Trois jours durant, Le Mauricien s’est attelé à prendre à contre-pied les effets d’annonces en cherchant à Sakifo des performances d’exception inattendues. Une quête de perles qui a requis de se soumettre à l’adage local de « La Réunion, île intense ». Ce, afin de déceler hors des tracés ces artistes qui ont rayonné à l’occasion du festival tenu à Saint-Pierre, dans le sud, du 2 au 4 juin. L’aventure, c’est voguer vers l’inconnu.
Pour vivre l’imprévu, il incombe souvent d’abandonner les sentiers battus. De défier les cours d’eau s’écoulant dans une direction unique. Le flot de spectateurs suit le sillon des performances les plus attendues, laissant dans son sillage une fine brume de sable soulevée par les pas pressés. Dextérité et souplesse s’articulent afin de s’immiscer parmi les festivaliers, dont la barre des 40 000 a été franchie au troisième jour du Sakifo. Un record pour le festival tenu depuis 19 ans à La Réunion.
À l’épreuve de la bousculade s’ajoute la fraîcheur d’un hiver naissant sur les côtes de Saint-Pierre, dans le sud de l’île. Véritable défi que de s’aventurer dans ces conditions avec une « sakimousse » en main, pour profiter pleinement des cinq scènes accessibles à tout public et la cinquantaine d’artistes qui les ont arpentées. Vivre ainsi cet événement tenu sur trois jours, soit du 2 au 4 juin, ouvre les portes à des performances surprises. Que l’œil du spectateur lambda peut avoir manqué.
De fait, les accompagnateurs n’ont de cesse d’interpeller : « On ne va pas dans le bon sens ! » Et alors ? Ainsi se dégustent les performances intimistes et traditionnelles de la salle verte. Alors qu’à une cinquantaine de mètres, la scène de Ti Bird Soundsystem propose, elle, principalement des shows électroniques fascinants de par leur singularité. La pluralité des œuvres distillées ravit dès lors les goûts divers.
Comme attendu, le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf a ému les dizaines de milliers de spectateurs présents pour ce dernier jour de festival. Comme attendu, la chanteuse belge Angèle a subjugué au premier jour avec un show époustouflant, ponctué par des moyens techniques hors-norme : se filmer en mode selfie avec un téléphone portable, dont les images sont retranscrites en direct sur les grands écrans.
Comme attendu, Kabaka Pyramid a porté haut les couleurs du reggae de Jamaïque et ses messages anticapitalistes. Étrangement, l’extraordinaire peut se voir attaché le sentiment de « comme attendu ». Il suffit cependant d’un ingrédient imprévu pour relever l’exceptionnel. Comme dans un « ti-jak boukané », plat réunionnais gourmand constitué d’un curry de Jacques, qui s’accompagne de porc fumé.
C’est en route vers la sortie après la performance du prenant rappeur français Josman, sur la grande scène du Salahin, que l’inattendu se présente. Celui-ci a le crâne rasé dont s’échappe une singulière tresse. Scúru Fitchádu hypnotise avec son rock-électro, auquel s’agrippent des salves de punk.
Sur la scène des Filaos, un trio énergisant, qui propage l’insanité par la “babanisation” du chanteur cap-verdien. Ce dernier envoûte, notamment en virevoltant dans une danse galvanisante, à l’image de leur prestation. Un ovni qui fait vivre le rock de manière magnétisante, embarquant les plus prudes dans des mouvements déchaînés.
« Ousa zot sava ? »
Vingt-quatre heures plus tôt, une âme de Mayotte a instillé une énergie tout aussi revigorante. Dans des battements qui se rapprochent étrangement du sega-tanbour de Rodrigues, Zily ramène vers l’engagisme de l’océan Indien. Poussé notamment par ses origines malgaches. Une voix, un rythme fou. Pour subjuguer les spectateurs de la Poudrière.
Sur cette scène était annoncé le mythique groupe réunionnais Ousanousava au dernier jour. En amont, beaucoup questionnaient l’intérêt d’assister à cette formation dont les tubes patrimoines s’écoutent depuis les années 80’. Pourtant, l’expérience des années a fait taire l’ensemble des suppositions aux allures de préjugés. Ce, en permettant de revivre Na Dé Milyon d’années, à la portée renforcée par les chœurs des milliers de festivaliers. Pour conclure en beauté, une reprise émouvante en a cappella de Granmèr par le chanteur Bernard Joron. Qui ose encore douter ?
En vue d’assurer la bonne tenue de l’événement, des centaines de travailleurs discrets – dont des bénévoles – s’activent des jours durant, telle une fourmilière. La journée, ingénieurs sons et lumières, membres de la sécurité, techniciens divers, nettoyeurs, communicants, parmi d’autres, s’attelent aux préparatifs visant à accueillir des milliers de curieux sur ce bout de plage privatisée à l’occasion.
Des échos de disparité entre paiement remis aux locaux et aux étrangers s’immiscent parmi les confidences. Toutefois, une passion inexplicable pour l’événement annuel ramène toute critique au second plan. La Réunion affiche sa fierté de porter le Sakifo. Nulle nécessité de le décrire explicitement tant ce sentiment rayonne sur le visage de ceux interpellés. Comme ce membre de la sécurité chamboulé par un EP ténébreux – joué en journée pour caler le son – naît d’une collaboration secrète entre l’île Maurice et La Réunion. Ou ce chauffeur, qui raconte des tonnes d’anecdotes vécues depuis 2011 comme bénévole. Un choix qui le mènera au plus près d’un des fils de Bob Marley, Damian.
La quasi deux décennies d’expérience des organisateurs se ressent tout autour du festival. Chacun connaît son rôle et tous se font confiance. Pour un rendu sans anicroches visibles. En vue de minimiser les files d’attentes devant les divers stands, un système de transaction “cashless” à travers un bracelet offert aux festivaliers. La sécurité, elle, se révèle omniprésente sans pour autant être oppressante. Tout semble avoir été calculé, même les préservatifs distribués à la sortie de l’événement.
Quant au retour vers le centre-ville saint-pierrois, bien que des navettes aient été mises à disposition, l’aventure requiert de vivre le périple malgré les conditions de marche nocturne brinquebalantes. Générées par les effets de la mousse et des délicieuses verdures locales.
En prélude des 20 ans d’un incroyable défi entamé à Saint-Leu, le Sakifo 2023 a rappelé une nouvelle fois que La Réunion se vit intensément.
Les Mauriciens du Sakifo
Sa prestation l’année dernière au Marché des musiques de l’océan Indien, où elle a présenté son spectacle Palomino, avait retenu l’attention. De par l’émotion dégagée. Et l’intensité de ses mots. Cette année, la chanteuse mauricienne Lisa Ducasse a été programmée sur la scène du Ti Bird Soundsystem au deuxième jour du Sakifo 2023. Seule mauricienne en tête d’affiche du festival réunionnais, elle a livré sa poésie réfléchie, appuyée par sa musique féerique.
Plus discret, le percussionniste Lionel Chelliah, alias Ti Punk, a accompagné l’artiste réunionnaise Sibu Manaï. C’est sur la scène de Filaos qu’il a fait montre de ce que des années aux côtés de formations diverses lui ont enseigné. Qui pour représenter Maurice l’année prochaine ? Réponse dans quelques mois.