Reportage : de virulents et toxiques mélanges d’héroïne font des ravages sur le terrain

Des produits stimulants, voire toxiques, sont mélangés à la drogue injectable répandue dans des régions touchées par le phénomène de la marginalité. Les violents effets et le manque agressif causés font craindre le pire. Cette réalité du terrain, qui s'apparente à un voyage au bout de l'enfer à l'aide de seringues, contraste avec le discours officiel, se félicitant d’une campagne nationale contre la drogue. Dont les impacts réels se révèlent inexistants dans de nombreuses localités où perdure le trafic.

« Il n’y a que ça partout », relate Brian Jean-François* en effleurant les plaies ouvertes qui recouvrent le haut de ses lèvres. Un des effets secondaires des substances mélangées à de l’héroïne, qu’il s’injecte à plusieurs reprises chaque jour.

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« Ce nouveau produit circule depuis environ neuf mois à Richelieu », ajoute-t-il. Une localité, semble-t-il, délaissée et où d’honnêtes gens vivent depuis des décennies parmi l’omniprésence du trafic de drogue et de ses victimes.

Autour de Brian Jean-François, une vingtaine d’autres usagers de drogues injectables ont gagné cette intersection de Richelieu, minée par la pauvreté.

En cette fin d’après-midi, des caravanes des Ong Collectif Urgence Toxida (CUT) et AILES tiennent des programmes d’échanges de seringues (voir hors-texte) et de dépistage (VIH, syphilis et hépatites), destinés à endiguer la propagation de virus par voie intraveineuse.

« Il y avait beaucoup plus de gens plus tôt », témoigne Jamie Cartick, Manager chez CUT.

Dans les régions comme celle-ci, à la périphérie de Port-Louis, le trafic et la consommation de substances illicites représentent un Trade Mark. Ce, malgré la campagne nationale contre la drogue, initiée par le gouvernement. Une action dont l’absence d’impact sur le terrain fait craindre le pire pour les mois à venir.

Car hormis la drogue synthétique, largement répandue, les nouveaux produits mélangés à de l’héroïne font déjà des ravages incommensurables. « Les effets sont plus puissants que l’héroïne normale », confie Brian Jean-François. « Et quand les gens sont en manque, ils deviennent plus agressifs. »

Ki ete sa ?

En l’absence d’analyses scientifiques, impossible à ce stade de déterminer quels produits sont mélangés à la poudre blanche. Laquelle se consomme par voie intraveineuse après avoir été chauffée et liquéfiée – généralement à l’aide d’une cuillère et d’une bougie.

Les usagers de drogues injectables retrouvent ainsi « des sortes de cristaux » dont le prix de la dose varie entre Rs 200 et Rs 500, voire plus dépendant de la région et de la quantité.

Certains parlent de « kétamine » qui, si mal dosée, peut se révéler fatale. Alors que les récentes saisies policières (voir hors texte) mènent à penser qu’il s’agirait en fait de méthamphétamine.

Un fait demeure : ces mélanges ont investi l’ensemble des régions à la périphérie de la capitale, qui abrite le port par lequel sont acheminées les drogues dures – comme déterminé lors des confinements durant lesquels l’aéroport était clos.

« Les dealers mélangent de l’héroïne à de la meth, et ils manipulent le dosage », estime Brian Jean-François. « Parfois, l’effet d’une dose est plus fort. D’autrefois, il est plus faible », note-t-il, en ajoutant que « mo’nn anvi aret enn fwa avek sa ».

Hormis les effets plus intenses de ces produits, les substances combinées stimulent les consommateurs.

« J’ai des vertiges avec et je ressens un boost d’adrénaline », explique Ram Sewpaul*, approché à Cité-Kennedy, dans les Plaines-Wilhems. « Mo ti pe manz li a lepok. Maintenant, je sais quand j’en ai reçu ».

Cet impact stimulant se révèle si puissant que des consommateurs disent perdre le sommeil. Pour plusieurs heures, voire des jours entiers.

« Il y a des gens qui ne dorment pas pendant trois jours », indique Connie César, Peer Educator chez CUT, en consultant l’épais carnet recueillant plus de 3 000 noms de bénéficiaires du programme d’échange de seringues. Un document parmi tant d’autres.

Non destinées à l’injection, ces substances mélangées à l’héroïne marquent les corps de cloques et de plaies ouvertes. Les visages, les bras et les jambes, entre autres, présentent des blessures, parfois pullulant.

« La substance cherche une place pour sortir du corps », détermine John Furlong, 62 ans, Peer Educator et Health Care Assistant chez CUT. « Ces produits ne sont pas faits pour être injectés », devait-il avertir.

Cet après-midi, les usagers de drogue se pressent aux abords de la caravane qui circule à travers les ruelles de Cité Beau-Séjour, Cité-Bassin et Cité-Kennedy. Seringues, aiguilles et Swab d’alcool sont remis à ceux enregistrés auprès de l’Ong.

Le Health Care Assistant soigne également les plaies avec de l’eau oxygénée, du Dettol et de la Betadine, des désinfectants. « Puis je recouvre la blessure d’un bandage que je change après trois jours », dit-il.

Difficile dans les Plaines-Wilhems de retracer les consommateurs de ces nouvelles substances, leur disponibilité restant moindre qu’en la capitale. Au centre de l’île, la consommation tend majoritairement – pour l’heure – vers la drogue synthétique et l’héroïne.

« Gagn zis tou kominote »

« Puis-je m’enregistrer ? », demande un jeune, la vingtaine, qui se présente timidement à la fenêtre de la fourgonnette, à Cité-Kennedy. Sur le terrain, des adolescents sombrent toujours dans la drogue.

« Les chiffres sont tout le temps en hausse », relève Jamie Cartick, appuyée à un mur de Richelieu.

Les usagers de drogue n’ont plus de profil spécifique. Des pères de famille aux cheveux grisonnants approchent pour récupérer des seringues pour eux-mêmes et leurs fils. Des bandes de jeunes s’inquiètent des petites aiguilles remises.

Des employés de multiples professions comme des traser en tous genres (cueilleur de fruits, vendeurs de métaux) portant du linge vétuste… Tous patientent en vue de se faire dépister. À l’instar d’un groupe de femmes bavardant aux abords de la caravane.

« Gagn zis tou kominote », résume John Furlong, en préparant des lots de seringues.

Dans des régions entières, le trafic de drogue se tient à la vue de tous, accoutumés aux regroupements dans des intersections. Souvent, des dealers.

Comme ce mince jeune homme qui, après avoir reçu des billets d’un groupe de clients, disparaît sur un terrain en friche. Avant d’en émerger quelques minutes plus tard pour serrer la main de ceux venus lui payer. Vous avez tout compris…

« Beaucoup d’usagers de drogue ne savent même pas que cette campagne nationale contre la drogue se déroule. La plupart d’entre eux n’ont pas de téléphone ou de connexion à Internet », souligne la Peer Educator Connie César. « En plus, ils ne vont pas rentrer chez eux pour regarder la télévision. »

Sur le terrain, l’absence totale d’impact de l’action gouvernementale récente n’étonne guère.

D’autant que le trafic de drogue a connu de complexes structurations dans des régions. Des communautés entières, par manque de soutien des autorités, ont élevé les trafiquants au rang de bienfaiteurs. Ces derniers leur apportent un appui financier conséquent – parfois vital.

Des familles dépendent désormais de cette économie noire, qui crée une multitude de « métiers ». Allant de petits dealers aux gardiens de drogue – des gens lambda pour ne pas éveiller les soupçons de la police -, qui stockent en leur domicile des substances illicites.

Ou encore, des piker, soit des guetteurs, postés à des points stratégiques de zones à haut trafic, payés Rs 1 000 à Rs 1 500 par jour, dépendant de la région.

« Nepli kriye krapo aster. Gagn lamerdman », indique un travailleur social, en parlant des termes utilisés par les guetteurs pour signaler la présence de la police dans les environs.

Malgré les rondes récurrentes, de même que les descentes et saisies « fructueuses », dont se félicite la force policière, le trafic de drogue prospère.

Les principales victimes demeurent des familles. De génération en génération, elles sont soumises à un environnement où la consommation de drogue est devenue chose normale. « Je ne peux pas avoir plus d’aiguilles pour mon autre garçon ? », demande un vieil homme.

Dans une mince allée bordée de tôles et de briques, sa frêle silhouette disparaît, bredouille.

En tout cas, l’ambiance dans ces régions contraste avec le mood bon enfant de la campagne de mobilisation nationale de lutte contre la prolifération de la drogue…


Hausse de meth


En 2017, Scope Magazine, qui revenait sur l’inefficacité des saisies policières sur le trafic de drogue, avait consacré un dossier sur l’introduction de la méthamphétamine sur le marché, en petite quantité.
Kunal Naik (Harm Reduction and Drug Policy Advisor) avertissait alors des risques de propagation de cette drogue, fabriquée dans des laboratoires clandestins à l’étranger et hautement addictive. À cette époque, seul un secteur niche avait accès à ce produit, qui se fume.
Désormais, les saisies policières témoignent de la disponibilité de la méthamphétamine à grande échelle. La dernière conséquente a eu lieu le 26 septembre à Cité-la-Cure, dans la région port-louisienne. Estimés à Rs 2,5 millions, 164 grammes de cette drogue ont été saisis par la Special Striking Team de l’ASP Jagai chez un peintre de 20 ans. La pureté du produit a été estimée par la police à « 80% ».


L’aspect humain de l’échange de seringues

Le programme d’échanges de seringues permet non seulement de prévenir la propagation de maladies et virus par voie intraveineuse. Avec le contact établi par les travailleurs sociaux, une approche humaine est entretenue avec les usagers de drogue. Usuellement abandonnés à leur sort, ils obtiennent ainsi une écoute vitale et des épaules pouvant aider ceux souhaitant arrêter de s’injecter. Ces derniers peuvent être redirigés vers la méthadone.
Ainsi, par semaine, les bénéficiaires de ce programme reçoivent dix seringues, des aiguilles et des Swabs d’alcool. Un nombre qui se révèle souvent insuffisant pour sept jours. Un trafic a alors lieu parmi les usagers de drogue. Une seringue se vend ces derniers temps à Rs 25, dépendant des régions. À savoir que grâce aux articles 14 à 16 de la HIV/AIDS Act, les bénéficiaires de ce programme (détenteurs d’une carte) peuvent avoir en leur possession des seringues. Ce qui constitue un délit en d’autres cas.


« Kan pou gagn long zegwi ? »

La disponibilité de « petites aiguilles » uniquement exaspère. Beaucoup d’usagers de drogue s’enquièrent « kan pou gagn long zegwi ? ». Ces équipements sont mis à la disposition des Ong par le ministère de la Santé. Or, depuis quelque temps, les longues aiguilles manquent.
Au fil des injections, les veines des usagers de drogues s’affaissent et sont plus difficilement détectables. Les longues aiguilles permettent de les atteindre plus facilement. Il existe aussi des « aiguilles bleues », utilisées dans des endroits sensibles. Comme l’entrejambe, soit auprès des parties intimes, ou traversent une multitude de veines. On parle alors généralement de « pik dan tak-tak ».

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