Sommes-nous xénophobes ?

Cette semaine, plusieurs faits nous appellent à nous demander si nous, à Maurice, sommes xénophobes.

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Il y a en premier lieu la lettre ouverte adressée à la presse par Rajni Lallah au nom de Lalit. Le parti y lance un appel aux médias mauriciens concernant la façon de rapporter ce que le parti considère comme les « xenophobic outbursts » du leader du Parti Travailliste, Navin Ramgoolam, à l’encontre des travailleurs bangladeshis à Maurice. L’ex-Premier ministre leur impute sa défaite électorale de 2019, du fait qu’ils auraient frauduleusement voté en faveur du MSM de Pravind Jugnauth. « This kind of naked xenophobia is not acceptable. It is potentially dangerous. And it is based on a pernicious lie » dénonce Lalit. Qui fait le parallèle avec l’ex-Président Donald Trump qui, aux Etats Unis, a rendu les « Mexicains » responsables de tous les crimes, y compris celui de lui avoir « volé » l’élection de 2020.

Le pire, selon Lalit, c’est que Navin Ramgoolam, du fait de l’alliance électorale récemment conclue entre partis d’opposition, parle maintenant aussi au nom du MMM et du PMSD. Le parti lance donc un appel aux médias mauriciens pour qu’ils s’opposent à ce genre de mensonge xénophobe.  « The Bangladeshi people being insulted are insulted, as a group, repeatedly as if they do not have feelings, as if they do not work here alongside us, pay taxes here as we do, buy vegetables in the market like we do, and generally form part of our society. It is sadistic to do this. It is a horrifying example of xenophobia, with all its built-in dangers ».

Le Dr Navin Ramgoolam n’est pas le seul à le dire. Force est de reconnaître que cette version de vote frauduleux de travailleurs bangladeshis instrumentalisés par le MSM a largement circulé depuis les dernières élections comme une des raisons de la victoire de ce parti aux législatives. Certains disent même que cela est attesté par les carnets pour lesquels l’agent du MSM Soopramanien Kistnen aurait été assassiné, son corps retrouvé brûlé dans un champ de cannes et la police concluant hâtivement au suicide. Mais force est de reconnaître aussi que valeur du jour, aucune preuve tangible de ce vote bangladeshi n’a pu être amené.

En Cour, le commissaire électoral, Irfan Raman, a affirmé qu’en 2019, il y aurait eu 835 non-Mauriciens inscrits sur notre registre électoral. Ceux-ci sont listés comme citoyens d’Afrique du Sud, Bangladesh, Brunei, Ghana, Grande Bretagne, Kenya, Malawi, Namibie, Nigeria, Singapour, Swaziland, Trinidad et Tobago, Ouganda, Zambie, Australie, Canada, Inde, Malaisie, Mozambique, Pakistan, Seychelles, Sri Lanka. Ceci en vertu de nos lois électorales, qui stipulent que Maurice étant membre du Commonwealth, tout citoyen du Commonwealth résidant dans le pays est habilité à voter chez nous. (Il y a ici un paradoxe à relever du fait que des citoyens du Commonwealth puissent voter à Maurice, mais que des Mauriciens établis à l’étranger tout en conservant leur nationalité mauricienne sont eux privés de ce même droit qu’ils réclament depuis des années.)

Sur ces 835 personnes, il y aurait 45 Bangladeshis. Lalit ajoute à ce propos que dans le même temps, 67 citoyens britanniques étaient inscrits sur notre registre électoral, ce qui n’a soulevé aucun commentaire ou protestation. « This betrays the racism or communalism no doubt involved in the false accusations against Bangladeshis », commente le parti.
Cet « argument » semble cette fois être retourné contre l’alliance PTr-MMM-PMSD, des infos identifiées comme « fake news » ayant circulé ces derniers jours sur les réseaux identifiant comme Bangladeshis des personnes supposément amenées pour faire le nombre dans leurs congrès…

Alors, sommes-nous xénophobes ?
Le fait est que la société mauricienne est en train de connaître des changements sur lesquels nous nous refusons, pour le moment, de nous pencher. Oui, nous refusons jusqu’ici de parler, officiellement, de ce que tout concourt à désigner comme un exode de travailleurs mauriciens vers l’étranger, Canada et Australie en tête de liste. Pourtant, tout un chacun peut le remarquer : aujourd’hui, dans les stations-services, dans les boulangeries, dans les restaurants, dans nombre de commerces et de services, on ne voit plus d’employés mauriciens mais des Malgaches et des Bangladeshis. Et à la faveur de l’implantation grandissante sur notre sol de filiales d’universités internationales, ils ne cessent de grandir en nombre le nombre d’étudiants venant de divers pays d’Afrique, qui travaillent dans divers services en dehors de leurs heures d’études. Comment accueillons-nous ces personnes ? Comment les intégrons-nous ou pas ?

Cette semaine, une autre info a également été rendue publique par les autorités à l’effet qu’il y aurait 3 000 travailleurs bangladeshis « dans la nature », c’est-à-dire ayant déserté leur employeur officiel pour aller travailler et habiter ailleurs que dans les dortoirs auxquels ils sont assignés.

Nous parlons de l’époque de l’engagisme en dénonçant les conditions exécrables voire scandaleuses dans lesquelles nombre de nos ancêtres venus d’Asie ont été employés et traités à Maurice au 19ème siècle. Mais quelle différence réelle avec ce que nous pratiquons allègrement aujourd’hui alors que nous sommes supposément plus informés ? Pas le colonisateur britannique, nous, Mauriciens, descendants et héritiers de ces engagés ?
Nous soucions-nous des conditions dans lesquelles ils sont recrutés, souvent bernés, et amenés ici sous la promesse d’un Eldorado dont ils vont aussitôt déchanter ?
Nous soucions-nous de l’exploitation évidente dont ils sont victimes au travail ? Eux qui sont contraints de se soumettre à des horaires et conditions que les travailleurs mauriciens ne veulent plus accepter ?

Nous soucions-nous des conditions exécrables dans lesquelles ils sont logés, dans des dortoirs pouilleux, mal nourris, privés de loisirs ?
Seuls semblent se soucier d’eux aujourd’hui quelques syndicalistes qui ont déjà trop à faire à défendre les droits des travailleurs mauriciens (qui sont mis en concurrence avec ces travailleurs étrangers qui « coûtent » moins cher).

Que cherchons-nous à savoir de ces personnes qui contribuent à faire tourner l’économie mauricienne, que savons-nous par exemple de ce Bangladesh dont nous semblons tout ignorer, y compris le fait que l’islam y est la religion officielle et que 90% de ses habitants sont de confession musulmane ?

Quelle attention prêtons-nous à l’accompagnement autant de ces immigrés que d’une population mauricienne manifestement pas préparée à cette nouvelle donne ?
Dans le même temps, Maurice se tourne de plus en plus vers des campagnes visant à attirer chez nous des « expatriés » européens, des « digital nomads », des personnes auxquelles nous déroulons le tapis rouge et pour lesquelles nous prévoyons tous les ajustements nécessaires. Parce qu’elles ont de l’argent et la « bonne nationalité » ?
Sommes-nous xénophobes ?
Examen dans le miroir…

SHENAZ PATEL

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