La lente agonie

Ile Maurice, la lente agonie du jardin de Pamplemousses : titre révélateur d’un article de Mondafrique publié le 20 juillet 2023.

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Sous la plume de notre confrère Vel Moonien, cet article affirme que « Le plus vieux jardin botanique de l’hémisphère Sud situé près de la commune de Pamplemousses à l’ile Maurice vit, sans doute, ses dernières heures ».

L’article rappelle que le jardin a été créé par le botaniste français Pierre Poivre en 1729. On pourrait dire qu’il témoigne de cette époque où l’Europe prospérera en allant chercher « aux Indes » les épices et soieries dont le commerce lui permettra de s’enrichir. Ainsi, c’est au Jardin de Pamplemousses que Pierre Poivre acclimatera des épices comme le giroflier et le muscadier, avant de les propager aux Antilles et à Madagascar pour le compte de la Compagnie des Indes orientales.

Longtemps, ce jardin, présenté comme le plus ancien jardin botanique de l’hémisphère Sud, a été un lieu de visite privilégié. Mais ce qu’en montre aujourd’hui Mondafrique est affligeant, comme le constatent chaque jour ceux qui le visitent. Le réputé bassin de nénuphars est dans un piteux état, des branches cassées jonchent les allées, les palmiers sont recouverts de chancre au point d’être tout juste bons à être abattus, des matériaux de construction ont été abandonnés ici et là, et si les arbres plantés par des visiteurs comme Nelson Mandela, François Mitterrand ou lndira Gandhi sont toujours là, d’autres ont visiblement pâti.

Ce déclin ne date pas d’aujourd’hui. Cela fait une vingtaine d’années que, régulièrement, la presse mauricienne tire la sonnette d’alarme. Un sursaut permet alors de reprendre un peu les choses en main, avant que la situation ne se dégrade à nouveau. Parce que la vocation de jardin botanique unique au monde n’est pas reconnue et valorisée comme l’atout exceptionnel qu’elle constitue pourtant. Et que le Jardin de Pamplemousses est visiblement victime d’un déplorable mélange des genres.

Outre le manque d’entretien, l’article de Mondafrique met aussi en avant le fait que ce jardin a été « transformé en nécropole ». Faisant référence au fait que deux monuments funéraires y ont été érigés, en hommage l’un à Sir Seewoosagur Ramgoolam, « le Père de la Nation », et l’autre à Sir Anerood Jugnauth, « le Père du Développement économique », « les deux anciens premiers ministres qui, dans les années qui ont suivi l’Indépendance en 1968, se sont succédés à la tête du gouvernement, avant que leurs propres fils soient désignés par le suffrage universel dans une sorte de népotisme inédit ».

Ainsi, si le botaniste et paysagiste français Gilles Clément avait recommandé que le monument funéraire de Sir Seewoosagur Ramgoolam soit déplacé, il n’en sera rien. Bien au contraire, il fera l’objet d’une surenchère mémorielle partisane. C’est ainsi qu’au décès de Sir Anerood Jugnauth, en juin 2021, « son fils Premier ministre décide d’un monument plus proche du château de Mon Plaisir », l’ancienne demeure du gouverneur français Mahé de La Bourdonnais, qui invita Pierre Poivre dans la colonie. Et l’article de citer un membre de la Société royale d’histoire naturelle de l’île Maurice, amoureux du patrimoine, qui déclare que « clairement, ce choix vise à démontrer que Sir Anerood Jugnauth est plus puissant que Mahé de La Bourdonnais et Sir Seewoosagur Ramgoolam réunis ».

Le problème, clairement, vient du fait que ce sont systématiquement des nominés politiques sans aucune conscience botanique qui ont été placés à la direction du Jardin de Pamplemousses. Cette fois, l’article nous annonce qu’un ancien Conservateur du département des Bois et Forêts, botaniste également diplômé en zoologie, a été nommé à la tête du conseil de Pamplemousses. « Sera-t-il l’homme providentiel pour que le jardin retrouve sa beauté perdue ? » interroge Mondafrique.

On peut se le demander car, au-delà du Jardin de Pamplemousses, la question demeure celle du manque de reconnaissance du patrimoine culturel dans notre pays. Il y a, d’une part, son instrumentalisation ethnique dans l’écriture d’un « roman national » qui demeure problématique. Ainsi, cet « amoureux du patrimoine » cité dans l’article de Mondafrique estime qu’il y a là une volonté des gouvernants mauriciens d’effacer toute trace de la colonisation française et britannique, en laissant aller à l’abandon, voire à la destruction, tout ce qui date d’avant la période de l’Indépendance. En témoigne aussi la situation du Théâtre de Port-Louis, connu comme un des plus anciens et plus beaux théâtres de l’hémisphère sud, fermé depuis 15 ans pour rénovation urgente…

Nous n’en sommes pas au moindre des paradoxes, alors même que sous le présent gouvernement, le ministère des Arts et de la Culture a été renommé ministère des Arts et du Patrimoine culturel. Au-delà du patrimoine historique, c’est bien la question de la place des arts et de la création culturelle dans notre société qui est ici posée. Jusque dans son expression la plus contemporaine.

En fin de semaine, nous avons appris que le MOMIX 2023 est purement et simplement annulé.

« Aujourd’hui, j’avais prévu de lancer l’enregistrement de délégués pour cette 5ème édition. Et dans dix jours, le dévoilement de la programmation complète de MOMIX 2023. Mais la feuille de route a changé. Pour la première fois, et la dernière, je jette les armes. Plus de force et d’énergie à mettre dans le projet musical qui me tient le plus à cœur depuis que j’évolue dans ce secteur », écrit sur les réseaux son directeur, Stephan Rezannah. « J’y ai mis toute ma rage de vaincre et ma passion pour que ce marché de musique existe à Maurice. On y est arrivé, mais pas complètement… »

MOMIX, c’est ce marché de la musique mis en place pour œuvrer à la professionnalisation, la structuration, l’exportation, la conservation de la création musicale. Face à l’immobilisme du ministère de tutelle, ce sont, donc, de jeunes passionnés comme Stéphan Rezannah qui se sont démenés pour mettre en place à Maurice ce dispositif. Qui, au fil de ses quatre éditions, à travers networking, masterclasses, workshops, conférences, showcases, a contribué à la structuration et à la professionnalisation de ce secteur, tout en favorisant la circulation de nos artistes sur d’autres territoires.

« Malgré tout, cela n’a pas suffi pour convaincre les secteurs privé et public », déplore le directeur du MOMIX. Que le manque de soutien financier a contraint cette année à l’annulation. Une année qui avait été placée sous le tagline Love Music. Mean Business, comme une façon d’affirmer, outre le fait d’aimer la musique, que « nous la prenons au sérieux et nous croyons fermement en son importance économique pour le pays et les professionnels du secteur ».

Partout dans le monde, on parle de l’importance économique de la culture. Selon un récent rapport de l’UNESCO, les secteurs culturels et créatifs génèreraient des recettes de plus de 2,250 milliards de dollars et emploient plus de 30 millions de personnes.

« Les secteurs culturels et créatifs sont un moteur essentiel des économies des pays développés et en développement et font partie des secteurs qui connaissent la croissance la plus rapide », souligne cette étude. « Les créateurs du monde entier, dans tous les domaines artistiques, contribuent fortement à l’économie mondiale, tant en termes de revenus que d’emplois. Les créateurs doivent être en mesure de travailler dans un environnement qui protège leurs droits économiques et moraux afin de pouvoir poursuivre leur activité créative. Nous espérons que cette étude agira comme un révélateur pour les décideurs du monde entier : protéger les créateurs, c’est protéger l’économie. Nos secteurs culturels et créatifs contribuent à construire des économies durables, créent des emplois au niveau local, génèrent des revenus et des impôts, et permettent à des millions de personnes, en majorité des jeunes, de vivre de leur talent créatif ».

Nous en sommes hélas très loin, dans un pays où les dirigeants, politiques et économiques, semblent peu enclins à mettre de l’argent dans un secteur dont ils savent ne pas pouvoir contrôler l’expression, un secteur capable de développer la pensée et le sens critique. Ce qui mettrait en danger leur pouvoir. Lente agonie, mais… volonté et vitalité, malgré tout, d’une scène culturelle qui ne compte pas se laisser gommer..

SHENAZ PATEL

 

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