale. Tout cela a été mis en place en 2020.
Le mois dernier, nous avons instauré les réglementations de l’outil d’aviation, qui imposent que, progressivement, les avions qui desservent l’UE devront s’approvisionner en partie à partir d’un fuel qui soit vert. Toutes les législations se mettent en place avec une période de transition. C’est-à-dire qu’elles peuvent entrer en vigueur deux ans plus tard. Il faudra ajuster sur la base de l’expérience.

Quels sont les secteurs mauriciens qui pourraient être les plus affectés ?
Les secteurs les plus touchés sont ceux qui exportent le plus vers l’Europe, à savoir l’industrie textile et le sucre. Il y a un grand intérêt de la part des consommateurs européens que les normes environnementales soient respectées. Il y a aussi les produits de la pêche. La politique européenne contre la pêche illégale et non déclarée est en place depuis un certain temps. Il est important que Maurice montre un engagement dans la lutte contre cette pêche illégale pour que les produits continuent d’entrer sur le marché européen.
Le secteur financier est également très concerné par cette taxonomie verte. Le secteur financier mauricien est très connecté au secteur européen et international. Donc, toutes les questions concernant le cadre ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) sont pertinentes. Il est nécessaire que les banques locales pratiquent la finance durable afin de ne pas se marginaliser du système international.
Le secteur du tourisme est aussi concerné par les réglementations dans le domaine de l’aviation. L’impact environnemental de chaque vol sera pris en compte par les consommateurs. Le secteur privé mauricien est bien organisé, avec beaucoup de capacités et de connexions internationales. Si ce secteur devient un pionnier en matière de durabilité, il sera beaucoup mieux positionné par rapport à ses concurrents sur le marché européen et au niveau international. Cette tendance marquée par l’UE qu’est le marché vert ne se limite pas à l’Europe.

Pensez-vous que les entreprises mauriciennes sont au courant de ce qui se passe au niveau de l’UE ?
Je constate avec plaisir que les opérateurs mauriciens suivent et s’informent sur les réglementations, soit auprès de leurs partenaires commerciaux européens. Maurice peut se conformer aux normes et standards du Pacte Vert en adoptant des pratiques durables comme la réduction de la consommation d’énergie, la gestion des déchets, la promotion de l’économie circulaire, la protection de la biodiversité et la sensibilisation des touristes à l’environnement.

Toutes les institutions du secteur privé sont-elles impliquées ?
Les associations d’entreprises – comme Business Mauritius, la MEXA ou la Mauritius Bankers Association, entre autres – sont informées depuis six mois par l’UE sur ce qu’est le Pacte Vert européen. Nous sommes en train, avec l’Agence Française de Développement (AFD), d’entreprendre une étude pour évaluer les implications principales et les priorités en termes d’adaptation du secteur mauricien. Nous allons mettre en oeuvre l’année prochaine une assistance technique pour travailler avec le secteur privé sur les mesures principales pour évoluer vers les nouvelles réglementations.

Où en sommes-nous à Maurice par rapport aux standards définis par l’UE ?
L’étude nous donnera une analyse plus fine. Elle est en cours et sera finalisée ce ois-ci. Il y aura un séminaire de présentation d’ici deux ou trois semaines.

Qui mène l’étude dont vous parlez ?
C’est une entreprise de consultants qui travaille sous la direction de Business Mauritius, avec le soutien de l’AFD et de l’UE. Elle portera essentiellement sur l’impact du Pacte Vert sur le secteur mauricien. Il y a un volet de l’étude spécifiquement pour le secteur financier, vu sa spécificité et son importance. Cela nous permettra, en ce qui concerne le secteur financier, de voir quelles sont nos priorités.
Le premier dialogue que nous avons fait sur l’implémentation de l’économie circulaire nous a permis de présenter toutes les directives en cours : packaging, déchets électroniques, écoconception des produits, textile… Nous avons vu les yeux de nos interlocuteurs mauriciens s’agrandir en disant que c’est quelque chose de fondamental qui vient vers nous. Il faut que nous nous activions pour le prendre en compte dans nos méthodes de production.
Les techniques de production, les processus et les technologies sont une chose. Mais le plus important est de pouvoir démontrer ces impacts. Il y a beaucoup d’efforts à faire dans un certain nombre de domaines. Dans le domaine des pesticides, Maurice n’a pas un contrôle suffisant concernant leur utilisation. Pour les entreprises qui exportent par exemple des fruits comme l’ananas et d’autres, c’est un domaine où il faut certainement avancer. Le secteur textile, lui, a fourni de gros efforts. Nous avons d’ailleurs soutenu la MEXA pour un code de conduite pour l’engagement des travailleurs migrants. Quant au secteur bancaire, il a été actif pour avoir au niveau individuel un ESG Framework. Ce n’est que le début. Il faut qu’il y ait une harmonisation nationale et le mettre comme priorité au centre de la stratégie des entreprises.

Toutes ces nouvelles mesures ne constituent-elles pas une barrière non tarifaire ?
Non, pas du tout. Nous pourrions le considérer comme une contrainte technique au commerce, mais je crois que c’est une opportunité aussi. Le fait d’avoir des processus de développement moins polluant et une économie plus verte peut contribuer à un Business Model plus innovant et plus économique. Oui, cela peut poser des problèmes à certaines entreprises. C’est pour cela que nous avons maintenant toute cette dynamique pour soutenir l’adaptation.

Êtes-vous de ceux ayant la charge de ce programme de vulgarisation ?
En tant qu’ambassadeurs de l’UE, on tente de fournir des efforts dans ce domaine avec les collègues de la coopération et ceux de la section commerce. Nous travaillons main dans la main avec l’AFD. À chaque occasion, comme pour la préparation de la COP sur le climat ou sur la biodiversité, nous essayons d’avoir un dialogue et d’échanger avec le gouvernement. Le secteur privé doit tenir compte du cadre législatif mauricien.
Nous pouvons aussi faire évoluer ce cadre législatif mauricien pour leur faciliter la vie, comme les normes d’utilisation des produits recyclés dans les produits manufacturés s’alignant avec les pratiques européennes. Ainsi, une entreprise qui produit pour le marché local, africain et européen n’a qu’une norme à appliquer. Nous travaillons avec le gouvernement pour faciliter l’écosystème dans lequel les entreprises mauriciennes évoluent.
Autre exemple : le gouvernement a adopté en août une feuille de route pour l’économie circulaire. L’UE avait soutenu son élaboration, qui a été très participative, sous la coordination du ministère de l’Environnement. Il y avait des dimensions pour les différents secteurs, notamment pour le secteur agricole, celui de la construction et celui de l’immobilier. Il s’agit de savoir ce que nus faisons des déchets de construction et de démolition des bâtiments. Comment bien assurer la climatisation, etc. Tout cela a son importance pour réduire la consommation électrique.
J’ai été étonnée d’entendre des personnes engagées dans la construction dire qu’il aurait fallu que nous normalisons et contrôlons l’exportation des roches basaltiques, parce que nous n’en avons pas tant que ça à Maurice. Nous n’imaginons pas que la roche basaltique est un produit relativement rare et qu’il faut éviter sa surconsommation. Tout cela pour dire que tous les domaines ont leur importance.
Nous sommes en contact avec des responsables des secteurs des matériaux de construction et du ciment qui sont intéressés de voir comment réduire les émissions de gaz à effet de serre de leurs produits en y incorporant des produits recyclés. Nous travaillons pas mal en lien avec La-Réunion et, occasionnellement aussi, avec les autres îles de l’océan Indien. Il y a des possibilités d’échanges de déchets à recycler. Pour une entreprise, le marché mauricien est petit et l’approvisionnement en déchets est limité. Il y a donc une économie d’échelle à chercher avec les voisins de l’océan Indien.

Mais tous ces projets nécessitent un financement. Comment faire ?
C’est vrai. Il est important que le secteur financier suive. Les projets comme Sunref sont là pour débloquer ce genre de contraintes. Si on canalise plus d’investissement dans des conditions plus favorables vers ce genre de projets, il sera plus facile de mettre cela en œuvre. Le projet Sunref est un programme de l’AFD visant à favoriser les projets d’investissements verts.
Le programme Sunref propose aux banques partenaires à Maurice des lignes de crédits, un fonds d’appui, la préparation de projets et une assistance technique pour accompagner les promoteurs. Ce programme contribue ainsi à la transition énergétique et à la lutte contre le changement climatique. En parallèle, l’UE accorde une subvention pour que les entreprises bénéficiaires aient une assistance technique pour développer des projets avec un accompagnement.

Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux opérateurs mauriciens ?
La transition verte est urgente. Nous ne pouvons pas nous dire que nous verrons en 2030 ou 2050. Les obligations d’adaptation sont primordiales, dans leur propre intérêt, et il ne faut pas attendre la dernière minute. Ensuite, il y a des opportunités. Si Maurice, qui est bien avancée, peut être pionnière pour se positionner sur tout ce qui touche aux marchés un peu exigeants en matière de garantie de durabilité, c’est une opportunité à prendre pour ouvrir de nouveaux marchés, pour incorporer des produits divers développés ailleurs, mais adaptés ici, et qui leur permettent d’avoir un modèle économique plus durable et plus rentable. Il y a des coûts d’adaptation et au niveau de l’ambassade de l’Europe, nous sommes dans la dynamique d’essayer d’aider à la transition.

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