Les perroquets chantants

L’affaire du collège Royal de Curepipe est malheureusement venue nous rappeler à quel point notre système d’enseignement est un échec patent. Elle nous indique aussi et surtout que la jeunesse est en manque de repères et qu’elle est dépourvue de conscience politique, sociale et historique.
Le clavier de l’ordinateur, du smartphone et les palabres de Facebook ont tout emporté des jeunes neurones jadis mobilisés pour le beau, la vraie connaissance. Il a réduit la rencontre physique et la socialisation, qui est source privilégiée d’enrichissement, il a favorisé la distance et a fini par faire disparaître le respect. Même ChatGPT devrait rencontrer quelques difficultés pour pallier le manque cruel de discernement chez une partie de la jeunesse.
Les chansonnettes vulgaires et offensantes, que certains Old Boys ont tenté de justifier, durent depuis un moment. Puisqu’il s’agit des Royals, un anachronisme d’ailleurs puisque nous sommes en République et qu’on célèbre aujourd’hui même ses 31 ans, il semble que tout, jusqu’ici, ait été permis et accepté. On entend ces morceaux choisis, chantés dans la cour de récréation, un peu plus le jour de la proclamation des « lauréats », un terme lui-même devenu presque rédhibitoire à force d’avoir perdu de sa pertinence.
Dans la grand-messe qui fait passer les « lauréats » pour des super génies, la presse a sans doute elle aussi sa part de responsabilité lorsqu’elle participe annuellement à la sacralisation de quelques boursiers. S’ils ont le mérite d’être sortis premiers, il y a aussi le travail tout aussi honorable de ceux qui ont manqué quelques points pour se retrouver parmi les premiers et qu’il ne faut pas dédaigner. Des lauréats, il en existe dans toutes les sphères. Celui qui se distingue en poésie a certainement plus de mérite personnel que les perroquets chantants qui ont été à l’école de la mémorisation et de la compétition à outrance.
L’élite est un mythe à Maurice. Elle a peut-être existé à une époque. Elle s’épanouit sans doute loin de nos frontières, mais elle s’est considérablement rétrécie. Il n’y qu’à voir ceux qui peuplent l’hémicycle pour constater à quel point ce qui jadis formait vraiment une élite inspirante, pour laquelle certains se battaient littéralement afin d’être aux premières loges de la galerie publique de l’Assemblée nationale et ne rien rater d’un grand débat démocratique, n’est plus qu’un ramassis d’ambitieux, de totems communaux, de petits esprits revanchards et de minables suiveurs tout acquis à la glorification du chef.
Qui a entendu un backbencher de la majorité formuler une critique de l’action publique ou proposer une mesure à contre-courant de la doxa officielle ? Certains de ces backbenchers viennent peut-être des collèges dits de l’élite et ils sont les mêmes produits que les perroquets chantants qui inventent des chansons sans relief et sans intelligence.
Les chants « royalistes » sont révoltants, mais ils sont avant tout d’une grande tristesse. Cela fait 55 ans aujourd’hui que le pays est indépendant et certains, que l’on considère encore comme faisant partie de l’élite, se permettent de véhiculer allègrement des préjugés d’un autre siècle et de stigmatiser une partie de la population.
La ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, a, dans une déclaration tardive sur cette affaire de paroles dénigrant une catégorie particulière de Mauriciens, évoqué des « travaux communautaires » pour les collégiens fautifs. C’est une méthode de vieille école ça, madame l’enseignante. En agissant de la sorte, en punissant de manière ponctuelle les protagonistes d’une affaire qui a des origines profondes, l’Éducation ne fait que poser un pansement sur un mal que l’on veut cacher et qui est condamné à se reproduire.
Ce qu’il faut à nos enfants, c’est un changement immédiat et radical de paradigme. Pas de travaux communautaires, parce que cela est associé à des condamnations de justice, mais plutôt des travaux dirigés sur l’histoire de Maurice et de son peuplement avec des historiens qui ne demandent qu’à partager leurs connaissances et le fruit de leurs passionnantes recherches.
Cette histoire que l’on refuse d’introduire dans les salles de classe au même titre que l’éducation sexuelle encore jugée taboue. Si, dès le début de l’enseignement secondaire, les élèves apprennent d’où ils viennent, eux-mêmes et leurs camarades et à quel point ce pays a été un creuset de civilisations et de rencontres pluriculturelles qui ont accouché d’une population métissée, ils réfléchiraient à deux fois avant de débiter des conneries sur leurs voisins.
Les jeunes, on en parle, et il est souvent question d’un rajeunissement du personnel politique. Oui, c’est un impératif. Mais encore. Qui parmi les jeunes s’est ému du recul vertigineux de la démocratie, alors qu’ailleurs, même pas encore salariés, ils descendent dans la rue pour protester contre la réforme des retraites ? Qui a suggéré, dans un collège, ici ou là, que l’on débatte de la séparation des pouvoirs après les attaques qui ont plu sur la magistrature et le bureau du Directeur des poursuites publiques, que l’on discute aussi de la méritocratie ou de la drogue ? Personne.
Déjà, à l’université, ce n’est qu’un ou deux professeurs ou conférenciers qui osent s’emparer de quelques sujets qui fâchent, s’attendre maintenant que les collèges de « l’élite », engagés dans la course aux lauréats, s’approprient de sujets comme l’histoire, l’actualité du pays et du monde, c’est rêver en plein jour. Mais cela peut changer si la volonté politique est là et si on ne maintient pas le statu quo pour mieux surfer sur ces divisions qui peuvent se transformer en dividendes électoraux.
Gagner les élections, c’est une chose, mais gouverner sur les charbons ardents de la haine communale risque un jour de tout faire flamber. Certains diront que c’est foutu dans un pays qui est incapable de célébrer dignement ses 55 ans d’indépendance, mais tant qu’il y a de l’espoir…

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