On se croirait dans une République bananière du siècle dernier, juste au lendemain des indépendances. Devant une cour de justice, un haut gradé de la police accuse le bureau du DPP de « volte-face » et annonce qu’insatisfait des positions de ce bureau, le commissaire de police va faire appel à des avocats du privé pour défendre ses dossiers. Interrogé sur cette annonce, le Premier ministre et ministre de la police dit ne pas être au courant de cette déclaration.
Avec le recul du temps et les événements des dernières semaines, une évidence s’impose. La tentative de placer le DPP sous le contrôle du ministère de la Justice, en 2015, n’était pas un coup de colère, mais faisait partie d’une stratégie. Ce n’est pas par hasard que depuis les attaques contre le DPP d’alors, avec tentative de le faire arrêter par la police, se sont succédé. Le but de l’opération, on l’a maintenant compris, était de ruiner le réputation du DPP avec une photo de lui avec des menottes aux poignets. Sans Xavier-Luc Duval et sa décision de quitter le gouvernement MSM-PMSD-ML, l’amendement constitutionnel aurait été voté et le bureau du DPP ferait partie, aujourd’hui, des institutions gouvernementales dont les dirigeants – pratiquement tous des nominés politiques — prennent leurs ordres du gouvernement. Pardon du véritable dirigeant du pays : lakwizinn. Il est de notoriété que le contenu du JT et de certains programmes de la MBC — par ailleurs grande donneuse de leçons d’éthique journalistique — doivent obtenir le feu vert d’une personne que les chatwas appellent avec respect « Madam-la. » Il est également évident que dans le bras de fer qui oppose le commissaire de police au Directeur des Poursuites publiques, les instructions sont données et suivies à la lettre depuis la fameuse kwizinn.
Mais heureusement pour la démocratie mauricienne que le nouveau DPP, tout comme son prédécesseur d’ailleurs, ne fait partie des chatwas aux ordres de lakwizinn qui peuplent nos institutions. Au lieu de laisser faire et d’aller dans le sens de ce que souhaite le pouvoir — utiliser la police et les arrestations médiatisées de la SST, suivies de longues périodes de détention sur des accusations provisoires pour se débarrasser de ses plus virulents opposants —, il applique la loi. En s’assurant que tout Mauricien accusé d’un délit ait droit à un procès équitable. En ce faisant, il a braqué non seulement le CP, mais également le Premier ministre, qui a publiquement critiqué une de ses décisions. Une campagne d’insultes a suivi sur les réseaux sociaux que la police, prompte à arrêter ceux qui critiquent le PM et son gouvernement, n’a pas pu identifier. Encouragé par les commentaires de son ministre, le CP a contesté en cour la décision du DPP alors qu’il est censé travailler en étroite collaboration avec lui. Qui croira une seule seconde que le commissaire de police a décidé de se passer des services du bureau du DPP pour faire appel à des avocats du privé sans avoir obtenu l’autorisation « d’en haut » ? Bien que le Premier ministre déclare ne « pas être au courant de tout ce que fait la police », imagine-t-on que le CP prenne une décision, qui remet en question le fonctionnement des institutions, sans en avoir parlé à son ministre de tutelle ?
Sans doute le commissaire de police n’a pas apprécié que le DPP fasse son travail et poursuive son fils, accusé de douzaines de chefs d’accusation pour détournement de fonds. Il aurait sans nul doute préféré que le DPP suive l’exemple du président de la République et accorde la grâce présidentielle à son rejeton condamné à 12 mois de prison ferme pour un autre détournement. Mais cela est désormais établi : en dépit des critiques et des pressions, le nouveau DPP est déterminé à faire son travail, c’est-à-dire faire respecter la Constitution qui garantit un procès équitable à tout individu accusé d’un délit.
Il est manifeste que le pouvoir veut se débarrasser — ou faire taire — tous ceux qui ne suivent pas sa ligne. Le DPP doit figurer en place sur la liste de ceux qui le gênent eu égard aux tentatives pour le contrer et le discréditer. Après la Seconde Guerre mondiale, au moment des procès contre les responsables nazis, une expression résumait le fait qu’en dépit de l’horreur de la situation la justice faisait son devoir : “Il y a encore des juges à Berlin”. On pourrait paraphraser et dire heureusement qu’il y a encore un Directeur des Poursuites publiques digne de ce nom à Maurice. Mais il ne suffit pas de se contenter de le dire et s’en féliciter. Il faut le soutenir massivement et le faire savoir afin qu’il puisse continuer à faire son travail, en toute liberté. Sinon, avec les dictateurs en herbe qui peuplent nos institutions, il n’est pas certain que demain tout Mauricien accusé d’un délit aura droit à un procès équitable.
Jean-Claude Antoine