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Catastrophe humaine

Quand se décidera-t-on à parler de catastrophe humaine lorsque l’on parle de catastrophe écologique ?
Cette question se pose avec acuité alors que nous marquons, cette semaine, les trois ans de l’échouage du MV Wakashio sur la côte sud-est de Maurice, et la marée noire qui a suivi.
À y regarder, aujourd’hui, on pourrait presque avoir l’impression que rien ne s’est passé. Les lagons un temps souillés sont bleus à nouveau, la vie semble couler comme à l’habitude.
Pourtant.
Pour peu que l’on s’aventure un peu dans les mangroves avoisinantes, on voit bien que des hydrocarbures y subsistent, avec des conséquences que l’on ne connaît pas encore.
Et puis, surtout, il y a les gens.
Les habitants de la côte sud-est. Ceux dont la subsistance quotidienne dépend de l’état de la mer, les pêcheurs, les plaisanciers, les riverains. Qui parle de ceux-là ? Qui parle de l’impact violent, et durable, qu’a eu la marée sur leur quotidien ? Qui s’intéresse à savoir où ils en sont aujourd’hui, après cette catastrophe écologique qui, pour eux, a aussi entrainé le naufrage de leur travail, de leurs efforts, de leurs aspirations, parfois de leurs vies toutes entières ?
C’est ce que donne à toucher du doigt le documentaire de David Constantin, « Grat lamer pintir lesiel », visible sur Youtube à cette adresse :

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Tout le monde devrait le voir. Parce qu’il nous dit si fort l’ampleur des traces, du traumatisme, du malheur qui perdure et dont on est si peu au fait, dont on se soucie si peu.
Pour beaucoup de Mauricien-nes, au-delà du choc de la marée noire, l’épisode Wakashio a aussi été l’occasion de se réjouir. Oui, de se réjouir d’un élan soudain retrouvé, ces milliers de Mauricien-nes qui ont convergé vers le waterfront de Mahebourg, malgré l’interdiction gouvernementale, qui se sont retrouvés spontanément, solidaires, pour aider à faire les bouées de paille de canne imaginées par David Sauvage et le mouvement Rezistans ek Alternativ, qui ont aidé à contenir les premiers effets de la marée noire là où les « autorités » semblaient bizarrement paralysées. Toutes ces personnes qui ont coupé et donné leurs cheveux, pour absorber les hydrocarbures répandus par le vraquier. Oui, cet élan-là, magnifique, a réconcilié beaucoup de Mauricien-nes avec leur pays, avec leurs compatriotes, avec eux-mêmes. Parce que soudain, l’on redécouvrait que face aux manquements et errements du pouvoir, il était possible pour chacun-e, de prendre les choses en main, d’être agissant, de faire une différence.
Mais passé cet élan, chacun est retourné à sa vie, à ses occupations et préoccupations.
Le réalisateur David Constantin, lui, est retourné voir les habitants du lieu dont la vie a été directement bouleversée par la catastrophe écologique. « Une fois le mazout absorbé, les traumatismes disparaissent-ils aussi ? » s’interroge-t-il.
Pour tenter « d’inscrire dans un film ce silence qui a suivi la catastrophe », il monte un atelier avec le poète-slameur Lionkklash Clovis. « Comme une tentative commune de permettre à ces hommes et ces femmes profondément blessés, de sublimer leur traumatisme par la poésie et l’écriture. De les aider à faire de ce mazout visqueux et noir qu’ils ont gratté jour et nuit, une couleur éclatante pour repeindre fièrement leur ciel ».
Dans le documentaire de 71 minutes qui en ressort, on suit Dominique, Virjinie, Sandy, Jenyma, Davina, Christophe, Aria, Athena, Rikendy, Ludovic, Selena, Selencia, Karen. Difficilement d’abord, puis de plus en plus librement, ils y expriment leur quotidien dévasté, leurs années de labeur détruites, leur situation économique laminée, leurs parents dont ils ne peuvent plus satisfaire le rêve d’un toit dans leurs vieux jours, leurs enfants qui se retrouvent soudain en situation de dépendre de la charité d’autrui. Ils y expriment leur colère, leur rage, leurs angoisses, mais aussi leur énergie farouche à reconstruire.
Mais les difficultés sont grandes, et leurs appels à l’aide souvent ignorés.
Pour toutes ces personnes, quelle réparation ?
Cette semaine, l’association Eco-Sud a partagé une réflexion intitulée « MV Wakashio – Why are the parties liable hiding?” Pourquoi les parties responsables se cachent-elles ? Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit.
Eco-Sud rappelle donc qu’il y a trois ans, l’échouage du MV Wakashio sur les récifs de Maurice et la marée noire subséquente ont provoqué une catastrophe environnementale sans précédent à Maurice. Les hydrocarbures répandus ont ainsi causé des dégâts substantiels à la faune et à la flore des lagons et des côtes de la région sud-est. Cela a entraîné la fermeture de l’accès au lagon et aux zones côtières affectés, résultant en un arrêt des activités nautiques et de pêche pendant plus d’une année.
En conséquence, Eco-Sud, de même que des milliers de victimes de cette catastrophe, incluant les pêcheurs et les opérateurs économiques de la région, demandent à être compensés par les entités responsables de cette marée noire. A savoir :
1)Le propriétaire du bateau, Okiyo Maritime Corp, compagnie panaméenne domiciliée au Japon. (2)Nagashiki Shipping Co Ltd, la compagnie soeur d’Okiyo, enregistrée au Japon
3)L’affrêteur du bateau Mitsui O.S.K Lines, Ltd, compagnie enregistrée au Japon
4)The Japan Shipowners Mutual Protection and Indemnity Association, assureur de Okiyo Maritime Corp et de Nagashiki.
Eco-Sud dit maintenant être prête à déposer sa plainte en réclamation auprès de la Cour Suprême de Maurice. Une fois que cela est fait, la plainte doit être servie aux accusés, pour que ceux-ci puissent être représentés en Cour. S’ils n’ont pas mandaté un représentant à Maurice pour recevoir la plainte, Eco-Sud et les autres plaignants doivent faire servir leur plainte à l’adresse à laquelle les accusés sont incorporés en dehors de Maurice. Or, dans ce cas précis, faire servir les plaintes au Japon se révèlera très contraignant et coûteux.
Il faudra d’abord faire traduire tous les documents en japonais.
Il faudra ensuite obtenir une lettre du Ministère des Affaires étrangères, à travers laquelle l’Etat mauricien accepte de garantir le remboursement à l’Etat japonais de coût d’exécution des demandes de signification judiciaire aux parties concernées au Japon. Ce qui doit passer par l’ambassade du Japon à Maurice. Et qui prendra de longs mois.
Eco-Sud dit ainsi avoir essayé, à Maurice, de faire servir sa plainte à Okiyo et son assureur, The Japan Shipowners Mutual Protection and Indemnity Association. En vain.
« While Okiyo has initiated legal proceedings before the Mauritius Supreme Court, in which it seeks to limit its overall liability arising out of  the oil spill, Okiyo is refusing to give to its Attorney or other representative in Mauritius mandate to accept service of the victims’ Plaints. Similarly, while The Japan Shipowners Mutual Protection and Indemnity Association has a representative in Mauritius who is mandated to accept documents on its behalf, the insurer is refusing to give this representative mandate to accept service of the Plaints in Mauritius. As for Mitsui OSK Lines, Ltd, despite having set up a charitable trust to provide some, albeit, limited financial help to NGOs and others, it has conveniently not appointed an official representative in Mauritius to represent it”, dénonce Eco-Sud. Qui voit là une tentative claire des concernés “to avoid liability for the prejudice they have caused to the environment and to the victims of the oil spill”.
Pour l’association écologiste, la conduite de ces grandes corporations engagées dans la très lucrative industrie maritime est totalement honteuse et inacceptable. Alors qu’ils ont donné l’impression, dans des déclarations ces trois dernières années, qu’ils avaient l’intention d’assumer leurs responsabilités. D’où leur demande pour que ces trois entités nomment un représentant à Maurice pour prendre réception de leur plainte.
A défaut, Eco-Sud compte intensifier sa campagne de dénonciation, la mener dans les rues et dans les forums internationaux.
Parce que l’impunité a décidément bien assez duré.
Et que l’on ne devrait plus être autorisé à ruiner impunément la vie d’un pays et de ses habitants au nom de l’argent roi…

 

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