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Réza Uteem : « Je suis un des instigateurs de l’alliance PTr/MMM/PMSD »

Notre invité de ce dimanche est le président du Mouvement Militant Mauricien, Me Réza Uteem. Dans l’interview qui suit, il défend bec et ongles l’alliance des partis de l’opposition parlementaire, récemment constituée. Il répond par ailleurs à quelques questions d’actualité.

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Quelle est votre analyse de la situation économique du pays dont les ténors du gouvernement disent qu’elle est non seulement stable, mais qu’elle est en train de s’améliorer, ce qui rendraient les Mauriciens satisfaits et heureux.

— La situation est plus qu’inquiétante. Je suis choqué du fait que le gouvernement est coupé de la réalité, semble vivre dans une bulle et dit que tout va bien. Nous faisons face à une récession qui affecte toutes les composantes de la nation : il n’y a qu’à faire un tour dans les supermarchés où tous les prix ont augmenté – et certains sont maintenant hors de la portée des consommateurs – pour s’en rendre compte. Prenons la pénurie de riz ration, qui est massivement subventionné à travers les taxes sur les produits pétroliers. Contrairement à ce qu’on a pu dire dans le passé, c’est un bon riz, consommé par beaucoup de Mauriciens, si l’on en juge au volume importé. Quand l’Inde a annoncé qu’il mettait fin à l’exportation de riz, pourquoi est-ce que le gouvernement n’a pas utilisé les relations très privilégiées qu’il dit avoir avec le gouvernement indien pour que Maurice continue à acheter ce type de riz de l’Inde?

Restons sur les relations mauriciano-indiennes un instant. Lors des célébrations du jour de l’Inde à la Haute Commission, mardi dernier, a été diffusée une vidéo qui donne l’impression que les relations entre l’Inde et Maurice datent seulement de l’arrivée du MSM au pouvoir, en 2014. Votre réaction?

— Sans vouloir m’ingérer dans la manière dont l’Inde mène sa politique étrangère, c’est vrai que cette vidéo a totalement éclipsé les décennies de relations étroites qui existent entre nos deux pays depuis l’Indépendance. Des relations qui transcendaient les clivages politiques. L’Inde a toujours été proche de Maurice, quel que soit le gouvernement mauricien en place, et nous sommes convaincus que ce sera le cas dans l’avenir.

Vous n’êtes pas sans savoir que le gouvernement de Narendra Modi donne l’impression d’avoir des liens particuliers avec celui de Pravind Jugnauth. On a souvent parlé de relations de grand frère à petit frère.

— En tout cas, les membres du gouvernement indien, rencontrés en Inde, et ceux de la Haute Commission à Maurice m’ont bien fait comprendre que l’Inde travaille de la même manière avec tous les gouvernements mauriciens en place. Je pense que de par notre importance géo-politique, et de l’évolution de la situation dans la région, l’Inde a besoin de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements mauriciens, quels qu’ils soient. Mais il est évident que Pravind Jugnauth et le MSM ont besoin, pour des raisons de politique politicienne, pour ne pas dire communale, de tenter de faire croire le contraire.

Abordons maintenant le principal sujet de l’actualité politique locale : l’alliance PTr/MMM/PMSD qui, après des mois de koz kozé, de gel et de déclarations contradictoires, a été enfin conclue. Comment se porte-t-elle, quelques semaines après sa conclusion?

— À merveille ! Nous avons eu un début extraordinaire avec le congrès de Mare d’Albert, non seulement par rapport à l’assistance et son enthousiasme, mais aussi par l’entente entre les activistes et partisans des trois partis. Ce qui fait un contraste énorme avec ce que nous avons vécu en 2014 avec l’alliance MMM/PTr où il y avait clairement une réticence des bases mauve et rouge…

… et cette fois-ci, il n’y a aucune, mais vraiment aucune résistance des bases des trois partis?

— Je ne dirai pas qu’il n’y a pas de résistance. Bien sûr que les alliances ne font pas que des heureux au sein des partis concernés. Plus de la moitié de ceux qui étaient candidats aux dernières élections n’auront pas de tickets et, forcément, il y aura certaines personnes qui pour des raisons personnelles et égoïstes, dans beaucoup de cas, ne seront pas d’accord avec l’alliance PTr/MMM/PMSD. Mais la fusion constatée entre différents activistes pour l’organisation du congrès de Mare d’Albert est inédite et porteuse d’espoir.

Quand on demande à votre alliance qu’elle est la répartition des tickets, elle répond qu’elle travaille sur le programme. Or, cette question a été imposée comme étant fondamentale par les politiciens eux-mêmes au cours des précédentes élections. Pourquoi est-ce qu’en 2023, c’est un secret d’État pour l’alliance PTr/MMM/PMSD?

— Il est déjà difficile d’établir une liste de candidats dans un parti allant seul aux élections. La difficulté est multipliée dans une alliance à trois. Je crois que les leaders ont eu raison de mettre de côté les autres sujets pour s’attaquer à l’essentiel: construire une alternative pour débarrasser le pays du MSM et de ses chatwas. La question n’est pas de savoir combien de tickets le MMM – ou le PTr ou le PMSD – aura en plus ou en moins, de combien de postes constitutionnels il disposera ou qui fera parti du front bench. Cette alliance doit voir au-delà des ministres et des députés. Nous devons créer un véritable élan patriotique pour remettre le pays en état de marche démocratique et économique. Nos institutions sont en faillite, nos corps para-étatiques sont dirigés par des agents politiques, nos compétences ne sont pas utilisées. Ce que le Mauricien veut savoir est qu’est-ce que cette alliance arrivée au pouvoir demain fera pour améliorer ses conditions de vie, réduire l’inflation, empêcher les jeunes de quitter le pays, mettre fin au climat de terreur et d’insécurité. Ce sont quelques unes des questions qui intéressent les Mauriciens, pas de savoir qui fera partie du front bench !

Vous savez mieux que moi que la composition du front bench est un élément important de la politique mauricienne, pour des raisons symboliques – et communales – évidentes.

— Je vois où vous voulez en venir. Un des « arguments » du MSM contre l’alliance est que Bérenger et Duval feront partie du front bench, ce qui est pour eux inacceptable, pour les raisons que vous savez. Mais permettez-moi une question: quelle était la composition du front bench du gouvernement de l’alliance MMM/MSM en 2003 quand, dans le cadre de l’accord à l’israélienne, Paul Bérenger succède à Anerood Jugnauth au poste de Premier ministre? Écoutez bien la réponse: Paul Bérenger, Pravind Jugnauth, Jayen Cuttaree et… Joe Lejongard ! Pourquoi ce qui était bon pour le MSM en 2003 ne le serait plus aujourd’hui? Revenons à l’alliance, nous devons proposer un programme, un nouveau contrat social aux Mauriciens. Mais déjà à Mare d’Albert, les leaders ont donné une idée des grandes lignes de ce que nous comptons faire en priorité quand nous arriverons au pouvoir.

Un exemple de ces priorités a été cité par Navin Ramgoolam: l’écurie Gujadhur va revenir au Champ de Mars!

— Il ne s’agit pas que de l’écurie Gujadhur, mais de ce que le MSM a fait du Champ de Mars. Allez voir dans quel état est l’hippodrome ! C’est un crime que le gouvernement a laissé faire pour faire plaisir à un individu qui – il l’a dit lui-même sur une radio privée – a financé la campagne électorale du MSM ! Pour soi-disant régler le problème des zougader et des paris clandestins, le gouvernement a donné les patentes à une seule personne qui est le gestionnaire du Champ de Mars, l’organisateur des courses, l’importateur des chevaux, le bookmaker en chef ! Comment voulez-vous que, face à ce genre de situation, les jeunes ne fassent pas des démarches pour quitter le pays? L’alliance leur donne des raisons de rester au pays pour le faire avancer.

 Pravind Jugnauth semble se préoccuper des jeunes à qui il a donné Rs 20,000 et qu’il a réuni au Sun Trust la semaine dernière.

— Quel est le message de Pravind Jugnauth à la jeunesse : asizé gayn allocation, pas bizin travail, pas bizin appran, pas bizin compétence, bizin juste backing politique, bizin zis vin enn chatwa ! Pravind Jugnauth est en train de faire le contraire de ce que faisait son père. SAJ a encouragé la culture du travail pour faire prospérer le pays. Les Mauriciens ont travaillé dur dans les usines de la zone franche et dans les champs de cannes. Ils ont construit la richesse, avant de la partager. Que nous dit le gouvernement de Pravind Jugnauth: mangez, consommez, dépensez en faisant des dettes. Il refuse la compétence pour installer des chatwas aux postes de responsabilité. Résultat: en 2014, la dette publique était de 225 milliards, aujourd’hui elle a dépassé les 500 milliards. En 2014, le dollar s’échangeait contre 30 roupies aujourd’hui il est à 45 roupies, et notre roupie a été dépréciée de 50%. Si Maurice continue sur la voie économique où l’a mené le MSM, nous allons finir comme la Grèce et nous n’aurons pas l’Union Européenne pour nous sauver !

Comment interprétez-vous le fait que le MSM, à travers les institutions gouvernementales qu’il contrôle, c’est-à-dire pratiquement toutes, essaye d’empêcher le tenue des activités de la nouvelle alliance?

— Cela démontre à quel point le PM et le gouvernement ont peur de l’alliance. Ils sont en train de faire une utilisation abusive des moyens à leur disposition pour empêcher l’alliance d’organiser ses activités. Vendredi à Vacoas, on nous a interdit l’utilisation d’écrans géants dans la cour de la municipalité et on nous a même coupé l’électricité. Mais grâce à des voisins, nous avons pu contourner ces difficultés et tenir notre congrès. Le MSM fera ce qu’il voudra, mais il ne pourra pas arrêter la vague qui est en train de monter pour le balayer. L’alliance PTr/MMM/PMSD a trois leaders…

… on pourrait vous dire qu’il y en a deux de trop…

–Non, parce qu’ils ont décidé de travailler en équipe. Ce sont trois personnes qui ont une histoire, un parcours, un vécu, une expérience qu’ils ont décidé de mettre au service du pays pour redonner confiance, pour remettre Maurice sur les bons rails et, en même temps, former la relève. Car ils sont entourés d’autres personnes expérimentées, mais aussi des jeunes qui constitueront la relève. Ces trois leaders auraient pu jouir de leur retraite, mais ils ont choisi de descendre sur le terrain pour sauver le pays en mettant leurs différends de côté. C’est pourquoi vous voyez aujourd’hui Bérenger, Ramgoolam et Duval travailler ensemble.

Paul Bérenger a fait une récente déclaration pour dire que le MMM «pas amoureux are l’alliance», comme s’il avait été obligé de la faire. Comme autrefois, il avait dit de l’alliance MSM/MMM des années 1990 « this is not my doing ». Comment faut-il interpréter sa dernière phrase?

— Les circonstances et la flamme patriotique qui anime le MMM font qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons en alliance avec le PTr et le PMSD. Nous sommes disposés à mettre de côté nos différends pour assurer un meilleur avenir au pays et à nos enfants. Il est normal que quand on se met en alliance, trois partis qui existent depuis l’Indépendance, et même avant, qui ont leur culture, qui ont eu au cours de leur histoire des confrontations, parfois violentes, il reste des traces. Mais aujourd’hui, les leaders et les partisans de ces partis sont disposés à mettre de côté leurs différends. Ils ont appris des erreurs du passé et savent qu’ils doivent s’allier pour constituer, après les élections, un gouvernement d’unité nationale. Laisser le MSM revenir au pouvoir sans réagir serait une trahison vis-à-vis de l’Histoire du pays.

Est-ce que l’alliance PTr/MMM/PMSD a été acceptée par l’instance suprême mauve : l’assemblée des délégués?

— Pas encore, mais le CC et le BP l’ont dejà fait et, vu l’engouement sur le terrain, il ne fait aucun doute que l’assemblée des délégués ratifiera cette alliance. Tout comme les instances des deux autres partis. Nous savons que le MSM – avec ses judas, ses bailleurs de fonds et ses chatwas – est en train de tout faire pour essayer de casser l’alliance, qu’il joue sur les faiblesses, mais aussi les mécontentents de ceux qui n’auraient pas de ticket. Mais quoi qu’il puisse faire, c’est trop tard : le train est déjà en marche.

Est-ce la grande alliance fera de la place aux petits partis et autres mouvements qui font également partie de l’opposition au MSM?

— Nous voulons construire un élan patriotique avec les partis représentés au Parlement, mais aussi avec ceux qui sont en dehors. Nous n’avons pas fermé la porte à tous ceux qui veulent nous aider à nettoyer le pays. Nous avons choisi un Premier ministre en la personne de Navin Ramgoolam pour cinq ans et il est évident que nous ne pouvons accepter des partis dont l’ambition du leader est de se présenter comme Premier ministre. Ceux-là s’excluent d’eux-mêmes de l’alliance. Par contre, j’ai apprécié les propositions de Rezistans ek Alternativ sur les réformes à mettre en place après les élections, dont celle de la Constitution, les Droits humains et l’écologie.

À vous écouter, il est évident que vous êtes totalement conquis par l’alliance. Et je dois admettre que vous la défendez bien, surtout qu’on pensait que vous étiez en faveur d’une autre alliance…

— J’irai plus loin en disant que je suis un des instigateurs de cette alliance. J’ai toujours dit qu’il y avait des tendances au sein du MMM et je vous avais dit, dans une interview, qu’en temps et lieu, je dirai qu’elle est la mienne. Je le dis aujourd’hui : ma tendance est en faveur de l’alliance PTr/MMM/PMSD.

Ça, on l’a bien compris ! Quelques questions sur d’autres sujets d’actualité pour terminer cette interview. Que pensez-vous, en tant qu’avocat, de la guerre ouverte entre le Commissaire de Police et le Directeur des Poursuites Publiques, qui est arrivée au niveau de la Cour suprême?

— Je suis, comme la plupart de mes collègues – en dehors des feuilles lichoux de la profession – inquiet par ce qui se passe. Parce qu’il est essentiel que le bureau du DPP travaille de concert avec la force policière. La Constitution dit clairement que la police fait l’enquête et le bureau du DPP mène la poursuite. Il n’y a, donc, pas de conflit possible. Qu’est-ce que le Commissaire de Police reproche au DPP? De ne pas avoir fait appel contre un jugement bien motivé d’une magistrate qui libère sous caution M. Bruno Laurette. Mais pourquoi est-ce que la police n’a pas protesté quand Geanchand Dewdany – habitué à se faire photographier aux côtés du PM – arrêté pour trafic d’héroïne caché dans des bonbonnes, avait obtenu la liberté sous caution? J’ouvre une parenthèse pour dire que, malgré le fait que le PM et le Commissaire de police répètent qu’ils combattent sans relâche le trafic de drogue, l’enquête dans l’affaire de tractopelle n’est toujours pas conclue.

Effectivement, on peut se poser des questions sur la volonté de « kass lé rein bann trafikants» du PM !

— Je reviens à votre question : imaginez ce qui se passera si demain le CP choisit les avocats du privé au lieu du DPP pour poursuivre quelqu’un! Cette personne ne bénéficiera pas de l’indépendance du bureau du DPP qui a pour devoir de vérifier si la police a suffisamment de preuves ou non pour poursuivre quelqu’un puisque ce sont des avocats choisis par le CP qui feront le travail du bureau du DPP ! Imaginez une situation où un individu est arrêté, accusé et traduit en Cour par la police et les avocats du CP – surtout si la personne arrêtée est un opposant au régime !! L’affaire est en Cour, comme vous l’avez souligné, et je suis sûr que les juges rétabliront les faits en faisant respecter les provisions de la Constitution. Je fais partie de ceux qui ont un profond respect pour nos juges et nos magistrats. Non seulement de par ma profession, mais aussi parce que je connais personnellement des personnes qui siègent à la Cour suprême avec ce qu’il faut d’intégrité et d’hônneteté. Pour moi, le judiciaire est le dernier rempart de la démocratie à Maurice, la seule institution que le gouvernement n’a pas réussi à infiltrer. Je tenais à le dire.

Savez-vous que le Commissaire de police rend fréquemment, pour ne pas dire quotidiennement, visite à un de ses avocats? Cet homme est connu pour faire payer son heure de travail en centaines de dollars américains. Est-ce que ce sont les contribuables qui payeront les prestations de cet avocat du CP?

– Je ne peux répondre à cette question parce que le Speaker a interdit à l’opposition de demander qui sont les avocats du CP, sur quels critères ils ont été choisis et le montant de leurs honoraires ! Mais il y a pire : est-il normal que l’avouée du CP s’affiche ouvertement aux côtés des dirigeants d’un parti politique, le MSM? Est-il normal que Ravi Yerrigadoo, l’ancien Attorney General forcé à démissioner, sur qui la police mène une enquête, soit un des avocats du Commissaire de police? C’est pour lutter, entre autres, contre ce genre de comportement, cette faillite de nos institutions, que l’alliance PTr/MMM/PMSD a été constituée.

Vous m’avez dit et répété que l’alliance PTr/MMM/PMSD a été constituée pour lutter contre la fraude et la corruption. Or, on a appris jeudi après-midi que par un ordre du Privy Council exécuté par la Cour suprême, les comptes bancaires de Me Khushal Lobine, député et dirigeant du PMSD, ont été gelés. Le tout dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds d’une société off shore enregistrée aux Seychelles. Votre réaction?

— D’après ce que j’ai compris, Khushal Lobine aurait touché des honoraires qui proviendraient d’un détournement de fonds. Une enquête est en cours.

Est-ce qu’au nom de la moralité qui est, dites-vous, une des valeurs de l’alliance, Me Lobine n’aurait pas à se retirer de la politique, en attendant la conclusion de l’enquête?

— Attention, jusqu’à maintenant, il ne s’agit que d’une allégation ! Si demain il y a poursuite, je suis sûr que Khushal Lobine et le PMSD sauront prendre la décision qui s’imposera. Pour le moment, au MMM, nous avons pris note de la réaction de Khushal Lobine et nous laissons le judicaire faire son travail.

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