Olympe de Gouges, femme de lettres des Lumières et adversaire résolue du système esclavagiste

par REYNOLDS MICHEL

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Femme de lettres morte guillotinée le 3 novembre 1793 pour ses écrits politiques, ignorée sur deux siècles dans le sillage de la Révolution, Olympe de Gouges (1748-1793) est sortie de l’oubli assez récemment, plus particulièrement lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française en 1989. Connue surtout comme une militante féministe, autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), elle mérite d’être connue tout autant pour sa lutte contre l’esclavagisme que ses idées d’avant-garde. Dramaturge prolifique, elle rédige la première pièce de théâtre français dénonçant le système esclavagiste alors à son apogée.

Femme politique audacieuse et féministe, elle prône de nombreuses réformes en avance sur son temps : la liberté d’expression, l’égalité des sexes, l’instauration du divorce, la défense des femmes qui ont des enfants hors mariage et la reconnaissance des enfants illégitimes, la libre recherche de paternité, la création d’un impôt sur les revenus des plus riches, la distribution des terres en friche à des paysans ou des coopératives, la création de maternités et de foyers solidaires pour les plus démuni-e-s, l’abolition de l’esclavage (actée en 1848) et de la peine de mort (votée en 1981), tout en se disant favorable au mariage des prêtres.

Pressentie pour entrer au Panthéon en 2013, elle est la première femme à avoir son buste à l’Assemblée nationale en 2016.

De Marie Gouze à Olympe de Gouges

Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, est née le 7 mai 1748 à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne. Sa mère, Anne-Olympe Mouisset, est la fille d’un drapier aisé de la ville. Son père légal, Pierre Gouze, exerce le métier de boucher et marchand. Elle serait en réalité l’enfant naturelle et non reconnue de Jean-Jacques Le Franc, marquis de Pompignant, président de la Cour d’Assises de Montauban et poète membre de l’Académie. Marie Gouze a passé toute sa jeunesse à Montauban où elle a appris à lire et développer une passion pour la littérature, particulièrement pour le théâtre. Mariée à 17 ans, le 24 octobre 1765, à un traiteur du nom de Louis-Yves Aubry, de beaucoup son aîné, elle donne naissance, en 1766, à un fils, Pierre Aubry, dont le père décède peu après des suites d’une maladie. La jeune veuve fait alors le projet de rejoindre une de ses deux sœurs à Paris.

En 1770, elle fait la connaissance de Jacques Biétrix de Rozières, riche toulousain dirigeant d’une importante compagnie de transport, venu dans la région pour surveiller les affaires de son père. Elle entame une relation avec lui, acceptant d’être sa compagne tout en refusant sa demande en mariage. Et ce, pour garder, sans doute, sa pleine liberté d’expression et de mouvement par rapport à ses projets littéraires, car un homme pouvait à l’époque empêcher son épouse d’écrire. Mais c’était faire fi, avec une indépendance d’esprit remarquable à cette époque, des rumeurs et commérages la concernant. Ça n’a pas manqué.

En 1773, tous deux décident d’aller s’installer ensemble à Paris : lui pour son travail, elle pour mettre en œuvre ses projets et donner la meilleure éducation à son fils. Elle avait choisi depuis peu de prendre le nom d’Olympe de Gouges, composé du prénom de sa mère, à qui elle vouait une véritable affection, et de son nom de famille orthographié comme dans certains registres d’état-civil de Montauban. Quant à la particule qu’elle ajouta, c’était probablement pour faciliter son entrée dans certains milieux bourgeois et aristocrates de Paris, en vue de servir ses ambitions littéraires qui n’étaient pas médiocres (cf. Eva Cot, 2015 ; Mélanie Wolfe, 2012).

Femmes de lettres aux idées novatrices et abolitionnistes

À Paris, où elle retrouve sa sœur Jeanne, elle fait vite son entrée dans les salons en vue où se côtoient les personnalités influentes de la haute société et de la cour de France comme le duc d’Orléans, tout en recevant chez elle des philosophes, des savants, des écrivains, des artistes à la mode – l’appartenance à la sociabilité mondaine était une ressource importance à cette époque. Avec le soutien moral et financier de son fidèle compagnon Jacques Biétrix de Rozières, elle se lance dans l’écriture, confortée par le dramaturge Jean-Georges Le Franc, qu’elle considérait comme son demi-frère, et peu après par le poète, journaliste et écrivain Louis-Sébastien Mercier. Ce dernier deviendra l’un de ses amis les plus proches tout comme le chevalier Michel de Cubières, auteur de pièces de théâtre et poète. Ambitieuse, ayant la volonté de s’imposer comme une femme de lettres, elle dicte ses pièces de théâtre et autres écrits à un secrétaire, tout en créant sa propre troupe de théâtre amateur.

Au début des années 1780, elle est déjà une personnalité connue, autrice de nombreuses pièces de théâtre. Parmi celles qu’elle a en réserve, elle décide, en 1783, de présenter, au Théâtre-Français, Zamore et Mirza ou l’Heureux Naufrage. La pièce, véritable plaidoyer contre l’esclavage, conte l’histoire de deux esclaves fugitifs, provoque de vives critiques et menaces. Néanmoins, grâce à de puissants appuis, la pièce est inscrite le 28 juin 1785 et approuvée pour être jouée le 8 juillet 1785 après certaines retouches. Finalement, rebaptisée L’Esclavage des Noirs, elle ne sera représentée au Théâtre-Français qu’en décembre 1789, soit après la Révolution. Mais devant les réactions hyper-violentes des propriétaires coloniaux et les pressions financières, la pièce sera retirée de l’affiche au bout de sa troisième représentation, le 2 janvier 1790.

Si Olympe de Gouges a accepté de rebaptiser sa pièce en apportant certaines modifications au texte original (elle a remplacé notamment les Noirs par des Indiens), sa publication est cependant précédée d’un essai-manifeste antiraciste pour l’abolition de l’esclavage, ayant pour titre Réflexions sur les hommes nègres (Février 1788). Entre-temps, elle a publié son Mariage inattendu de Chérubin (1786), qui met la condition féminine au cœur de l’intrigue.

À cette date, Olympe de Gouges est déjà entrée en politique et fourmille d’idées novatrices. Dans sa célèbre Lettre au peuple ou projet d’une caisse patriotique (novembre 1788) et dans ses Remarques patriotiques (décembre 1788), elle appelle à des réformes politiques, économiques et sociales radicales (voir ci-dessus), tout en déplorant l’aveuglement de la monarchie.

Des écrits politiques aux brûlots placardés dans Paris…

L’année suivante, alors que la Révolution monte, Olympe de Gouges, qui défend encore le principe d’une monarchie constitutionnelle, veut être une actrice de l’histoire en cours. Elle s’adresse au censeur royal (le 13 mai, puis le 12 juin 1789) et au duc d’Orléans (le 4 juillet), pour obtenir l’autorisation de publier Journal du Peuple. Elle ambitionne de faire entendre sa voix et avancer ses propositions de réformes, parmi lesquelles : les droits pour les femmes de s’exprimer, de monter à la Tribune – « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » (art. X de sa Déclaration sur les droits des femmes…) – de voter, l’instauration du divorce, l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort. Lors des réunions des États Généraux, elle assiste aux débats de l’Assemblée nationale dans les Tribunes des Jacobins et, faute d’autorisation d’éditer, elle fait imprimer et diffuser des milliers de tracts et d’affiches (cf. France Culture, Série Avoir raison, août 2021).

Dans les années 1790, installée à Auteuil, Olympe de Gouges fréquente les milieux intellectuels d’avant-garde de l’époque : Madame Helvétius qui recevait des savants et intellectuels dans son salon, Nicolas Sophie et le marquis de Condorcet, Fanny de Beauharnais, Jean-Pierre Brissot, l’abbé Grégoire, Mirabeau… À la mort de ce dernier, le 4 avril 1791, elle compose son oraison funèbre, sous forme d’une pièce intitulée Mirabeau aux Champs-Elysées, qu’elle fait représenter au Théâtre-Italien le 16 avril. Le 14 septembre elle publie sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, inclut dans la brochure intitulée Les Droits de la femme adressée à la reine Marie Antoinette (1791). C’est le premier texte juridique évoquant l’égalité des sexes et proclamant le droit des femmes à devenir des citoyennes égales aux hommes en matière civile et politique.

Modérée, opposée à toute forme d’engagement violent, Olympe de Gouges rejoint en septembre 1792 le mouvement des Girondins. Hostile à toute dérive despotique, elle dénonce et condamne de plus en plus fort le régime de la Terreur. Le 20 juillet 1793, elle signe une affiche contre Robespierre et Marat qu’elle accuse d’être responsable des effusions de sang. Elle est arrêtée et emprisonnée. Accusée d’injures envers les représentants du peuple et de publications contre-révolutionnaires, elle comparait, le 2 novembre, devant le Tribunal révolutionnaire et elle est guillotinée le 3 novembre devant la foule sur l’actuelle place de la Concorde. Elle a eu le droit de monter sur l’échafaud mais pas à la tribune !

Sévèrement jugée par la « majorité morale » de temps – courtisane, prostituée, hystérique, virago (mi-homme, mi-femme), anti-républicaine – puis « victime pendant près de deux siècles d’intellectuels misogynes qui la peignent comme illettrée et exaltée » (Mélanie Wolfe), elle a été redécouverte et réhabilitée dans les années 1980 – par l’historien Olivier Blanc, Benoîte Groult et d’autres féministes – comme une femme des Lumières, belle figure d’exception pour son engagement politique dans la durée et surtout pour ses positions d’avant-garde, courageusement exprimées sur la condition des Noirs et celle des femmes (Olivier Blanc)

 

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