L’annonce faite par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, le 12 mars dernier, à l’effet que le préscolaire sera gratuit à partir de janvier 2024, suscite des interrogations. Si dans le principe, il est tout à fait normal que la gratuité soit étendue aux plus petits, comme c’est le cas pour les plus grands, dans la pratique, cela soulève de nombreuses questions. Car le préscolaire est le secteur de l’éducation où l’État est le moins engagé, avec 188 unités préscolaires publiques pour toute l’île. Le privé en compte 507. L’on se demande ainsi s’il n’était pas plus judicieux d’investir dans davantage d’écoles publiques.
À l’approche des élections générales, les promesses sont de mise. Celle du Premier ministre, pour la gratuité de l’éducation au préscolaire, ne semble pas comme une carte sortie du chapeau d’un magicien, mais suscite quand même de nombreuses questions. D’abord, avoir droit à l’éducation gratuite au préscolaire s’inscrit dans la logique des choses, car le primaire, le secondaire, et plus récemment le tertiaire, le sont déjà. Accorder la gratuité est donc une initiative pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Voire, ne plus pratiquer de discrimination.
Sauf que, jusqu’ici, l’État s’est très peu investi dans le préscolaire. Les données de Statistics Mauritius datant de 2021, 755 écoles préscolaires à Maurice et 34 à Rodrigues. Soit un total de 789. De ce nombre, 188 unités sont intégrées aux écoles primaires publiques à Maurice et quatre à Rodrigues. Il y a également neuf écoles maternelles gérées par des organisations religieuses, 51 par les municipalités et… 507 par le privé. Encore que les chiffres datent de deux ans et qu’il faudra y ajouter les nouvelles écoles, qui poussent comme des champignons à travers l’île.
Cette situation contraste avec le primaire, par exemple, où l’on compte 319 écoles, dont 302 à Maurice et 17 à Rodrigues, et dont 221 appartiennent au gouvernement et 53 sont subventionnées avec 45 écoles privées payantes.
En attendant de connaître la formule de subvention que proposera le gouvernement aux partenaires du privé, d’ores et déjà, la question demeure pertinente: pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas choisi de construire plus d’écoles préscolaires plutôt ?
À titre d’exemple, en 2000-2005, quand le gouvernement MSM-MMM, avec Steven Obeegadoo comme ministre de l’Éducation, s’était engagé dans la régionalisation, une des premières initiatives avait été de construire des collèges à travers l’île. C’est ainsi qu’on se retrouve aujourd’hui avec des State Secondary Schools dans des villages éloignés.
Or, en se basant sur les propos de Pravind Jugnauth, qui « invite » le privé à discuter et à collaborer, on comprend qu’il sera surtout question de subvention. Il faut aussi savoir que le gouvernement accorde déjà une allocation aux enfants fréquentant les écoles privées à hauteur de Rs 400 par mois. Le chiffre vient d’ailleurs d’être revu à la hausse dans le dernier budget. Pendant de nombreuses années, cette somme était de Rs 200. L’argent est versé directement aux écoles.
Statistics Mauritius révèle qu’en 2021, 12 089 enfants de trois à cinq ans étaient inscrits en préscolaire, soit 11 348 à Maurice et 741 à Rodrigues. En gros, l’État dépense près de Rs 5 millions par mois pour les élèves du préscolaire. Sans compter qu’avec une éventuelle subvention, il faudra aussi aligner le personnel du privé sur celui du public, dont plus de 3 000 membres – personnel enseignant et non-enseignant – dans le privé.
L’autre question qui subsiste est de savoir comment mettre tout le monde sur un pied d’égalité quand la réalité est que les écoles maternelles relèvent d’un gros business pour certains. Pour fréquenter une de ces écoles très cotées, il faudra compter un minimum de Rs 5 000 par mois pour la scolarité. Sans compter que plusieurs formules existent, notamment avec déjeuner ou transport.
De plus, chacun a son propre système. Subventionner, voudra aussi dire un curriculum national pour tous. Comme c’est le cas au primaire et au secondaire. De multiples réticences, tant au niveau des responsables d’écoles que des parents, seront à l’ordre du jour à ce sujet.
En revanche, ce qui aurait été plus approprié, serait de construire ou d’aménager de nouvelles unités préscolaires dans les écoles publiques afin que l’éducation soit accessible à tous. D’autant plus que la population estudiantine est en baisse dans les écoles primaires, du taux de natalité est en chute depuis un certain temps. Il y a même des écoles primaires qui sont appelées à fermer, faute d’avoir suffisamment d’élèves.
Attendons voir comment le ministère de l’Éducation, à travers l’Early Childhood Care and Education Authority (ECCEA), gérera ce dossier pour essayer d’y voir un peu plus clair…