Iomma Lab à La Réunion : vers le marché de la musique du futur

De : Joël Achille

Le Mauricien a assisté au Marché des musiques de l’océan Indien, à La Réunion, les 31 mai et 1er juin, où étaient réunis des professionnels de divers pays. Le format réduit de cette édition 2023 a mené à des réflexions en vue d’améliorer la formule de mise depuis dix années. L’événement de transition a posé les questions qui généreront la base des rendez-vous futurs. À noter qu’ont été soulevées des interrogations relatives aux restrictions imposées à Maurice.

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Il y a trois semaines, José Garcia et Véronique ne pensaient pas se trouver au Marché des musiques de l’océan Indien (Iomma) au Blue Bayou, à l’Etang-Salé, au sud-ouest de La Réunion. Ce, à des milliers de kilomètres de leur salle de spectacle, en milieu rural dans l’Hexagone. Si ce n’était une invitation de Jérome Galabert, organisateur du festival Sakifo, ces membres du collectif Musicalarue sur un Plateau se seraient sans doute cantonnés à leur réseau d’artistes. Ceux qui défilent depuis deux décennies au Bodega Los Bambasitos, situé entre Bordeaux et Toulouse.

José Garcia et Véronique, de France, souhaitent étendre leur réseau auprès de l’océan Indien.

Ce mercredi 31 mai pourtant, José Garcia est intervenu devant des acteurs du secteur artistique de l’océan Indien et d’ailleurs, et ce, lors d’une conférence sur la circulation des artistes. « Il y a eu discussions et débats sur nos visions des musiques actuelles dans nos pays respectifs, et comment apporter quelque chose de différent à travers nos réseaux alternatifs », explique-t-il au Mauricien ce jeudi-là.

En 23 ans d’une aventure entamée « par passion », Bodega Los Bambasitos a accueilli quelque « 450 concerts ». La présence de José Garcia et de Véronique à La Réunion ouvre ainsi la porte à d’autres horizons plus larges auprès de professionnels de l’océan Indien, d’Afrique et d’Asie. C’est cela après tout l’Iomma : des rencontres qui débouchent sur des échanges collaboratifs.

Pour 2023, le Marché des musiques de l’océan Indien a adopté un format « de transition », avec moins de délégués que les précédentes éditions, en attendant le décaissement de fonds européens, prévu l’année prochaine.

« Nous réfléchissons au format de l’Iomma du futur », indique Eric Juret (Blanc-Blanc), directeur de l’Iomma, interviewé à une table à quelques mètres de la salle de conférences de La Pirog. Soutenu par l’Union européenne, la Région Réunion, l’association Scènes Australes, le Centre national de la musique (CNM) et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), entre autres partenaires, l’Iomma a accueilli des professionnels des quatre coins du globe.

Eric Juret, dit Blanc-Blanc, directeur de l’Iomma

Des managers, des tourneurs, des artistes qui souhaitent étendre la portée de leurs travaux à travers le monde en assistant à des conférences et ateliers. Ou en discutant lors des One to One Meeting. Bien qu’il y ait eu beaucoup moins de participants pour 2023, ces derniers ont confié apprécier le format plus posé que les éditions usuelles.

« Cette fois, nous disposons de moins de la moitié des financements habituels. Toutefois, nous en avons profité pour réfléchir ensemble à l’amélioration de l’Iomma afin d’être en cohérence avec les enjeux actuels », ajoute Eric Juret.

À cet effet, l’ensemble des conférences tenues s’axaient autour de cette réflexion portée vers l’avenir. Il s’agissait de comprendre l’impact qu’a eu le marché de la musique en dix années d’existence, d’étudier les formules qui marchent et celles qui nécessitent amélioration. De même qu’étendre la visibilité et les collaborations vers d’autres marchés et festivals internationaux.

L’IA, cet outil.

En outre, des questions ont été posées quant aux outils technologiques qui s’immiscent dans la création musicale. Une thématique abordée lors de la conférence sur l’intelligence artificielle, présidée par Jean-François Cadet, directeur du Pôle régional des musiques actuelles. Ont été abordées les possibilités de créations musicales à travers cet « outil », qui bouscule à divers niveaux.

L’IA peut rédiger des paroles et composer des musiques basées sur les productions d’artistes ou de groupes, ainsi que générer des voix se rapportant à des chanteurs, même décédés. Une interrogation sensible a émergé : à qui va du coup les droits d’auteur ?

La Mauricienne Kimberly Oxide intervenant lors d’une conférence à cet Iomma de transition.

Sur ce point, la représentante de la SACEM, installée parmi l’audience, devait intervenir. Nathalie Roy a expliqué que la SACEM était invitée comme paneliste, mais devait refuser l’offre. Pour cause : une étude est en phase de discussion sur la question des droits d’auteur.

La partie mauricienne a été représentée par Gavin Poonoosamy (Mama Jaz), Stephan Rezannah et Kimberly Oxide (Momix et Jorez Box), Victor Genestar (La Isla Social Club), Melanie Pérès (Culture Events & Production), ainsi que Nicolas Bréand (Institut français de Maurice).

« Nous avons identifié des failles au niveau des actions entamées et des résultats générés », souligne Stephan Rezannah, installé dans le jardin en attendant le début des One to One Meetings. À savoir, des échanges provoqués de quelques minutes entre professionnels de différentes parties du monde. Un pan majeur de l’Iomma, du fait que ces contacts – quelquefois initiaux – pourraient constituer le début de collaborations à l’international.

Un point relevé pour Maurice concerne la formation dispensée par l’Iomma. « Nous parlions avec Jerôme Galabert des problèmes rencontrés quand des formateurs sont déployés à Maurice. De ceux formés, personne ne poursuit dans le métier », constate le directeur de Momix.

Les One to One Meetings dans le jardin du Blue Bayou, à L’étang-Salé.

Pour lui, une réflexion doit intervenir à ce sujet au niveau de l’Iomma, qui déploie des formateurs dans des territoires où des carences ont été identifiées par des organismes agissant comme branches auprès du marché.

D’autres idées, notamment de digitalisation, ont été évoquées durant les deux jours, animés par une série de rencontres : dans le jardin du Blue Bayou, autour d’un café, dans la salle à manger… Des échanges qui se poursuivaient les nuits, bercées par des prestations des énergiques Simagavole, de l’indétrônable Zanmari Baré, du maloya de Salangane et des futuristes Eat My Butterfly. Quatre groupes en intermédiaire de la trentaine généralement présentés à l’Iomma.

Cette transition, en attendant la 10e édition annoncée en 2024, devrait mener à une amélioration du format existant. Pour ainsi poursuivre le rayonnement et la professionnalisation de la musique de l’océan Indien.


Les restrictions de Maurice interpellent

Il fallait s’y attendre. L’annulation du Maytal et les restrictions imposées à La Isla 2068 ont interpellé les professionnels internationaux présents à l’Iomma. Que se passe-t-il à Maurice pour qu’un concert annonçant Lomor et Warfield (deux groupes de rock réunionnais) soit annulé par la police à quelques minutes du début de l’événement ? Pourquoi est-ce que soudainement un festival annuel, qui a accueilli les Réunionnais Maya Kamaty, Boogz Brown et Jérémy Labelle, s’est vu interdire le permis de vente d’alcool ? Autant d’interrogations qui ont débouché sur des questionnements autour de la situation politique de l’île.

Le sujet de la liberté d’expression à Maurice a ainsi été abordé dans des échanges multiples. Une chose est certaine à ce stade : la communauté des professionnels du secteur artistique à l’international garde un œil sur Maurice. Elle a compris que les locaux « passionnés » mènent un combat constant « fort louable » pour défendre l’art et sa pratique.

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