Jour de Divali. Célébration symboliquement forte du bien sur le mal, de la lumière sur les ténèbres. Et face à une actualité où l’on ne cesse de sombrer dans l’horreur, quelques signes et paroles cette semaine qui signalent très fort des raisons d’espérer, malgré tout.
Que peut une vie ?
Le décès, cette semaine, de Dev Virahsawmy, nous dit paradoxalement qu’une vie, une seule vie d’être humain, peut beaucoup. Toute la semaine, alors qu’il venait de succomber au cancer qui l’a pris à sa famille, les hommages à cet homme ont fleuri comme le boukie banane, l’arbre flamboyant qu’il chantait. De partout, des voix se sont élevées pour dire à quel point le sillon obstinément tracé par cet homme a été significatif pour eux-elles, pour notre pays. Dans sa lutte politique aux origines du MMM, dans son combat opiniâtre pour le créole mauricien, dans sa création littéraire prolifique et inspirée, dans son engagement déterminé et inlassable en faveur d’une identité mauricienne complexe et riche, Dev Virahsawmy a clairement marqué des avancées significatives dans notre pays.
L’illustration lumineuse que oui, chacune à son échelle, une vie humaine engagée peut…
Ailleurs dans l’actualité, Edy Planel, fondateur de Mediapart, nous rappelle aussi cette semaine que c’est ce qu’a incarné Nelson Mandela.
Dans un entretien diffusé par sa plateforme d’information, le journaliste fait le point sur le conflit de plus en plus sanglant et meurtrier entre Israël et Palestine. Il insiste d’abord sur le fait que « La question morale aujourd’hui, comme dans tous les temps de bascule du monde, est un repère pratique, concret, est un repère politique. Ce n’est pas une question de belles âmes et de belles idées ». Pour lui, il y dans ce conflit la violation de quelque chose qui concerne le monde entier : l’égalité des droits. « D’où qu’on vienne, sans distinction d’origine, de condition. Ce principe est un principe politique. Le défendre, moralement, c’est faire de la politique. Derrière cette question de l’égalité violée, et dont les Palestiniens sont les victimes, il y a un principe éthique qui est politique : le refus de l’indifférence. Le souci de l’autre ».
« On ne répare pas un crime par une injustice », insiste Edwy Plenel.
Il y a eu, poursuit-il, une légitimité que les Juifs aient un lieu, d’où qu’ils viennent, pour se retrouver, pour ne pas être victimes de persécutions. Mais ils ne seront en sécurité que le jour où sera réparé le fait que l’État d’Israël a été créé en même temps sur une injustice vis-à-vis des Palestiniens, ceux qui ont été chassés et ceux qui, renvoyés à l’anonymat des réfugiés, sont aujourd’hui un peuple qui a droit à un État, qui a droit à vivre normalement, comme les Israéliens.
Face à cela, les attaques perpétrées par le Hamas contre Israël lui inspirent la réflexion suivante : la violence de l’oppresseur israélien légitime une violence de résistance en retour. Mais cette résistance, insiste-t-il, « doit montrer qu’elle est capable de fraternité, qu’elle est capable d’avoir même l’objectif de libérer le peuple qui l’opprime. De le libérer du pouvoir qui crée cette violence ».
Pour Edwy Plenel, la leçon du combat de l’ANC en Afrique du Sud avec Nelson Mandela illustre concrètement cela. « L’ANC a commis dans les années 80 des massacres contre des civils. Elle a publié une autocritique. Et dans la foulée, Mandela a mené son combat pour la nation arc-en-ciel. Pour dire qu’ils n’étaient pas là pour chasser ceux qui l’avaient opprimé dans le régime d’apartheid effroyable, mais au contraire pour les libérer d’eux-mêmes, de cette idéologie qui les enfermait. Et c’est ce qu’il a défendu ».
Il cite plus avant Frantz Fanon qui, dans Les Damnés de la terre, déployait sa réflexion sur la violence légitime du colonisé face au colonisateur, en faisant ressortir qu’il s’agit d’une violence de nécessité, non d’absolu qui doit avoir conscience de sa limite, parce qu’elle est faite pour libérer. Elle n’est pas faite pour opprimer. Donc, elle n’est pas faite pour tuer des civils.
« Dans le moment actuel, il ne faut pas tomber dans le piège qui nous est tendu. Il faut défendre la relation, défendre cette entraide profonde qui est plus forte que la force et que la puissance qui a conscience de la fragilité du monde et de l’humanité », insiste Edwy Plenel.
Dans le registre littéraire, c’est aussi ce que semble affirmer Jean-Baptiste Andrea, qui a remporté cette semaine le Prix Goncourt 2023 pour Veiller sur elle. Un roman où il a choisi pour décor le chaos des conflits du XXe siècle, mais sans jamais perdre de vue ce qu’il considère son rôle d’écrivain : apporter de la lumière aux ténèbres.
Dans un entretien sur France Culture, il déclare ainsi :
« Le sujet de ce livre est vraiment la lumière qui nous permet de vivre, la joie qui nous permet de résister aux ténèbres. Je trouve qu’on ne parle que de noirceur, que de ténèbres et que de tristesse. Elles existent les ténèbres, elles sont là, dans notre monde, mais on ne parle que de ça. Moi je crois très fort à la lumière qui ne cesse jamais de briller dans ces ténèbres, et j’ai envie de la voir ».
La lumière dans son roman, explique-t-il, c’est Viola, une femme brillante, qui veut déployer ses ailes à une époque où il est très difficile de le faire. Et qui se heurte à mille tyrannies : tyrannie du quotidien, tyrannie de l’intime, tyrannie de sa famille, tyrannie de la société. Et le XXe siècle italien, où il y a une grande tyrannie politique, lui a semblé le cadre idéal pour dérouler cette histoire. « Le XXème siècle italien est très noir si on pense seulement au fascisme. Mais en Italie il y a des mouvements incroyables et ambigus d’ailleurs, comme par exemple le futurisme, qui contenaient de la lumière et ont pu dériver vers la noirceur. Il y a quand même l’art de l’Italie, il y a la résilience, il y a la résistance et l’Italie que je sache, enfin, est quand même, plus ou moins, sortie de cette noirceur-là, en tout cas du pire de cette noirceur-là ».
Il précise, donc : ce qu’il veut dire par lumière, « c’est la capacité à ne pas se laisser détruire par les circonstances et par les obstacles qu’on rencontre dans une vie, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, les obstacles que rencontrent ces deux héros. C’est ça la lumière. Pour moi la lumière c’est peut-être juste la capacité à se relever, et à ne pas cesser de s’enthousiasmer. Et j’emploie ce terme prudemment. Je mesure bien que quand on est sous les bombes en Ukraine, ce n’est pas tout à fait la même chose. Quoi qu’il arrive, je trouve ça fascinant de voir que souvent des enfants dans les pires zones de guerre oublient ça pour jouer au ballon quelques instants. C’est ça la lumière. Ce n’est pas la prérogative de l’enfance en plus, on la perd souvent quand on est adulte mais ce n’est pas une fatalité. Et moi je parle de deux héros chez lesquels cette lumière vacille. Mais je ne veux pas qu’elle s’éteigne. Moi mon rôle c’est de ne pas la laisser s’éteindre, dans ce roman ».
Vendredi et samedi soir au Caudan Arts Centre, Gilbert Pounia et le groupe réunionnais Ziskakan, connus pour leur lumineux engagement créatif et solidaire, ont conclu leur concert hommage à Dev Virahsawmy en faisant chanter le public avec eux sur l’air de Kala. « Amenn amenn amwin, Dann pei lalimier ». Et quand on sent ce que cela soulève dans les cœurs, quand on voit les lueurs qui s’animent dans les yeux, quand on voit l’élan qui semble porter les pas à la sortie du concert, on se dit que oui, si la lumière vacille, il y a toujours la possibilité de ces espoirs-là…
SHENAZ PATEL