Le Guide - Législatives 2024

Drogue – Ashvin Gungaram, Ailes : «Un village spécifique dans l’est du pays nous inquiète»

«La situation est comparable aux banlieues les plus affectées par le trafic de stupéfiants» «Ailleurs, les sites d’injection supervisés sont en train de faire leurs preuves»

Ashvin Gungaram, directeur de l’organisation non-gouvernementale
AILES (Aides Infos Liberté Espoir et Solidarité), parle de ses inquiétudes à propos d’un village dans l’est du pays. AILES, qui s’est investi dans l’accompagnement des personnes ayan une dépendance à la drogue depuis 18 ans, note que cette région est en train d’emboîter le pas à des banlieues de Port-Louis les plus affectées  par le trafic de stupéfiants. Parallèlement, le rajeunissement des usagers est  une autre problématique qui inquiète l’ONG. 167 de ses bénéficiaires sont des jeunes âgés de 15 à 24 ans.

- Publicité -

l Pour ceux qui ne connaissent pas AILES, pouvez-vous présenter cette ONG ?
AILES a été créée en 2005 à une période où beaucoup de personnes étaient contaminées par le VIH et avaient une addiction et autres problématiques liées aux drogues. AILES a pour mission de travailler avec ces personnes. Nous avons eu notre premier financement en 2009-2010 et depuis, AILES est entrée dans la lutte contre le VIH, s’est spécialisée dans la réduction des risques et l’accompagnement. Il y a deux ans, nous avons commencé à offrir un traitement hépatique de trois mois – grâce à un don sur trois mois – à nos bénéficiaires. Cela se fait avec la collaboration d’un médecin qui vient sur place, à notre centre.
AILES organise aussi des focus groups pour permettre à ceux qui en ont besoin de s’exprimer dans un contexte spécifique.Nous suivons de manière régulière une centaine de bénéficiaires. Nous avons sur notre registre 912 hommes et 388 femmes qui, à un moment, ont bénéficié de nos services. Parmi ces derniers, nous comptons 8 enfants, 119 garçons et 48 filles âgés entre 15 et 20 ans. Les enfants que nous suivons n’ont pas nécessairement des problèmes liés à la drogue. Ce sont les enfants de nos bénéficiaires. Nous accueillons les bénéficiaires dans notre centre de Floréal. Nous avons des programmes de proximité de manière régulière, nous assurons une présence de quelques mois dans des régions que nous suivons pour rester en contact avec la communauté. Bientôt, nous serons dans le sud du pays.
l Les chiffres que vous mentionnez reflètent quelle période ?
Cette année. Je trouve que la situation est alarmante chez les jeunes. Il y a un rajeunissement des usagers de drogues. Ils sont déscolarisés, au chômage ou pe trase. Il faut savoir que plus les utilisateurs de drogues sont jeunes, plus c’est difficile de travailler avec eux. On ne responsabilise pas un jeune ayant une dépendance aux substances  comme on le fait avec un adulte qui est dans la même situation.  Lorsque les adultes sont, par exemple, déjà parents, on les met devant leurs devoirs vis-à-vis de leurs enfants et leur foyer. La prise de conscience est différente. Les  jeunes, eux, vous écoutent, pensent que vous leur faites la morale, et puis disparaissent.

l Avez-vous suffisamment de ressources pour assurer l’éventail de services que vous proposez ?
D’abord, si nous offrons cet éventail de services, c’est pour garantir un accompagnement quasi complet à nos bénéficiaires. Si, après avoir établi le contact avec une personne qui a besoin d’être dirigée vers un service, nous sommes dans l’incapacité de l’accompagner, nous perdrons sa confiance. Et si elle doit voir plusieurs associations en même temps, elle se sentira perdue. Il est plus efficace et pragmatique d’offrir différents services sous un même toit. Par ailleurs, nous sommes formés pour donner de l’assistance par rapport au VIH, à l’hépatite, aux traitements de substitution et de réduction des risques. À ce jour, le personnel d’AILES comprend 14 membres, y compris nos travailleurs de terrain et pairs éducateurs. En termes de ressources, je le concède, nous sommes limités. Toutefois nous travaillons aussi en collaboration avec des organisations non-gouvernementales, à l’instar de Prévention Information Lutte contre le Sida, du Collectif Urgence Toxida, Parapli Rouz et Ki Nou Eté, avec lesquelles nous avons des projets en commun soutenus financièrement par la National Social Inclusion Foundation.

l Qu’avez-vous constaté de nouveau sur le terrain ?
Un village spécifique dans l’est du pays nous inquiète. Nous avons vu que la situation de la drogue dans cette partie de l’île est comparable aux banlieues les plus affectées de Port-Louis par le trafic et la consommation de stupéfiants. Ces régions de Port-Louis, rappelons-le, ont été identifiées et citées par le rapport Lam Shang Leen. Jusqu’ici, dans l’esprit populaire, seules les villes et des banlieues connues pour être des fiefs du trafic sont concernées par la problématique de la drogue. Dans la réalité, ce n’est pas, voire plus, le cas. La drogue est réellement partout, en passant par des régions côtières au moindre recoin. Cela fait plusieurs mois que nous intervenons dans le village dont j’ai évoqué. Nous y avons rencontré plus d’une cinquantaine de personnes vivant avec une hépatite, contractée après des échanges de matériels servant à la consommation de drogues. C’est un village où les problèmes sanitaires liés à l’usage de la drogue ont surgi par manque d’information sur les bonnes pratiques à adopter, les relations sexuelles non protégées, les risques qu’entraîne le partage des matériels d’injection. Pour vous dire à quel point la drogue est partout, nous avons aussi identifié un hameau, loin des premières facilités communautaires, où sur les quelque 1,000 personnes qui y habitent, une dizaine ont développé une addiction aux drogues. C’est un contexte où dans des endroits non desservis par le transport en commun, on peut trouver de la drogue !

l Comment expliquez-vous cette  situation ?
Il y a encore quelques années, des usagers de drogues s’approvisionnaient principalement dans des régions non loin de Port-Louis. Aujourd’hui, il y a des points de vente de drogues, qu’elles soient synthétiques, du brown sugar, des psychotropes etc. à travers l’île. Cette disponibilité des substances limite la mobilité des usagers, qui ont accès à celles-ci à leur porte. Et comme pour tout produit, le marché de la drogue à Maurice a ses régions, selon la qualité et le tarif. On ne sait pas toujours quelles drogues sont utilisées. On sait que la base est de l’héroïne, mais avec une pureté modifiée. Ce qui donne une panoplie de substances avec une multitude de produits qui vont déterminer le prix de la drogue.

l Hormis la répression, qu’est-ce qui pourrait, selon vous, atténuer le problème de la drogue, puisque la guerre contre ce fléau est déjà perdue…?
Effectivement, le combat contre la drogue est loin d’être gagné. La décriminalisation de drogues serait une solution pour endiguer ce problème. Ailleurs, les sites d’injection supervisés sont en train de faire leurs preuves. À notre niveau, AILES ne peut que continuer et renforcer son programme d’accompagnement. Et surtout, expliquer aux médecins pourquoi il faut augmenter le dosage de la méthadone pour ceux qui sont sur le programme de substitution. Si on commence le traitement avec la dose prescrite de 20 mg, la posologie doit se situer entre 60 et 100 mg, voire 120 mg par jour. À Maurice, on ne dépasse pas cette dose. Le protocole est appelé à changer. C’est en voie… L’approche et l’attitude du médecin vis-à-vis des usagers de drogues en réhabilitation doit aussi changer.
Je tiens à saluer le Centre de réhabilitation de Mahébourg qui fait un excellent travail dans ce sens. Il est le seul à appliquer la direct observation therapy, un protocole où le patient boit la méthadone dans un gobelet que lui donne le médecin. Et non dans une petite bouteille, comme cela est pratiqué dans d’autres points de distribution de méthadone. C’est le seul Centre du genre qui, à ce jour, fait un travail d’accueil et d’accompagnement comme il se doit.
AILES doit continuer à informer, prévenir et sensibiliser les jeunes. Pourquoi ceux en situation de précarité économique sont les plus affectés ? Parce qu’à cause de l’échec scolaire ou autre, ils sont stigmatisés par des préjugés sur leur incapacité de réussir dans la vie, ils voient qu’il existe un système qui leur permet de s’enrichir, ils entrent dans un schéma déjà prédéfini… sur fond de drogue !

l Combien de success stories AILES a connu cette année ?
Quand il s’agit d’addiction aux drogues, nous ne mesurons pas nos résultats en termes de success stories. Une personne qui a une historique de dépendance de drogues encoure toujours le risque d’une rechute. En revanche, un/e bénéficiaire qui vit avec le VIH et qui, au bout d’une année, est toujours adhérent à son traitement avec rigueur pour mener une vie “normale”, je considère que cette personne est un exemple de réussite dans sa lutte contre la maladie.

l Quels sont les obstacles auxquels AILES est confronté pour mener à bien sa mission ?
Notre plus grande difficulté reste les ressources financières. Nous sommes dans une période de transition. Dans quelque temps, Maurice – considéré comme pays à revenu élevé – ne bénéficiera plus des fonds du Global Fund. Cela aura une répercussion sur AILES. En sus du soutien financier, le Fonds Mondial nous apporte de l’aide technique. Il nous faut trouver d’autres sources, que nous avons commencé d’ailleurs à faire. Pas évident, car il nous faut environ Rs 2 millions par an. Nous comptons beaucoup sur la National Social Integration Foundation pour nous soutenir après le départ du Global Fund.
Sabrina Quirin

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -