Devesh Dukhira, CEO du syndicat des sucres :« Profiter des conditions favorables pour se préparer»

Le Chief Executive Officer (CEO) du Syndicat des Sucres, Devesh Dukhira, que Le-Mauricien a rencontré peu après l’assemblée générale de cette institution, estime essentiel de profiter des conditions favorables actuelles pour investir et « se préparer à des temps moins encourageants ». Il plaide également pour l’élargissement du Product Mix , comprenant le sucre blanc et les autres, afin de permettre à l’industrie de réagir plus rapidement aux fluctuations du marché.

- Publicité -

Comment se présente le marché sucrier cette année ?

Le marché international est actuellement très favorable, ce qui est une conséquence d’années difficiles. La production mondiale avait en effet atteint un record en 2017, avec 180 millions de tonnes de sucre. Ce qui avait provoqué une baisse de prix conséquente sur le marché mondial. Le résultat est que les planteurs n’étaient plus encouragés à produire du sucre. Ils n’avaient plus de plantation de canne et cela a entraîné une baisse de rendement. En fin de compte, la production mondiale a baissé. Il faut également prendre en compte les conditions climatiques qui ont prévalu.
Plus de cinq ans plus tard, nous n’avons toujours pas dépassé le niveau de production enregistré en 2017. De son côté, la consommation globale a continué d’augmenter d’une moyenne de 1% annuellement. Ce qui fait que la production mondiale est actuellement de 175 millions de tonnes. Or, chaque année, le marché a besoin de 1 à 2 millions de tonnes de plus. Cette situation crée un déficit et le prix du sucre sur le marché mondial, comme n’importe quelle commodité, prend l’ascenseur.
Il y a eu aussi des augmentations des coûts de production post-Covid et relatives à la guerre en Ukraine. Le coût de l’énergie avait flambé. Maurice n’est pas un gros producteur, comme le Brésil, la Thaïlande ou l’Inde. Nous ne disposons pas d’économie d’échelle nécessaire pour aller les concurrencer sur le marché mondial. C’est la raison pour laquelle notre stratégie consiste à nous focaliser sur les produits à forte valeur ajoutée.

Le marché européen est-il toujours profitable ?

Nous avons l’avantage de disposer de marchés préférentiels en Europe. Ceux ne bénéficiant pas de cet accès doivent payer une taxe de 419 euros la tonne. Nous n’avons donc pas à déduire ce montant du prix obtenu, et nous arrivons à exporter à USD 700 la tonne.
En Europe, il y a eu une production record en 2017 également parce que la Commission européenne avait pris la décision de libéraliser le coût de production. Avant cette date, les betteraviers étaient limités à 13 millions de tonnes de production. En 2017, les quotas ont été libéralisés et chacun a essayé de produire davantage afin d’avoir une part de marché aussi importante que possible. La production totale est ainsi passée de 16 millions de tonnes à 21 millions de tonnes. Les prix ont alors dégringolé de l’ordre de 25%.
À Maurice, en 2018, le prix ex-Syndicat des Sucres avait atteint le niveau de Rs 8 000 la tonne. Devant une telle situation, les producteurs européens ont commencé à réduire la surface sous culture de la betterave. La production sucrière européenne a chuté de manière drastique. En 2022, la production était toujours en dessous de 15 millions de tonnes. Du fait que les Européens ont importé le sucre sur le marché mondial, ajouter à cela l’impact de la guerre en Ukraine, qui a entraîné une hausse de 700% du prix de gaz naturel utilisé par les raffineries, le coût de production a augmenté drastiquement. Ce qui fait que le prix du sucre blanc en Europe a doublé. Tout cela explique le montant de Rs 25 544. La guerre est toujours là, mais le coût de l’énergie a baissé.
Cette année, les cours mondiaux ont continué d’augmenter pour deux raisons principales, à commencer parce que les coûts de production ont continué de progresser. Ensuite, la production en Inde a baissé en raison d’une mousson catastrophique, passant de 37 millions à 30 millions de tonnes.
Actuellement, le cours mondial du sucre tourne autour de USD 700 la tonne. En Europe, les prix seront comparables à l’année dernière. Le message que nous avons voulu transmettre à l’assemblée générale cette semaine est qu’il est important d’avoir un plan à long terme du fait que le prix du sucre est sujet à un cycle.

À Maurice, les producteurs ne réagissent pas de la même manière que dans les grands pays producteurs, car la production continue de baisser, malgré la hausse des prix du sucre… Qu’en pensez-vous ?

Il est regrettable que la production locale de sucre soit tombée entre-temps au niveau alarmant de 232 000 tonnes, ce qui nous empêche de profiter pleinement de ces prix élevés. Même si nous comprenons la nécessité de convertir les terres à d’autres fins économiques, il est regrettable que plus de 10 000 hectares, soit un quart des 39 199 hectares récoltés en 2022, soient tout simplement abandonnés et ne soient pas utilisés autrement.
Un renversement urgent de cette tendance s’impose. Non seulement devons-nous remettre ces terres abandonnées sous culture de la canne à sucre, mais nous devons également nous abstenir de convertir davantage de terres agricoles de premier ordre, pour le bien de notre sécurité alimentaire, de notre sécurité énergétique et de notre environnement. Nous ne devons pas non plus oublier qu’à mesure que la production diminue, la compétitivité de l’industrie et la flexibilité nécessaire pour rechercher la valeur la plus élevée sur le marché seront sérieusement compromises.
S’agissant des performances des ventes de la récolte 2022, les chiffres montrent les fluctuations que l’on peut connaître sur les prix du marché et rappellent que la viabilité de la production de sucre de canne doit être envisagée à moyen et long termes. Comme pour la plupart des cultures agricoles, nous devrions profiter des conditions de marché favorables pour investir et nous préparer à des temps moins encourageants.
Si nous arrivons à un taux de productivité de niveau mondial, nius devrions être en mesure de faire face à des baisses éventuelles des prix. Il faut le faire maintenant. Je ne crois pas que nous retrouverons le niveau des prix de 2019, qui était en-dessous de 400 euros la tonne pour le sucre blanc. Le prix minimum est plus élevé que cela. Les prix ne vont pas baisser. Il y a aussi la stratégie de valeur ajoutée, que nous continuons à répertorier. Même si les prix baissent, nous continuerons de vendre des sucres spéciaux avec des marges. Le revenu moyen par tonne de sucre sera plus élevé.
Maintenant, il y a des sucres spéciaux, qui ne sont pas raffinés. Il y a aussi des sucres blancs spéciaux extrafins. Il y a des marchés niches qui peuvent permettre d’avance des dizaines d’euros de plus la tonne.
Le dernier prix moyen au départ usine du sucre blanc dans l’Union européenne a atteint 821 euros la tonne pour juillet 2023, soit 75% de plus que le prix enregistré au cours du même mois en 2022, tandis que le prix moyen sur l’année de commercialisation a atteint 751 euros, soit 67% de plus que celui de l’année précédente. Face à cette dynamique de marché, le prix moyen obtenu pour le sucre blanc mauricien dans l’Union européenne a presque doublé par rapport à l’année précédente, tandis que les sucres spéciaux ont été vendus à des prix encore plus élevés. La hausse de ces prix s’est traduite par une augmentation de 20% de notre chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente, malgré la baisse de 9% du rendement des récoltes.

La diversification du marché est-elle une priorité ?

Tout cela permettra d’amortir les éventuelles baisses. Il y a aussi la diversification du marché, dont la Chine. La Chine était un marché très protégé. Aujourd’hui, l’Europe est rémunérateur. Il y a trois ans, la Chine était plus rémunératrice que l’Europe. Mais actuellement, nous avons un quota en Chine. Cela nous permettra de vendre davantage dans ce pays, sachant que le quota va augmenter.

Le Syndicat des Sucres a affiché une position ferme concernant la superficie sous culture de la canne. Pouvons-nous en parler ?

Nous comprenons que le ministre ainsi que le gouvernement a bien compris la situation. Il y a au moins 10 000 hectares à l’abandon. Or, la sécurité alimentaire pourrait être remise en cause. Il est important qu’on ait un minimum de champs cultivables. Il ne faut pas descendre au-dessus d’un certain niveau. Concernant la canne, 40 000 hectares sont nécessaires.
Il faut savoir que la canne est une banque d’énergie. De la canne, on extrait le sucre, mais aussi la bagasse, qui est utilisée pour la production énergétique. Grâce aux réformes de 2021, la bagasse est adéquatement rémunérée. La mélasse est une forme d’énergie et est utilisée pour produire de l’éthanol. Il y a aussi le rhum.
Aujourd’hui, il faut voir la canne différemment. C’est ainsi que nius pourrions intéresser davantage de jeunes à se lancer dans la culture de la canne. Il faut également innover. Par exemple, les drones doivent être utilisés pour améliorer la production aux champs. Grâce à l’intelligence artificielle, nous pouvins savoir quand la canne serait prête à être récoltée. Voire quelle partie du champ a besoin d’eau, quelle partie de cannes pour être apportée… Grâce à ces innovations, le rendement de la canne a été augmenté.

Comment les accords de libre-échange signés avec la Chine et l’Inde aident à mieux commercialiser nos produits ?

En premier lieu, il est important que Maurice ait de la flexibilité en termes de produits. Le marché est tellement volatil. Le prix du sucre blanc était très bas à un certain moment. Il est crucial qu’on ait un Product Mix comprenant le sucre blanc et les autres, ce qui nous permettrait de réagir plus rapidement aux fluctuations du marché. Le sucre blanc est destiné à l’Europe ou à la région. Avec les sucres spéciaux, nus sommes présents dans au moins 60 pays à travers le monde. C’est le produit mauricien le plus répandu. Nous le voyons aux Etats-Unis, au Canada, etc. Nous avons quelques acteurs dans chaque pays.
Grâce aux accords de libre-échanges, nous avons des opportunités. En Inde, nous avons le sucre roux, mais en Chine, les consommateurs favorisent surtout le sucre blanc. Il y a un potentiel de vente. À travers l’accord de libre-échange avec la Chine, nous avons un quota pour les sucres spéciaux de Maurice, avec une taxe de 15% au lieu de 50%. À travers notre partenaire en Chine, nous sommes en train de développer la demande pour les sucres spéciaux de Maurice.
Les sucres spéciaux ne sont pas comparables aux sucres chinois. Une délégation chinoise était à Maurice à la fin du mois d’août dans le cadre de l’accord bilatéral pour promouvoir les sucres spéciaux de Maurice. Il y a aussi la China Food and Drink Fair, qui aura lieu du 12 au 14 octobre à Shenzhen, en Chine. Notre partenaire disposera d’un stand dédié aux sucres spéciaux mauriciens.
En Inde, nous avons déjà un distributeur qui commence à offrir nos sucres spéciaux. La situation dans ce pays est un peu plus compliquée parce qu’ils produisent beaucoup de sucre de canne. Il va falloir faire la différence entre le sucre non raffiné de Maurice et le sucre indien. C’est un travail qui prend du temps. Une contrainte que nous avons en Inde, c’est que le prix local est contrôlé par le gouvernement.

Le Syndicat des Sucres s’occupe-t-il de la commercialisation de tous les types de sucres ?

Le Syndicat des Sucres s’occupe de toute la production. C’est au niveau du Syndicat qu’une décision est prise de façon collégiale pour savoir quels sont les sucres qui nous ramènent le plus de valeur. Une fois le choix fait, nous demandons à la raffinerie ou à l’usine concernée de fabriquer le sucre demandé, moyennant une prime. Le profit réalisé à la vente de ce produit est distribué aux producteurs de manière équitable.
En produisant du sucre à valeur ajoutée, tout le monde bénéficie des revenus qui découlent de la vente. Il ne faut pas oublier que le Syndicat de Sucres est une Non-Profit Organisation, qui travaille dans l’intérêt de tous les producteurs sucriers.

Comment s’annonce le prix du sucre cette année ?

Nous sommes confiants que les prix en 2023 devraient être comparables à 2022. Nous avons déjà annoncé une première estimation de Rs 26 000 la tonne, soit légèrement supérieur au prix final de Rs 25 554 l’année dernière. Les contrats sont en train d’être finalisés. Nous avons déjà mis au point 70% des contrats de vente. Nous ne savons pas quel taux de change sera appliqué. Jusqu’à la fin de la campagne, en 2024, nous ne saurons pas. Pour toute chose égale, nous devrions avoir les mêmes revenus que l’année dernière. À moins qu’il y ait de gros changements imprévisibles.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -