Rencontre : Lorenza Jean Elizabeth,107 ans, libre et sans fers

Grâce à son mari, Pierre-Michel Elizabeth, Lorenza Elizabeth, née Jean, et âgée aujourd’hui de 107 ans, a eu pour ancêtre Elisa Elisabeth. Cette dernière était une apprentie du gouvernement, titre obtenu après l’adoption, en 1807, de l’acte d’abolition de la traite des esclaves en Grande-Bretagne. La famille de Lorenza Jean Elizabeth se bat aujourd’hui pour reprendre possession des biens ayant appartenu à leur ancêtre. Le-Mauricien a rencontré la doyenne, Lorenza, ses deux fils, Marc et Nicolas, et sa fille Lauren. À 107 ans, Lorenza n’a plus que quelques flashs en mémoire, mais son regard vif et sa foi en Dieu, dont elle chante les louanges, et ses gestes affectueux vont droit au cœur.
Petit bout de femme, avec un joli vernis rose posé sur les ongles, Lorenza Jean Elizabeth incarne le rayonnement solaire. Malgré des oublis dus à son grand âge, dès que le photographe se met à la filmer, elle s’écrie : « Je me vois dans la caméra. Je m’appelle Lorenza Jean. »

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Désignant son fils, Marc, elle poursuit : « C’est Octave, mon petit frère. Zot pa le krwar ! Mon mari, il y a longtemps, s’appelait Michel Elisabeth. Mo’nn vie aster, mo ena boukou zanfan, 11 ! Ziska aster mo ankor travay. » Avant d’entonner son chant préféré, qu’elle fredonne de sa voix berçante, Oui devant Dieu … Nous lançant des baisers à la volée de sa petite main frêle, suivis d’un « Je t’aime », signe de sa reconnaissance.

Ses fils, Marc et Nicolas, sourient devant un tel bonheur. Certes, leur mère n’a plus les idées claires, mais de la voir ainsi heureuse en leur présence les réconforte. Lauren, la fille de Lorenza, parle de sa mère comme d’une rude travailleuse. « Li ti travay lotel dite Port-Louis, li’nn netway 30 pies par zour ar bros koko. » Lorenza marchait de Vacoas à Candos pour rendre visite à Jean Noé Elizabeth, un de ses fils, aujourd’hui décédé des suites d’un problème de moelle osseuse.

Nicolas, son autre fils, raconte que sa mère a travaillé au Parlement. « C’était l’époque de l’installation des premières toilettes européennes. Elle a aussi travaillé avec ses patrons de l’époque pour le compte d’un des gouverneurs, un Anglais, en étant à la fois cuisinière et bonne à tout faire. »

Le mari de Lorenza, Pierre-Michel, était tailleur de pierres et originaire de Mahébourg, tandis que Lorenza, native de Souillac et née le 23 septembre 1916, réside depuis à Cité Mangalkhan, Floréal. De cette union naîtront 11 enfants : l’aîné, Georges Raymond (1939,) Claude Michel (1941), Jean Noe (1942), Luc Marc (1945), les jumeaux Françoise et François (1947), Marie Geneviève Isabelle, dont on a oublié de mettre le surnom, Elizabeth (1948), et qui après son mariage a émigré en Allemagne. Puis Marie Danielle Elizabeth (1952), installée après son mariage en France avec son mari, un dénommé Nierengarten, Marie Bernadette Monette (1953), Lauren (1956) et Nicolas Elisabeth, seul portant le nom exact de son ancêtre (1961).

Lauren raconte que leur père avait l’habitude avec sa mère d’emmener tous les enfants au cinéma. Nicolas, le petit dernier, le préféré de la tribu, se revoit vivant dans une case en pailles à Saint-Paul, et qu’on l’avait mis enfant dans un sac de jute pour l’évacuer vers un autre abri lors du passage du cyclone Carol. « Sel memwar anfans mo ena. Maman Lorenza bien kontan manz brinzel. Elle a toujours été proche de sa famille, de son frère, Octave Jean. Pour la petite histoire, pour Marie Geneviève Isabelle, ma propre sœur, on a omis de mettre son surnom sur son acte de naissance. Selon les explications que j’ai eues, l’erreur viendrait de l’officier de l’état civil. Autre erreur : je suis le seul membre de la famille à porter le surnom de mon ancêtre, Elisabeth, avec un S (Elisabeth, Ndlr), alors que les autres membres de la famille portent un Z (Elizabeth). Un autre signe du destin pour s’accrocher. »

L’arbre généalogique de Pierre-Michel et Lorenza Elizabeth est incontournable au Musée de l’esclavage intercontinental. L’ancêtre de Pierre-Michel, Elisa Elisabeth, faisait partie des captives saisies à bord de navires de traite par la Royal Navy britannique et placée sous la couronne britannique comme apprentie du gouvernement. Nicolas raconte que le mari d’Elisa a été tué dans une embuscade à Madagascar. Elisa, alors enceinte d’Eugénie, est venue par bateau à Maurice.
Eugénie est née en 1825, et de là, Eugénie a donné naissance à Jean-Jacques, en 1846. Eugénie, non mariée, est morte en 1859 à l’âge de 34 ans. Le petit-fils d’Elisa, Jean-Jacques, est, lui, décédé en 1901.

Le droit légitime des descendants d’esclaves

Nicolas Elisabeth montre l’acte de décès de son ancêtre, Elisa, née en 1805 à Madagascar et morte à 62 ans à Camp Lascar, le 7 avril 1867, sous le statut de femme célibataire, vu qu’elle était considérée comme non mariée par l’État Civil. Son affranchissement a été reconnu publiquement à Port-Louis le 25 mai 1835. Depuis, elle a résidé à Curepipe en embrassant une carrière de couturière. Par son travail de forcenée, Elisa Elisabeth aura acquis plusieurs biens, dont des terrains. Terrains pour lesquels la descendance de Lorenza Jean Elizabeth se bat encore aujourd’hui pour faire reconnaître ses droits.
Pierre-Michel Elisabeth, le mari de Lorenza, a pour sa part été le premier descendant de la lignée d’Elisa Elisabeth grâce à son père Rosidor Elisabeth, un forgeron marié à Emma Emile de Grand-Port en 1900. Le combat pour leurs droits a démarré le jour où Marc a vu son père, Pierre-Michel, lire une annonce dans le journal Advance, en s’exclamant : « Mo finn perdi enn later Mahébourg. »

Ce déclic hantera longtemps la mémoire de Marc. Lorsque l’État lui téléphone pour rechercher un certain Pierre-Michel Elisabeth, il comprend que des terres de son ancêtre appartiennent à sa famille. Nicolas Elisabeth soutient pour sa part que c’est la Commission Justice et Vérité qui l’a incité à poursuivre des démarches.
Avec l’aide de Stephan Karghoo, directeur du Centre Nelson Mandela for African Culture Trust Fund, ils parviennent à établir l’arbre généalogique de leur ancêtre, Elisa, et font une intéressante découverte, à savoir qu’Elisa Elisabeth avait acheté le 28 mai 1841 une portion de terres de 2 arpents et 85 perches dans les Plaines-Wilhems. Bien que l’origine de la dépossession de leurs terres soit encore inconnue, ils ont heureusement pu récupérer cette portion de terrain des Plaines-Wilhems.

La famille a aussi découvert qu’Elisa avait aussi acquis d’autres portions de terrains ailleurs, notamment à Trou-aux-Cerfs, Saint-Pierre et Mahébourg. Marc Elizabeth dit ainsi avoir perdu deux arpents de terre à la suite d’une prescription par quelqu’un ne détenant aucun droit de propriété du terrain de La-Caverne. « Jusqu’à l’heure, nous n’avions eu aucun droit dessus. Nou bann eritie Elisa Elisabeth e nou rasinn remont depi Madagascar. » Et Nicolas d’intervenir : « Nous sommes originaires de la tribu makua de Madagascar, qui existe toujours et que nous avons découvert grâce au Centre Nelson Mandela. »

Nicolas, racontant une anecdote, explique qu’enfant, il faisait l’école buissonnière et s’était retrouvé à maintes reprises rue Abattoir, sur la tombe de ses deux ancêtres, Elisa et sa fille Eugénie. « Je ne savais rien d’eux, ni même qu’il s’agissait de mes descendants, et encore moins mon terrain. Je fréquentais alors l’école Notre Dame de la Visitation et j’habitais à Cité Mangalkhan. Je ne connaissais pas cet endroit. Mo ti kontan vinn kas frez. Bien des années après, quand nous avons procédé à des fouilles sur ce terrain, je me suis dit que mon destin était dans ce lieu. J’ai même eu un artefact, une chaîne d’esclave. »
4Nicolas évoque également le rapport d’arpentage contenant la description d’une portion de terre à Trou-aux-Cerfs, dans le district des Plaines-Wilhems. Un terrain qui, dit-il, sème la confusion. « Comment se fait-il que, malgré le fait que ma famille possède un terrain de 2 arpents et 85 perches à Vacoas, le papier que j’ai en main stipule qu’on a arpenté un terrain de 2 arpents et 85 perches à Trou-aux-Cerfs à la requête des héritiers d’Elisa Elisabeth ? Li inposib enn sel kontra pou sa 2 porsion-la. Sak terin ena enn sif pou identifie li, me pou Trou-aux-Cerfs, mo pa konpran. D’autant plus que les deux ont le même chiffre. Aux dernières nouvelles, j’ai lu dans un journal que le terrain était à vendre », revendique-t-il.

En ce qui concerne le terrain de la rue de l’Abattoir, il dira : « mo pe atann ki lapersonn kinn preskrir terin-la repros so leker e ki li al retir so lanrezistreman. Tout aurait pu se faire à l’amiable sans passer par une Cour de justice, car nous avons agi dans la transparence et la légalité de nos droits en tant que descendants légitimes d’Elisa Elisabeth. » Le combat continue pour la famille Elizabeth pour récupérer ses biens, tout en étant porteur d’espoir pour ceux qui, comme eux, veulent connaître leurs ancêtres et récupérer ce qui leur revient.

« Leritaz istorik fami Elisabeth » continuera de perdurer dans les mémoires des Mauriciens à travers le Musée intercontinental de l’esclavage. Surtout qu’à ce jour, la lignée d’Elisa Elisabeth s’étend sur plus de cinq générations. Lorenza Jean Elizabeth, la doyenne de 107 ans, marque aussi les mémoires. Si pour certains, il ne fait pas beau d’être vieux, pour Lorenza Jean Elizabeth, il en est autrement. Elle entre dans l’histoire grâce à l’ancêtre de son mari, Elisa, une esclave affranchie, mais qui aura su relever la tête par son dur labeur, qui porte aujourd’hui ses fruits…

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