Le dilemme du prisonnier 

Dix-sept ans. C’est le temps maximum qu’il nous reste, dans les visions les plus optimistes, contre sept petites années à l’autre extrémité. Autant dire, dans un cas comme dans l’autre, le temps d’un battement d’ailes de papillon à l’échelle de l’humanité. Mais le temps pour faire quoi ? Eh bien pour inverser la vapeur afin de rester sous le seuil critique des +1,5 °C de réchauffement climatique par rapport à l’ère préindustrielle. Et sachant que 2023 a déjà atteint tous les records de chaleur, avec un peu glorieux +1,4 °C, et tenant en compte qu’il nous reste encore deux longs mois avant que l’année tire sa révérence, il va sans dire que le temps presse peut-être plus que nous le pensons.

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Oui, mais que faire ? En gros, tout le monde l’a compris, il s’agit avant tout de réduire nos émissions de gaz à effets de serre. Ce qui s’avère être un exercice périlleux dans un monde encore largement dominé par l’énergie fossile… carburant sine qua non de nos usines, de notre transport, etc., et donc de notre économie et de tous les services publics qui en découlent. Autant dire, pour schématiser, que le maintien de notre tissu social tient essentiellement au pétrole, au charbon et au gaz. Dès lors, impossible en l’état de se débarrasser de l’un sans affecter l’autre. À moins bien entendu d’un changement radical de système de production et de consommation.

Aussi, puisqu’il semble que l’on ait déjà écarté cette dernière option – extrême, certes, mais surtout combien douloureuse –, ne reste plus que l’idée de la transition énergétique. Mais là aussi, c’est loin d’être simple, car si cette nécessité est (quasi) unanimement reconnue, le débat est loin d’être clos, tant cela impliquerait de mesures draconiennes. D’ailleurs, en avons-nous encore le temps ? Certes, 17 ans peuvent paraître beaucoup. Sauf que, ramenée à l’échelle politique, la marge de manœuvre apparaît déjà beaucoup plus mince. Changer de modèle et construire un nouveau monde, énergétique et économique, en moins de 20 ans semble même carrément hors de portée au niveau planétaire.

À vrai dire, que l’on choisisse l’option de la transition ou du changement de modèle sociétal, la problématique reste la même : nous sommes loin d’être prêts à une telle révolution. Comment, en effet, imaginer que l’on puisse passer en un laps de temps si court d’une part de 82% de combustibles fossiles dans le bouquet énergétique mondial à 0% en 20 ans ? Sans compter qu’il nous faudrait remplacer cette perte énergétique par du renouvelable, ce qui là aussi paraît impossible puisqu’il s’agit d’une transition. Ajoutons que pendant ce temps la demande mondiale en pétrole et en charbon continuera forcément de croître – puisque couplée à la démographie mondiale, en hausse également –, et la voie apparaît cette fois clairement sans issue.

En vérité, nous avons plusieurs fois raté le coche. Il y a 50 ans déjà, lorsque Dennis Meadows et consorts nous prévenaient que notre monde ne pouvait éternellement emprunter la trajectoire d’une croissance soutenue, sachant que celle-ci s’appuie sur des ressources non extensibles et non renouvelables, et donc tendant à se raréfier de plus en plus. Mais aussi il y a 30 ans, quand les scientifiques commençaient à nous mettre en garde sur les dangers de l’effet de serre. Puis, enfin, plus près de nous, lorsque, conscients du problème, nous n’avons cessé de tergiverser sur la question et de prendre les mauvaises décisions. Avec pour résultat aujourd’hui de voir, certes, l’énergie renouvelable progresser, mais aussi le non renouvelable, et cette fois à un rythme accéléré.

Enfin, comment espérer convaincre le monde entier d’accélérer le pas dans la direction de la transition énergétique ? D’autant que nous sommes loin d’être tous logés à la même enseigne. Entre les pays consommateurs, comme ceux de l’Union européenne (et accessoirement Maurice) et les pays producteurs, on comprend que les intérêts ne sont pas les mêmes. À l’exemple de l’Arabie Saoudite, qui tire 70% de ses revenus de l’exportation de ses énergies fossiles, ou encore de l’Irak, pour sa part carrément à hauteur de 100%.

En d’autres termes, les nations se retrouvent, selon leur position dans l’échiquier, comme prises en étau. C’est ce qu’on appelle le « Dilemme du Prisonnier », jeu qui pousse à la trahison plutôt qu’à la coopération, alors que cette dernière option, bien plus sage, est la moins contraignante. En l’occurrence, dans la conjoncture, il s’agit de choisir entre nos intérêts personnels immédiats et la sauvegarde sur le long terme de l’humanité. La sagesse n’étant pas la qualité première de notre espèce, autant dire que la partie paraît perdue d’avance.

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