— Alors, ça s’est bien passé tes vacances ?
— Oui, mais il faisait froid ça, qu’est-ce que je vais te dire !
— C’est normal toi, en hiver il peut faire froid en Australie.
— Je peux te dire qu’il peut même faire plus que mari froid.
— Comme ça ?
— Qu’est-ce que je vais te dire ?
— Il fait froid comment, hein ? Comme à Forest Side en août ?
— Ma cousine m’a téléphoné pour me dire qu’il commençait à faire froid à Maurice avec 20 degrés…
— C’est vrai, toi. On caille, je te dis. Moi-même qui aime bien l’hiver, j’ai dû tirer mes molletons, couettes tricots et pull-overs.
— Eh ben laisse-moi te dire que parfois à Melbourne, il faisait 4° le matin.
— Ne me dis pas ! Mais dis-moi, les maisons sont chauffées là-bas, non ?
— Oui, mais il faut bien que tu sortes pour aller faire des visites, aller dans les centres commerciaux, tout ça.
— Comment tu as fait alors ?
— Ma chère, j’ai mis des bas sur des collants, des tricots, tout ce que j’avais porté avec moi, mais malgré ça, j’ai senti le froid.
— Tu peux m’expliquer pourquoi tu es partie en vacances en hiver ?
— Il y avait le mariage de X que je ne pouvais pas rater. J’avais promis d’aller.
— Comment était le mariage ?
— Simple, avec peu d’invités. Juste la famille proche.
— Dis-moi un coup… X s’est bien mariée avec un veuf d’une autre… religion, non ?
— Tu veux dire d’une autre race. Mais oui toi, elle a épousé un veuf qui est Indien.
— Hum, hum, c’est ce que j’avais entendu, mais je n’étais pas trop sûre. Et comment sa maman qui est, je suis, je là et qui prétend qu’elle a des ancêtres bretons aux yeux bleus, a pris tout ça ?
— Très, très mal au départ. Ça a pris du temps, mais elle a fini par céder et accepter le mariage. Surtout quand X est tombée enceinte.
— Ah bon ?! À ce point-là ?
— Oui, toi. Comme tu le sais, la maman de X est raciste, mais très religieuse. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas tolérer que sa fille vive dans le péché. C’est pourquoi on a fait un petit mariage même.
— Et le mari de X, l’Indien, comment il est ?
— Ayo, il est sympa je te dis. C’est un docteur, très cultivé et qui parle très bien son anglais. Il est tellement sympa qu’au bout d’un moment tu oublies même qu’il est…
— Indien et noir ?
— On va dire, comme la maman de X, qu’il est brun, bien foncé.
— Ça a dû lui faire un coup à la maman de X, ce mariage. Elle qui refusait d’inviter les copines brunes de sa fille aux anniversaires en disant qu’elles n’étaient pas du même milieu.
— Elle avait interdit à son fils de sortir avec la jolie petite Indienne qui était avec nous à l’école en disant qu’il ne devait pas fréquenter des Asiatiques !
— Et aujourd’hui regarde ce qu’elle est obligée d’accepter : un gendre qui est à la fois noir de peau et Indien de naissance.
— Ça même qui s’appelle crache en l’air tombe lor néné ! J’espère qu’elle aura appris sa leçon une fois pour toutes.
— Franchement te dire, je ne suis pas trop sûre.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Tu sais quelle est sa grande frayeur, maintenant : de quelle couleur sera l’enfant de X.
— C’est pas vrai !
— Je crois qu’elle doit faire des prières pour que son petit enfant soit plus de la couleur de sa maman que de son papa.
— Il y a encore des gens qui pensent comme ça aujourd’hui ?
— Ils sont plus nombreux que tu le crois ! C’est pour ça aussi que j’avais besoin de sortir de Maurice… avec tout ce qui se passe ici.
— Rien de tel qu’un voyage et du shopping pour se changer les idées. Alors, qu’est-ce que tu as acheté comme ça ?
— Rien.
— Tu vas me faire croire que tu n’as rien trouvé à acheter ? Toi qui ne rates aucune promotion !
— Pour faire du shopping, il faut avoir les moyens.
— Tu n’étais pas obligée d’aller dans les magasins de grandes marques. Ma cousine Y me dit qu’il y a plein de discount shops en Australie.
— C’est vrai, mais avec la dépréciation de la roupie, tu sais combien vaut un dollar australien ?
— Je ne sais pas moi, Rs 20, 25 ?
— Non ma chère, Rs 35 ! Alors, quand tu penses que la moindre robe simple-simple en promotion dans un petit magasin coûte au bas mot $ 50, fais le calcul toi-même !
— C’est terrible toi ! Tu n’as pas fait de shopping en Australie alors.
— Pratiquement rien. Et puis il y a une autre raison pour ça.
— Quelle raison ?
— Le planting toi.
— Quel planting encore ? Et puis arrête de causer fort comme ça.
— Je ne cause pas fort. Ne me dis pas que tu n’es pas au courant que des personnes — même des avocats — accusent des éléments de la police d’avoir planté des affaires chez elles avant de les arrêter.
— Tu n’as pas besoin de crier, je ne suis pas sourde. Oui, je suis au courant, mais qu’est-ce que ça à faire avec toi ?
— Tous les Mauriciens en Australie, qui suivent l’actualité de Maurice, ne parlent que de ça toi. Tous m’ont dit de bien faire attention à mes bagages pour éviter le moindre problème.
— Tu n’es pas en train d’exagérer un peu là ?
— Je te jure que non. C’était d’ailleurs le même sujet de conversation entre passagers dans l’avion. Il y a un climat de frayeur dans le pays… tout le monde a peur…
— Ça, c’est ce que dit l’opposition…
— Tu crois ? Alors dis-moi un coup pourquoi tu as commencé à parler à voix basse depuis qu’on a abordé le sujet de planting ?
J.-C.A.
Frayeurs
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