Mens sana in corpore sano. Il est bon de rappeler que la santé mentale, au même titre que la santé physique, demeure une priorité pour tous. Face à l’avalanche de mauvaises nouvelles depuis ces trois dernières années et à la situation socio-économique difficile actuelle, les gens se disent de plus en plus stressés, angoissés, déprimés. Anwar Maderbocus, spécialiste de la santé mentale, sillonne les centres commerciaux, les lieux de prière, les écoles pour parler de l’importance de tout simplement… parler.
« Bizin pa gard andan ! » nous dit d’emblée Anwar Maderbocus. Vous l’avez peut-être croisé dans un centre commercial. Depuis trois ans, il y installe deux chaises et invite ceux et celles qui souhaiteraient parler. « Tous les professionnels vous le diront : la santé mentale reste encore, à ce jour, un sujet tabou pour beaucoup. Pour ces derniers, aller consulter un psychologue ou un psychiatre veut dire que l’on est fou, pagla, mais ce n’est pas vrai », dit-il. Son initiative d’être présent avec son équipe dans des espaces publics a pour principal objectif de normaliser cette pratique et de libérer davantage la parole. « J’ai fait carrière en Angleterre, et en rentrant, je me suis fait la promesse d’aider ceux qui n’ont pas les moyens, d’où l’idée de commencer cette campagne. »
Anwar Maderbocus s’est ainsi vite rendu compte du besoin de parler des Mauriciens, de tous âges. « J’ai beaucoup de gens qui passent trois à quatre fois devant mon stand et qui finalement prennent le courage de venir me parler. Il y a beaucoup d’hésitation encore, mais lentement mais sûrement, on arrive à toucher beaucoup de personnes. » Une semaine après la World Suicide Prévention Day, célébrée tous les ans le 10 septembre, il soutient que selon les statistiques mondiales, sur cinq suicides, quatre hommes en seront victimes. « Je reçois beaucoup de jeunes filles, de femmes qui elles font le pas plus que les hommes, et cela est triste lorsque l’on sait que les hommes souffrent aussi beaucoup en silence. » Il explique qu’« étant enfant, on donne un fusil au garçonnet, on lui dit qu’il doit être fort, qu’il ne doit pas pleurer, alors que cela est tout à fait normal. La vulnérabilité est quelque chose de normal, et il y a un gros travail à faire auprès des garçons à Maurice, et cela commence dans la maison avec nos frères, nos cousins… »
Gérer le deuil
Anwar Maderbocus est aussi présent auprès des patientes atteintes de cancer du sein notamment. « À Maurice, on vous apprend que vous avez un cancer et vous prenez le bus pour rentrer chez vous… il n’y a pas de soutien psychologique. Vous savez, souvent, lorsqu’une personne est atteinte de telles maladies et qu’elle sait qu’elle n’a peut-être pas longtemps à vivre, elle commence le deuil. Comment canaliser tout cela ? Comment gérer ? » se désole-t-il. Par ailleurs, post-pandémie, il a un constat mi-figue mi-raison. « Avant, il y avait cette illusion que travailler chez soi, loin de tous, allait être l’idéal, sauf que cela s’est avéré plus néfaste que ce qu’on le pensait », dit-il. Ainsi, le Covid a exacerbé les sentiments de solitude, d’angoisse, d’anxiété. « Cependant, cela nous a aussi montré la nécessité de sortir, de rencontrer d’autres personnes. Nous restons des social animals », dit-il.
Il insiste par ailleurs sur un aspect récurrent, soit le stress. « Il est vrai que tout le monde se dit stressé, mais il ne faut pas en faire une fatalité. Évidemment, la vie n’est pas facile, mais nous devons avancer et apprendre à gérer et canaliser tout cela. Même Usain Bolt, le coureur le plus rapide au monde, a besoin de stress pour se surpasser », dit-il. « Stress ou pas, il faut avancer et travailler, car il faut se rendre bien compte qu’être blasé ou oisif est contre-productif et encore plus néfaste pour soi. » De plus, « lorsque vous sortez, lorsque vous vous apprêtez et que vous faites l’effort d’être bien mis, cela ne peut qu’avoir des effets bénéfiques sur votre santé mentale. Cela peut être quelque chose de très simple, mais le fait de faire l’effort de s’habiller et de sortir fait toute la différence. C’est tout à fait humain de vouloir interagir avec les autres », dit-il.
Trop de pression sur les jeunes
Quant aux parents stressés de voir leurs enfants ou adolescents scotchés à leurs téléphones, il leur demande de faire preuve de patience. « Les enfants sont eux aussi stressés, et avec l’approche des examens, cela est tout à fait normal. Évidemment, nous ne vivons pas les choses de la même manière, et certains les vivent plus intensément que d’autres. » Il poursuit que « lorsque j’étais jeune et que j’étais angoissé, je sortais voir mes amis près de la boutique du coin, mais de nos jours, le seul moyen de communication des jeunes c’est leur téléphone portable. Quand vous leur interdisez cela, ils ne communiquent plus, ils ne parlent plus à leurs amis ! »
De plus, il affirme que les jeunes lui parlent souvent de « trop de pression. » « Les parents vivent leurs rêves à travers leurs enfants et parfois ils mettent trop de pression sur ces derniers. Cela n’est pas correct. C’est pour cela qu’il y a des enfants qui ont des A à l’école, mais qui étonnamment ne sont pas satisfaits. Ils veulent avoir un A+. Ce qui est bien en soit, car l’enfant veut se surpasser, mais cela est aussi à double tranchant, car cela crée soit de petits perfectionnistes soit des enfants qui sentent qu’ils ne seront jamais assez bons. Et cela peut avoir des effets néfastes sur leur vie d’adultes, au travail par exemple. » Anwar Maderbocus insiste sur la communication entre parents et enfants. « Les enfants doivent pouvoir s’exprimer et se confier à leurs parents, en premier. Il incombe donc aux parents de créer ce lien », dit-il.
Le professionnel de santé mentale lance ainsi un appel à tous. « Bizin tir tou, pa gard endan ! Même moi je le fais. Quand quelque chose ne va pas, je dois en parler. Lorsque, par exemple, vous avez une dispute avec votre épouse et que vous décidez de l’amener manger au restaurant le soir pour faire la paix, le problème initial reste entier. C’est pour cela que lors de disputes, ce sont tous les problèmes accumulés pendant plusieurs années qui ressurgissent », dit-il. « Je reste à l’écoute de ceux et celles qui souhaiteraient se confier. Mon numéro de téléphone est public sur ma page Facebook », conclut-il.