Danse contemporaine à Maurice – Jean Renat Anamah : « Il faudrait une vraie politique culturelle pour que la danse puisse s’épanouir »  

Jean Renat Anamah est une des grandes figures de la danse contemporaine à Maurice. Sa dernière création en date, Pareil L a été présentée en partie au public, jeudi, au Centre Nelson Mandela. Dans ce contexte, le chorégraphe-danseur nous apporte un éclairage sur l’espace, le corps, et retrace les grandes étapes de son parcours en lien avec l’évolution de la danse contemporaine et les difficultés rencontrées.

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Comment en êtes-vous venu à la danse ?

– Enfant, je dansais tout le temps dans la cour avec les tantes, les oncles, une ribambelle d’enfants, accompagné des cousins musiciens. J’étais le centre d’attraction par cette fougue de la danse. Un après-midi, ma sœur rentre du travail avec un journal (un article paru sur une compétition de danse disco organisée par l’hôtel Saint Géran et le Sam’s disco). Elle m’a encouragé à y prendre part. La suite, je remporte le prix du Champion de danse local pour représenter Maurice à Londres pour la compétition internationale. À Londres, je termine parmi les dix premiers et je décroche une bourse d’études de 3 ans à la School of Performing Arts. J’ai étudié les différents styles de danse et aussi le Fashion design.

Après de nombreuses années de pratique et d’enseignement de la danse avec diverses expériences, que retenez-vous de votre parcours ?

– De belles aventures, de belles expériences, de belles rencontres, grâce aux nombreux voyages accomplis pour présenter mes travaux sur des scènes internationales. J’ai eu de bons retours, de bonnes appréciations et de la reconnaissance. C’est vraiment ces moments vécus à l’étranger qui m’ont marqué. Ces voyages et rencontres m’ont apporté beaucoup en termes de développement, de reprise de confiance en moi et en mon travail, alors que dans l’île, ça a souvent été très compliqué, le désert, sans soutien, sans véritable public. Des années à enseigner dans des conditions difficiles et, au final, des désistements. Mais je suis content de mes réalisations : plus d’une vingtaine de créations chorégraphiques portées par de magnifiques danseurs locaux avec ma signature. J’ai fait des propositions seul ou avec des collectifs pour de la place et du mouvement à l’école, qui, pendant longtemps, sont restées sans réponse, jusqu’à ces dernières années où j’ai été engagé à l’ENSA Nantes (Maurice) par le ministère de l’Éducation pour former des professeurs dans la matière et, récemment, pour former des PE Educators au Mauritius Institute of Education (MIE). J’ai eu une carrière avec beaucoup de dépenses que de gains. Mais il y a cette satisfaction d’aboutissement dans une île où la danse contemporaine est encore méconnue.

Qu’est-ce que la danse contemporaine ? Quelle en est votre définition ?

– Pour moi, c’est la danse actuelle. Celle qui est dans l’air du temps, qui s’est détachée des anciennes écoles/techniques, qui n’a pas d’attache aux formats, aux codes. Dépouillée de fioritures et juste un langage, une expression sincère et pure. Elle emmène des corps habiles de par des techniques réinventées. Elle s’aligne avec la justesse des rapports à « la source initiale du geste ». Ce sont toutes les danses, de différents styles (issues de différentes cultures) qui se sont réinventées en apportant de la nouveauté.

Vous avez souvent rattaché les questions du mouvement en danse à des thématiques comme l’identité, la mémoire, le déplacement  à travers des partis-pris. Est-ce que vous utilisez le corps pour construire des imaginaires, pour créer du lien aussi ?

– Le propre de la création vient de l’imaginaire. Cela a commencé très jeune. C’est cela encore ma base de travail chorégraphique; imaginer suivant une inspiration pour donner du sens qui débouchera en écriture. L’imaginaire ne m’a jamais trompé. Ça m’a permis de réveiller des souvenirs, des mémoires enfouies. Le corps expressif étant l’outillage de danse, de la création, il est capable de concrétiser l’imaginaire. L’imaginaire prend, donc, tout son sens avec le corps en mouvement.

L’un des enjeux majeurs de la danse contemporaine est le financement. Est-ce que vous avez l’impression que le champ chorégraphique s’ouvre aujourd’hui avec les aides à la création, l’élargissement du public ?

– Pour ce qui est de la danse, c’est encore très timide et ça avance très peu. Depuis un certain temps, les initiatives pour renforcer le champ chorégraphique peinent. Ce n’est pas si simple pour participer à des festivals, être invité à une résidence. Si les invitations arrivent, il faut encore frapper aux portes pour trouver du financement. Si le champ chorégraphique s’élargit un peu, c’est grâce à nos initiatives personnelles. Chacun se débrouille en trouvant le financement soit dans nos poches ou par le crowdfunding. J’ai effectivement pu développer mon travail suite à des déplacements à l’étranger pour de nombreux travaux chorégraphiques, participer à des classes/ateliers, des discussions. Par contre, le public est encore très frileux pour ce qui est de la danse contemporaine. Il y a eu des efforts pour réunir les parents des élèves, faire des performances publiques, organiser des journées portes ouvertes, faire des émissions télévisuelles. Il n’y a toujours pas un vrai public pour la danse.

Y a-t-il un corpus identifiable de pièces de danse à Maurice ? Quels sont les spectacles appréciés du public qui vous ont marqué ?

– Certaines pièces de Patrick Athaw ont marqué les esprits au moment des représentations. Mais ça a été éphémère par un manque d’intérêt du public. Créer pour mettre en scène la danse est de l’ordre de l’éphémère. On s’investit pendant de longs mois pour être sur scène deux fois au maximum. Après, ça ne tourne pas, ça s’envole en souvenirs, en photos ou vidéos. Mes créations chorégraphiques ont toujours attiré les happy few, ceux qui fin 90 y étaient sensibles et fidèles. J’ai vu des gens pleurer en assistant à mes pièces Somewhere/Somewhat au Théâtre de Port-Louis et Flow the River dans le même théâtre. Mais les temps changent, l’ère technologique avec tous ses artifices proposent des modèles superflus, en oubliant l’essentiel.

Quelles sont les conditions qu’il faut défendre pour qu’une institution comme la danse puisse s’épanouir à Maurice ?

– Il faudrait que les responsables (l’institution de la culture, les éventuels mécènes, les groupes privés) réfléchissent à une vraie politique culturelle avec de vrais encadrements professionnels, être impartial dans leur accompagnement. Il faudrait, sans parti-pris, aider financièrement la création de festivals et autres événements danse, des laboratoires d’écriture chorégraphique, créer des lieux – théâtres, espaces de danse, espace de recherche, de formation. Aider financièrement pour faire tourner des créations de danse loin de toute influence ou pression. Financer les déplacements à l’étranger.

Y a-t-il eu un travail entre les danseurs-chorégraphes contemporains et les plasticiens ? L’image a-t-elle rencontré la danse ?

– Cette ouverture pour que la danse puisse rencontrer et s’aventurer dans d’autres arts est la base même de mon travail. L’image, le film, la photographie sont des outillages pour enclencher une écriture chorégraphique au départ de la création. J’ouvre l’aventure chorégraphique par ces rencontres pour dépasser la gestuelle uniquement. La dernière expérience en date a été magnifique. J’ai été invité à présenter un solo et aussi donner une conférence sur Island topography à Bayreuth – Nuremberg en Allemagne. J’ai collaboré avec l’artiste vidéaste cubain Marvin Rodriguez pour une création chorégraphique dépassant la scène pour se projeter sur un écran, élargissant l’espace de performance.

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