Cour Suprême : l’article 250 (1) du Code Pénal de 1838 décrété anticonstitutionnel

Les juges Chan et Gunesh-Balaghee tranchent en faveur de Ridwan Ah Seek du Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) pour éliminer toute discrimination à l’encontre de la communauté LGBTQ

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Le groupe des cinq contestataires mené par Ridwaan Ah Seek, président du Collectif Arc-en-Ciel (CAEC), contestant la constitutionnalité de l’article 250 (1) du Code Pénal condamnant la sodomie entre adultes consentants, a obtenu gain de cause, hier, devant la Cour suprême. Les juges David Chan Kan Cheong et Karuna Gunesh-Balaghee ont conclu que l’article 250(1) du Criminal Code a un effet discriminatoire à l’égard des plaignants et viole l’article 16 de la Constitution dans la mesure où il criminalise la seule manière naturelle pour les homosexuels d’avoir des relations sexuelles, alors que les hétérosexuels ont le droit d’avoir des relations sexuelles d’une manière qui leur est naturelle. « We, accordingly, declare that section 250(1) of the Criminal Code is unconstitutional and violates section 16 of the Constitution in so far as it prohibits consensual acts of sodomy between consenting male adults in private and should accordingly be read so as to exclude such consensual acts from the ambit of section 250(1) », concluent les deux juges de la Cour suprême en éliminant toute discrimination à l’encontre de la communauté LGBTQ.
En effet, Ridwaan Ah Seek aussi bien que Najeeb Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Imesh Fallee et Jurgen Lasavanne avaient initié cette plainte constitutionnelle contre l’État en 2019 en mettant en avant que l’article 250 du Code Pénal, qui prévoit le délit de sodomie et criminalise les relations sexuelles anales entre adultes de sexe masculin consentants en privé, est anticonstitutionnel. Cette disposition légale est en violation de plusieurs clauses de la Constitution notamment Nos 3 et 5, protégeant le droit à la liberté, l’article 7, énonçant le principe de proportionnalité et protégeant contre les traitements inhumains et dégradants, les articles 3 et 9, garantissant le droit à la vie privée de l’individu et de son domicile, les articles 3 et 12, ayant trait à la liberté d’expression, les articles 3 et 13 relativement à la liberté de réunion et d’association et les articles 3 et 16, assurant contre la discrimination.
L’activiste du CAEC avait soumis par le biais de ses conseils légaux, Me Gavin Glover, Senior Counsel, Me Yanilla Moonshiram, Me Tim Otty KC et Me Komadhi Mardemootoo (avouée), avait engagé cette démarche car il est homosexuel et fait partie de la communauté LGBT. De ce fait, il est directement concerné par l’article 250(1), criminalisant un acte commis en privé entre deux adultes de sexe masculin consentants. Il avait déclaré que, même si le fait d’être homosexuel n’est pas illégal en soi à Maurice, l’acte de sodomie, qui est une expression de l’amour entre deux hommes, constitue un délit.
Il affirme bien que les actes d’intimité sexuelle entre lui et son partenaire soient consensuels et menés en privé, il vit dans la peur constante d’être arrêté car l’article 250(1) du Code pénal interdit légalement les actes d’intimité sexuelle entre hommes à Maurice et que cela constituait une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Les juges Chan Kan Cheong et Gunesh-Balaghee ont pris en compte que Ridwaan Ah Seek allègue que l’article 250(1) du Code Pénal est discriminatoire à son égard en raison de son orientation sexuelle en vertu de l’article 16 de la Constitution.
D’emblée, ils ont noté que l’orientation sexuelle ne fait pas partie des motifs de discrimination énumérés à l’article 16.
Ils ont néanmoins tranché que l’argument du plaignant, qui est soutenu dans une certaine mesure par le représentant légal du Directeur des Poursuites Publiques, basé sur l’adhésion de Maurice à l’International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) et sur l’interprétation du United Nations Human Rights Committee (UNHRC) selon laquelle le « sexe » inclut « orientation sexuelle », est puissant et convaincant.
« Since Mauritius has acceded to the ICCPR, it has accepted to adhere to international norms and standards regarding the fundamental rights and freedoms the ICCPR provides for and that interpreting “sex” as including “sexual orientation” in section 16 of our Constitution would be in conformity with the standard canon of constitutional interpretation which requires, where possible, that our constitutional provisions be interpreted in line with our international obligations », font ressortir les juges. Ces derniers soulignent s’il faut prouver que la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est reconnue comme une nécessité, la meilleure preuve n’est fournie que par l’Etat, qui a affirmé en décembre 2008, qu’il avait ratifié avec 66 autres pays une déclaration prononcée à l’Assemblée générale des Nations Unies au sujet des droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genres.

Le jugement met en avant que l’État mauricien a soutenu la résolution sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genres, adoptée le 17 juin 2011 par la 17e session du Conseil des droits de l’homme, affirmant l’universalité des droits de l’homme et exprimant sa préoccupation face aux actes de violence et de discrimination fondés sur l’orientation sexuelle.

« It is of course open to the legislature to pass a law to amend section 250(1) of the Criminal Code and the defendant has given notice of its intention to do so in order to address the concerns of the LGBT community. But it has so far failed to do so in spite of its avowed intention and its undertaking before international fora to this effect », font ressortir les attendus du jugement.

Les juges font comprendre qu’il va sans dire que le rôle de la Cour suprême n’est pas de légiférer mais d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la Constitution. Ils ont accepté le témoignage de Ridwaan Ah Seek, selon lequel son orientation sexuelle est naturelle et innée en lui et qu’elle ne peut être modifiée, constituant une variante naturelle de sa sexualité.

« Même si l’article 250(1) s’applique à tous les hommes, il prive en réalité le plaignant, en tant qu’homosexuel, du droit à l’expression et à la gratification sexuelles de la seule manière qui lui est disponible, c’est-à-dire par voie anale, alors que les hétérosexuels ont le droit à l’expression sexuelle d’une manière qui leur est naturelle, c’est-à-dire par rapport vaginal », affirment les juges. Abordant le tissu socioculturel et religieux de la société mauricienne, les juges mettent en avant que Maurice est un État laïc et que l’article 11 de la Constitution prévoit la protection de la liberté de conscience, qui inclut la liberté de pensée et de religion et pour qu’une ingérence soit raisonnablement justifiable dans une société démocratique, elle doit poursuivre un objectif légitime.

Les juges ont aussi retenu l’argument des hommes de loi de Ridwaan Ah Seek faisant ressortir qu’étant donné que l’État a lui-même reconnu, à travers l’adoption des lois, qu’il est injuste de discriminer en raison de l’orientation sexuelle, il doit à fortiori être illégitime de discriminer des personnes sur la base de leur orientation sexuelle en référence à l’expression des aspects les plus privés et les plus intimes de leur identité, à savoir la manière dont ils choisissent d’avoir des rapports sexuels.

Abdool Ridwan Firaas (Ryan) Ah Seek, militant des droits de l’homme LGBT, avait intenté une action en justice afin de faire abroger cette loi discriminatoire, datant de 1838 et vestige de l’ère coloniale, érigeant en infraction les relations sexuelles entre hommes de même sexe, passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Pour les besoins de cette démarche au nom du respect des droits fondamentaux, il avait bénéficié du soutien de Human Dignity Trust, Tim Otty KC, fondateur de Human Dignity Trust, et Herbert Smith Freehills.
A ce jour, 65 pays dans le monde criminalisent encore les personnes LGBT. Aujourd’hui, Maurice rejoint d’autres nations africaines telles que le Botswana, l’Afrique du Sud et les Seychelles, qui ont courageusement supprimé de leurs livres de loi des dispositions pénales obsolètes datant de l’époque coloniale.

Réactions
Ryan Ah SeeK : « Une longue bataille et un énorme soulagement »

« Ce fut une longue bataille et recevoir ce jugement en ma faveur est un énorme soulagement. À partir d’aujourd’hui, en tant que citoyen et être humain, je suis désormais libre d’aimer qui je veux sans crainte. Par-dessus tout, cela signifie également que les prochaines générations pourront pleinement et librement assumer leur sexualité sans craindre d’être arrêtées. Cette victoire est sans aucun doute un pas important vers l’inclusion totale de notre communauté dans la société mauricienne. « Je tiens à exprimer ma gratitude à mon équipe juridique. Je suis également très reconnaissant au Collectif Arc-en-Ciel et au Human Dignity Trust pour leur soutien au cours des trois dernières années. Il s’agit d’une victoire collective ».

Dimitry Ah-Yu, Collectif Arc-en-Ciel : « Historique car cet article 250 date de 1838 »
« Nous sommes ravis d’avoir soutenu Ryan, son équipe juridique locale et le Collectif Arc-en-Ciel dans cette affaire historique et nous les félicitons d’avoir fait de l’île Maurice un endroit meilleur pour tous les citoyens. C’est un jour historique pour notre organisation et pour l’ensemble de la communauté LGBT à Maurice. Le changement social prend du temps. N’oublions pas que l’article 250 date de 1838 !
« Nous saluons Ryan Ah Seek pour son courage et la Cour suprême pour avoir choisi l’inclusion et les droits de l’homme plutôt que le conservatisme et la réprobation. Au CAEC, nous pensons que c’est une responsabilité collective de s’opposer à la discrimination et de défendre les droits humains fondamentaux ».

Téa Braun, Human Dignity Trust : « Maurice, un endroit meilleur pour tous les citoyens »

« Nous sommes ravis d’avoir soutenu Ryan, son équipe juridique locale et le Collectif Arc-en-Ciel dans cette affaire historique et nous les félicitons d’avoir fait de l’île Maurice un endroit meilleur pour tous les citoyens. Cette décision fait enfin tomber 185 ans de stigmatisation des personnes LGBT à Maurice, sanctionnée par l’État, et envoie un autre message important aux pays qui criminalisent encore en Afrique et ailleurs : ces lois doivent disparaître. »

Me Balgobin-Bhoyrul, Bar Council : « Pas historique vers le respect
des droits fondamentaux.»

« Nous nous réjouissons de cette victoire et sommes extrêmement heureux de notre engagement dans cette affaire.  L’île Maurice ne peut se prétendre une nation arc-en-ciel si elle n’est pas prête à accueillir toutes les différences qui composent le peuple mauricien. Cette loi en particulier portait atteinte à la notion de nation inclusive, et aujourd’hui représente un pas historique vers le respect des droits fondamentaux.
« Ce jugement sans précédent marque un tournant significatif dans la protection et la reconnaissance des droits de la communauté LGBT à l’île Maurice. Dentons s’engage à continuer à soutenir et à défendre les droits de l’ensemble des individus, sans distinction d’orientation sexuelle.  Nous continuerons à favoriser la diversité et l’inclusion à l’échelle nationale, pour une société où chaque individu est respecté et reconnu, quelle que soit son orientation sexuelle. »

Me Sandy Christ Bhaganooa : « Une avancée majeure »
« C’est une avancée majeure pour la reconnaissance des droits humains à Maurice. Le droit de ne pas subir des discriminations et le droit au respect de la vie privée doivent demeurer des remparts inébranlables. »

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