Perte de la biodiversité, changement climatique, pénurie des ressources… Tous les voyants sont au rouge, mais rien ne semble nous écarter du chemin goudronné que nous avons balisé depuis l’avènement de l’ère préindustrielle. Comme si la route du développement était à sens unique, sans aucun demi-tour possible. Qu’importe qu’elle soit sans issue. Notre ministre des Finances nous l’a d’ailleurs rappelé lors de son récent grand oral : notre principal leitmotiv reste la croissance. Un discours d’économiste, donc. Avec des arguments d’économistes et une finalité économique dans un monde où, plus que jamais, l’économie fait loi.
Face à cette quête de croissance, la réalité contemporaine oblige néanmoins les « chefs du monde » à intégrer à leurs projets d’autres considérations, notamment sociales. Mais aussi environnementales, car l’on ne peut échapper au changement climatique, qui coûte à la planète chaque année toujours plus cher que la précédente, en vies humaines mais, surtout, en terme financier. D’où l’idée séduisante de la « croissance verte », néologisme surexploité depuis quelques années déjà par notre puissante machine capitaliste, qui y voit là un compromis finalement assez avantageux.
Mais qu’est-ce que la croissance verte exactement ? Dit autrement : que vient faire là cet adjectif, si ce n’est un rappel à la nature ? En gros, disons que la croissance verte équivaut à une hypothétique alliance entre, d’une part, la croissance économique et le développement et, d’autre part, nos actifs naturels. Avec pour finalité de continuer de fournir à l’humanité les ressources et services dont notre bien-être dépend. Ce qui, en réalité, est une ineptie, pour ne pas dire une escroquerie institutionnalisée, y compris par les Nations unies. En d’autres mots : un mirage en plein désert.
L’idée est séduisante, puisqu’elle promet de faire perdurer le système qui nous aura poussés au bord du gouffre, sans toutefois que nous n’ayons à y tomber. Aussi comprend-on pourquoi celle-ci trouve un écho favorable dans nos sociétés industrielles, qui n’ont dès lors plus qu’à resserrer quelques boulons par-ci par-là pour rentrer dans les cadres environnementaux définis par nos instances internationales. Avec pour conséquence de voir l’argent continuer de rentrer dans les caisses. Après tout, c’est bien là le principal, non ?
Oui, mais il y a un hic ! Car cette fameuse croissance verte n’a rien de vert, si ce n’est une fois encore les billets qui l’alimentent. Quelles que soient les mesures prises, aucune ne permettra d’atteindre l’objectif « zéro carbone », ni même d’ailleurs de s’en approcher raisonnablement. Produire et consommer aura toujours un impact sur l’environnement, quoi que l’on fasse. Et ce n’est certainement pas une société axée sur la croissance, verte ou non, qui viendra changer cela. Il s’agit donc d’un argument politique, d’une promesse qui ne pourra être tenue.
Ce discours, les industriels ne veulent évidemment pas l’entendre, pas plus que les politiques. Quant aux scientifiques – entendez par là ceux n’ayant aucun autre intérêt que de formuler une opinion neutre basée sur les faits –, la plupart n’hésitent pas à dénoncer le mythe de la croissance verte, et qui est aujourd’hui devenue la réponse politique dominante à l’urgence écologique. À l’instar de l’European Environmental Bureau, et dont les auteurs d’un récent rapport notaient : « La croissance verte est un objectif erroné. (…) Tout programme politique reposant sur des hypothèses de croissance verte doit être réexaminé de toute urgence. »
Comment en effet songer sérieusement à une croissance verte sachant, par exemple, qu’extraire nos ressources demande toujours plus d’énergie ? Comment aussi ignorer l’effet rebond, à l’image d’une voiture plus écolo dont les gains énergétiques sont annihilés par un usage plus fréquent ? Sans compter le fait que l’on déplace les problèmes, à l’instar de la pression exercée par la production de biocarburant sur les terres arables, ou encore l’énergie conséquente déployée pour nos usines de recyclage, entre autres problèmes liés à la notion d’économie circulaire. Et nous pourrions longtemps continuer ainsi…
Non, la croissance verte ne nous sauvera pas. Pas plus d’ailleurs que quelconque autre système au fondement capitaliste. Notre modèle sociétal est tout simplement à l’agonie et, à moins d’une révision complète, finira inexorablement à la casse. Emportant avec lui tous ceux qui, motivés par le profit immédiat, auront cru en lui jusqu’au bout… et tous les autres !
Le mirage vert
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