Le ticket

— Alors il a eu ou il n’a pas eu ?

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— Qui a eu quoi ?

— Ne fais pas ton intéressante avec moi, donc. II l’a eu ou il ne l’a pas eu ?

— Ayo, je ne comprends pas ce que tu es en train de dire.

— Mais enfin toi, je suis en train de te parler de ton bonhomme.

— Et alors ?

— Et alors est-ce qu’il l’a eu sa loterie, son jackpot ?

— Mais de quelle loterie ou de quel jackpot tu es en train de parler ? Tu sais très bien que mon bonhomme n’est pas un zougader ?

— Il ne joue même pas au loto ?

— Il ne sait même pas comment on fait, je te dis ! D’ailleurs, moi-même je vais arrêter. On ne gagne jamais, tu as remarqué ?

— Ça même qui s’appelle un jeu de la chance ça.

— En tout cas, une chose est sûre : la chance n’est jamais avec moi.

— Je sais que tu es bien maligne, mais il ne faut pas me prendre pour une imbécile. N’essaye pas de changer de conversation.

— Mais de quelle conversation tu es en train de parler ?

— Je sais que tu sais très bien de quoi je suis en train de parler. Alors dis-moi !

— Qu’est-ce que tu veux que je dise ?

— Comme dit mo garçon parfois : li finn tap plin ou bien non ?

— Quoi ?

— Avec ta manière de faire celle qui ne comprend pas, tu fais mes nerfs monter, je te dis ! Je vais te poser la question directement alors.

— Mais quelle question, foutour va ?! Je te dis franchement : tu commences à m’énerver !

— Est-ce que ton bonhomme a eu son ticket pour les élections ?

— Ah ça… Comme dit ma cousine ki kontan met enn ti bout angle dan so koze : forget about it.

— Forget about it ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

— Il ne s’est rien passé du tout, c’est ça le problème.

— Mais j’avais appris que vous aviez fait les démarches. Que vous aviez fini de causer avec qui il fallait.

— Comment tu sais tout ça, toi ?

— C’est vrai ou c’est faux ?

— C’est vrai. On avait causé avec un quelqu’un qui est mari proche du leader. Je peux même te dire que c’est un parent à lui. On l’a invité à dîner.

— Et comment ça s’est passé ce dîner ?

— Très bien toi. Il a bien écouté mon bonhomme expliquer sa vision de la politique. Il a posé des questions sur notre famille, quel caste on est, quelles sociétés on fréquente, des affaires comme ça…

— Tout ça il a demandé ?

— Il a dit qu’il fallait, pour savoir si le candidat a… comment il a dit ça… s’il a la bonne figure…

— Il n’a pas plutôt dit le bon profil pour une circonscription ?

— Ça même. Après, il a demandé combien d’argent mon bonhomme pouvait mettre dans la campagne. À la fin, il a dit que mon bonhomme avait le profil idéal pour une circonscription.

— Quelle circonscription ?

— Il n’a pas dit. Mais par contre, il a dit qu’il allait parler directement à son leader avec qui, comme tu le sais, il est parenté.

— Mais une candidature, ça ne doit pas passer par un comité du parti, une affaire comme ça ?

— Mon bonhomme lui a demandé. Il a répondu que c’est le leader qui prend la décision finale et qu’il allait lui parler directement de mon bonhomme. Il a dit de laisser ça dans sa main, mais de ne pas causer de ça avec personne. C’est à cause de ça même que je ne t’ai rien dit, tu comprends ?

— Tu avais peur que j’aille faner ça partout ?

— Jamais de la vie, mais comme il avait demandé de ne pas causer de ça… mais… c’est maintenant que je pense à ça : comment tu es arrivée à savoir, toi ?

— Tu me fais rire, toi. Tu ne te rappelles pas, avant même que Bérenger ne quitte le restaurant où il avait rencontré Ramgoolam en 2013, SAJ avait fini de savoir qu’ils s’étaient vus. Il n’y a pas de secret à Maurice, surtout en politique !

— Tu veux dire que tout le monde savait qu’on avait proposé un ticket à mon bonhomme ?

— Non, tu te trompes. On sait que c’est lui qui avait demandé un ticket à ce parti-là !

— Mais comment les gens ont su ? À part mon bonhomme, moi et le parent du leader, personne ne savait. Tu crois que c’est… lui…

— Je ne vois pas qui d’autre que lui aurait pu savoir ! Mais dis-moi, qu’est-ce qui s’est passé après le fameux dîner ?

— Il a téléphoné deux trois fois à mon bonhomme pour lui dire qu’il avait fini de causer avec le leader qui était enthousiasmé et allait bientôt le contacter. Mais il a recommandé de ne rien dire parce qu’il y avait beaucoup de candidats pour la circonscription de mon bonhomme.

— La circonscription de ton bonhomme ! Et après ?

— Après quoi ?

— Après tout ça, qu’est-ce qui s’est passé ?

— Mais rien du tout. On n’a plus entendu parler de la personne en question. Il ne répond pas au téléphone ou alors fait dire qu’il est très occupé, mais qu’il va rappeler plus tard.

— Ça dure depuis combien de temps ?

— Plusieurs mois.

— Dis-moi franchement, ton bonhomme lui a donné de l’argent pour la campagne ?

—…

— Ton silence est une réponse. Tu peux dire à ton bonhomme de dire adieu à son argent et à « son » ticket.

— J’avais compris. Ça même je t’ai dit « forget about it ! »

— Si ça peut te consoler, dis-moi que ton bonhomme n’est pas le premier et ne sera certainement pas le dernier aspirant candidat à se faire couillonner !

J.-C.A

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